Tea Party est-il un parti ?

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L’après mid-term, c’est devenu une évidence, démarre sur les chapeaux de roues. On le voit par ailleurs ce 8 novembre 2010. Un point qui revient dans certains commentaires est celui d’une “menace” institutionnelle contre le système, – l’hypothèse du “troisième parti” pour 2012. La confusion n’est pas absente de cette hypothèse, puisque celle-ci a déjà été suggérée du cœur même de l’establishment (voir Thomas Friedman le 5 octobre 2010) ; mais il s’agissait alors d’une possibilité, sinon une nécessité ou une urgence, pour cet establishment, de tenter de sortir de sa totale impasse actuelle ; Friedman, qu’on connaît bien comme porte-parole de l’establishment, proposait alors une formule complètement nouvelle mais naissant, cela va sans dire, – et mieux en le disant, pour notre propos, – de ce même establishment. Désormais, l’hypothèse est également évoquée comme une sorte de “possibilité institutionnelle d’insurrection”, évidemment connectée directement avec Tea Party.

Citons deux commentaires dans ce sens.

• De Richard Reeves, dans Truthdig.org le 4 novembre 2010. Reeves passe en revue l’extrême complexité de la situation avec l’arrivée de Tea Party au Congrès… Il enchaîne :

No one knows where the tea party is headed. Hell, few understand what the tea party is. I would guess they have three choices:

»1. Fold themselves into the Republican Party.

»2. Try to take over the Republican Party.

»3. Try to form a real third party.

»They all say they will never sell out, but the temptations are great and will become greater when the new Congress organizes. They are not strong enough (yet) or disciplined enough to knock out the Grand Old Party. And third party formation is exceedingly difficult in the United States. The two “major” parties survive by adopting the issues of potential rivals and because election laws, state by state, are really contracts between the Republicans and the Democrats to preserve each other and strangle third parties by keeping them off the ballot with arcane laws about everything from voter petitions to candidates’ eligibility.

»But still ... A recent poll of 10 key congressional districts by The Hill newspaper indicated that 54 percent of voters would like to see a third party. And exit polling on Election Day showed, surprisingly, that four out of 10 voters said they identified with the goals of the tea party, which seem to be deconstructing government, eliminating taxes and giving everyone a gun.

»I think it will be fun to watch and not good for the country…»

• A Halifax, au Canada, pour la conférence sur les questions de sécurité organisée par le gouvernement canadien et le German Marshal Fund, le sénateur McCain, un des orateurs, a dit en a parte quelques mots sur les élections (le 7 novembre 2010, sur le site de la conférence…)

«McCain also talked about last week’s U.S. midterm elections. The Republican senator issued a stern note of caