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8921er mars 2010 — Le texte de Frank Rich, dans le New York Times du 28 février 2010, doit retenir toute notre attention. C’est, à notre connaissance, le premier texte d’un commentateur de ce calibre, – un des grands commentateurs du NYT, – qui identifie, même si sans exactement en donner la mesure, l’intensité et la force de colère et de fureur que recouvre le mouvement Tea Party. Ou bien, devrait-on dire la “nébuleuse” Tea Party, tant on sent d’intuition que, pour paraphraser le titre beaucoup plus apaisé du livre de Jacques Chardonne, – Tea Party c’est beaucoup plus que Tea Party.
Tout l’article est à lire, car l’on y trouve un mélange étrange à la fois de compréhension de l’ampleur de ce mouvement, de sa puissance potentielle, de sa position unique, de sa dynamique insaisissable, et à la fois d’incompréhension pour ses causes réelles, cela résumé par le titre un peu court dans le cadre de la catastrophe économique et sociale qui frappe l’Amérique, – «The Axis of the Obsessed and Deranged». Il y a la compréhension de la forme et de la nature de ce mouvement, et l’incompréhension des causes de ce mouvement. Pourtant, Rich, largement de tendance progressiste, n’est pas avare de critiques des événements récents qui ont précipité l’Amérique dans sa crise actuelle.
Partant de l’affaire de l’“attaque-kamikaze”, en avion, de Andrew Joseph Stack III, contre un bâtiment des impôts fédéraux (Internal Revenue Service), à Austin, au Texas, le 18 février, la première partie de l’article est la moins intéressante, qui trace des parallèles avec divers mouvements, notamment dans les années 1990, sur fond de milices racistes, d’attentat comme celui d’Oklahoma City de Timothy McVeill. C’est plutôt une approche réductionniste de la chose, du phénomène Tea Party. Puis vient le plus intéressant.
Citant un article récent de David Barstow sur Tea Party, Rich écrit:
«Equally significant is Barstow’s finding that most Tea Party groups have no affiliation with the G.O.P. despite the party’s ham-handed efforts to co-opt them. The more we learn about the Tea Partiers, the more we can see why. They loathe John McCain and the free-spending, TARP-tainted presidency of George W. Bush. They really do hate all of Washington, and if they hate Obama more than the Republican establishment, it’s only by a hair or two. (Were Obama not earning extra demerits in some circles for his race, it might be a dead heat.) The Tea Partiers want to eliminate most government agencies, starting with the Fed and the I.R.S., and end spending on entitlement programs. They are not to be confused with the Party of No holding forth in Washington — a party that, after all, is now positioning itself as a defender of Medicare spending. What we are talking about here is the Party of No Government at All.
»The distinction between the Tea Party movement and the official G.O.P. is real, and we ignore it at our peril. While Washington is fixated on the natterings of Mitch McConnell, John Boehner, Michael Steele and the presumed 2012 Republican presidential front-runner, Mitt Romney, these and the other leaders of the Party of No are anathema or irrelevant to most Tea Partiers. Indeed, McConnell, Romney and company may prove largely irrelevant to the overall political dynamic taking hold in America right now. The old G.O.P. guard has no discernible national constituency beyond the scattered, often impotent remnants of aging country club Republicanism. The passion on the right has migrated almost entirely to the Tea Party’s counterconservatism.
»The leaders embraced by the new grass roots right are a different slate entirely: Glenn Beck, Ron Paul and Sarah Palin. Simple math dictates that none of this trio can be elected president. As George F. Will recently pointed out, Palin will not even be the G.O.P. nominee “unless the party wants to lose at least 44 states” (as it did in Barry Goldwater’s 1964 Waterloo). But these leaders do have a consistent ideology, and that ideology plays to the lock-and-load nutcases out there, not just to the peaceable (if riled up) populist conservatives also attracted to Tea Partyism. This ideology is far more troubling than the boilerplate corporate conservatism and knee-jerk obstructionism of the anti-Obama G.O.P. Congressional minority.
»In the days after Stack’s Austin attack, the gradually coalescing Tea Party dogma had its Washington coming out party at the annual Conservative Political Action Conference (CPAC), across town from Capitol Hill. The most rapturously received speaker was Beck, who likened the G.O.P. to an alcoholic in need of a 12-step program to recover from its “progressive-lite” collusion with federal government. Beck vilified an unnamed Republican whose favorite president was the progressive Theodore Roosevelt — that would be McCain — and ominously labeled progressivism a cancer that “must be cut out of the system.”
»A co-sponsor of CPAC was the John Birch Society, another far-right organization that has re-emerged after years of hibernation. Its views, which William F. Buckley Jr. decried in the 1960s as an “idiotic” and “irrational” threat to true conservatism, remain unchanged. At the conference’s conclusion, a presidential straw poll was won by Congressman Paul, ending a three-year Romney winning streak. No less an establishment conservative observer than the Wall Street Journal editorialist Dorothy Rabinowitz describes Paul’s followers as “conspiracy theorists, anti-government zealots, 9/11 truthers, and assorted other cadres of the obsessed and deranged.”
»William Kristol dismissed the straw poll results as the youthful folly of Paul’s jejune college fans. William Bennett gingerly pooh-poohed Beck’s anti-G.O.P. diatribe. But in truth, most of the CPAC speakers, including presidential aspirants, were so eager to ingratiate themselves with this claque that they endorsed the Beck-Paul vision rather than, say, defend Bush, McCain or the party’s Congressional leadership. (It surely didn’t help Romney’s straw poll showing that he was the rare Bush defender.) And so — just one day after Stack crashed his plane into the Austin I.R.S. office — the heretofore milquetoast former Minnesota governor, Tim Pawlenty, told the audience to emulate Tiger Woods’s wife and “take a 9-iron and smash the window out of big government in this country.”»
@PAYANT Frank Rich s’approche de ce qui semble bien être la vérité de Tea Party. Il s’en émeut, non, il s’en désole. Cette remarque est complètement significative, à propos de la convention du CPAC, les 20 et 21 février: «But in truth, most of the CPAC speakers, including presidential aspirants, were so eager to ingratiate themselves with this claque that they endorsed the Beck-Paul vision rather than, say, defend Bush, McCain or the party’s Congressional leadership.» Ainsi, c’est cela que Frank Rich aurait éventuellement à proposer comme alternative raisonnable à la fureur de Tea Party et des partisans de Ron Paul? “...[D]éfendre Bush, McCain ou la direction [républicaine] au Congrès”? Est-ce une plaisanterie? Frank Rich a-t-il mesuré, – on le croirait pourtant en lisant certains de ses autres articles, – le niveau de décrépitude, d’infamie, de corruption intellectuelle, de nihilisme psychologique des élites en place, démocrates et républicains confondus? Croit-il que Tea Party fait partie d’une de ces générations spontanées sans autre raison qu’exister pour exprimer une colère et une haine infondées, et qui peut être expédié avec quelques exclamations bienpensantes sur la racisme, sur les “hate groups”, sur les “complotistes”, sur les “obsédés et les dérangés”, et le reste?
On répondra par l’évidence paradoxale qui ferait bien croire qu’il est lui-même, au fond, partie d’une phalange d’“obsédés” et de “dérangés” dans l’autre sens si tout cela a un sens; car, bien entendu, il croit au fond, lui-même, à la description de Tea Party comme d’une incongruité sacrilège, puisqu’il est un prestigieux chroniqueur du New York Times. Tea Party et les événements alentour, aux USA, conduisent à cet autre “point de fusion”, où les élites en place, qu’elles jouent au soutien du pouvoir ou, de façon encore plus contrainte et hypocrite, à la contestation à fleurets mouchetés du fondement de ce pouvoir même si l’insulte et la calomnie volent bas, vont être contraintes de mesurer d’une façon ouverte et pressante le fondement du système qu’elles défendent.
L’interprétation de la “nébuleuse” Tea Party comme événement conjoncturel et événement extrémiste idéologique est un jugement extrêmement difficile à substantiver dans l’atmosphère terrible qui ne cesse de se renforcer, – essentiellement sinon exclusivement, cela, pour les tenants du système en position de juger et de diffuser ce jugement. Pour progresser dans ce jugement à mesure que le phénomène “nébuleuse” Tea Party se poursuit et grandit, et suscite toujours plus d’interrogations, il faut s’appuyer sur une référence sous peine de tituber et de n’y plus rien comprendre, – et cette référence ne peut être que le système washingtonien puisqu’il n’y a rien d’autre de disponible. Mais il se trouve qu’on découvre combien cette référence, lorsqu’on s’y adosse en espérant qu’elle sera d’une solidité à toute épreuve, ne l’est plus du tout. A plus ou moins long terme, l’analyse nécessaire à la compréhension de Tea Party conduit à s’interroger sur la solidité et la légitimité de la référence qui sert d’outil principal à cette interrogation, – cette référence, c’est-à-dire le système. En vérité, un Bush ou un McCain vaut-il mieux qu’un dirigeant quasi inconnu de Tea Party, sans parler d’un Ron Paul dont on connaît tout de même les vertus, même pour un fantassin de luxe du système comme l’est Frank Rich?
Poser ces terribles questions, n’est-ce pas déjà y répondre? Et si la réponse est connue comme on l’attend, imaginez quel abîme de réflexions horriblement révisionnistes vous guette. C’est pour le compte qu’on vous enrôlerait dans le parti “des obsédés et des dérangés”…
Pendant ce temps, effectivement, la contestation hors-système étend ses ravages et nourrit les incertitudes. Rich met bien en évidence combien Tea Party est loin d’être un simple appendice de type-sous-marin de l’aile républicaine, voire un “astroturf” (mouvement populaire bidon monté par tel ou tel élément du corporate power pour obtenir indirectement un avantage ou l’autre). Sa description commence à prendre la mesure de l’ampleur du phénomène, de son caractère insaisissable, de ses tendances explosives, furieuses, de sa proximité éventuelle de passer à l’action violente. De ce dernier point, on n’a aucune certitude, mais la possibilité en est partout présente dans les esprits… Et cette possibilité, c’est le germe de la panique dans les esprits de l’establishment.
Mieux encore, ce texte nous fait bien deviner combien, selon notre formule déjà dite, à-la-Chardonne, “Tea Party c’est beaucoup plus que Tea Party”. Ron Paul, ce n’est certainement pas Tea Party, et pourtant il est dans le circuit. D’autre part, le même Paul soutient mademoiselle Médina, candidate pur jus née de Tea Party pour se retrouver dans le peloton de tête de l’élection du gouverneur du Texas, avec une chance sérieuse de l’emporter. On voit bien, également, que la “nébuleuse” ne charrie pas que de sombres desseins, qu’elle manœuvre à visage découvert, sur leur fameux terrain “démocratique”, où sa présence ne manque pas d’exacerber le débat.
Cette dispersion et cette extension du mouvement hors des sentiers battus, y compris ceux de la contestation bon chic bon genre que le système à l’habitude de contrôler, rend de plus en plus poussif l’enfermement de Tea Party dans les schémas idéologiques qui rassurent les esprits. La “gauche” américaine, y compris celle qui se prétend contestatrice et “dissidente”, n’a en général pas le beau rôle dans cette affaire. Incapable de provoquer un mouvement comme celui des années 1960 contre la guerre du Vietnam, – et Dieu sait si l’occasion ne lui a pas manqué, – enchaînée à un président célébré comme l’homme du changement et qui s’avère complètement prisonnier de son incapacité à secouer le système, elle ne peut s’empêcher de tirer à boulets rouges sur Tea Party, au nom des vertus charriées depuis à peu près un siècle, — antifascisme, anti-racisme, etc., – et dont on voit le résultat exaltant auquel leur triomphe nous a menés. Nous n’avons plus l’ombre du moindre racisme officiel (cf. Obama) ni du moindre fascisme à l’horizon, et l’on peut savourer ainsi plus à l’aise de quelle magnifique situation nous héritons. Alors, comble de l’originalité, continuons à crier “au loup” à l’adresse de Tea Party pendant que les termites nous bouffent tous crus.
Mais tout cela est accessoire. Ce qui est original et sans précédent, c’est cet investissement de la situation américaine et américaniste à la fois, celle d’un pays entier et réel et celle du système qui le contraint avec tant de violence, par une espèce de marée montante mais insaisissable, dont nul ne sait vraiment ce qui va en sortir. Car, à cet égard, pour notre compte et au contraire des beaux esprits qui savent juger les choses, en vérité nous avouons notre complète ignorance de ce que Tea Party nous réserve, de ce à quoi il va aboutir, – et d’ailleurs persuadés, nous-mêmes, que même Tea Party, si la chose existe en tant que telle, l’ignore.
…Bien au contraire, la seule prévision à laquelle nous nous aventurerions serait bien entendu celle du désordre, notamment dans les structures du système. Tea Party, certes, c’est le désordre, et, effectivement, seul le désordre peut venir à bout de ce système. En quelques semaines, au moins depuis le 19 janvier (élection du Massachusetts), tout a basculé aux USA. La crise est passée des classiques domaines financier et économique, que le système a toujours su étouffer en faisant avaler les plus monstrueuses couleuvres qu’on puisse imaginer, à un territoire qui devient de plus en plus inconnu en s’étendant, en se diffusant, en investissant des domaines inattendus. C’est comme un incendie poussé par des vents tournants et qui changent de direction.
…Par conséquent, puisque personne ne sait où la “nébuleuse” Tea Party peut mener, et Tea Party pas davantage, nous sommes conduit à l’alternative la plus simple possible. Ou bien Tea Party décline, disparaît en se dissolvant, et l’on voit mal comment pourrait se faire une telle évolution dans les conditions présentes, ou bien Tea Party poursuit sa course et l’orientation ne peut être que centrifuge. Aux USA, on sait ce que cela signifie.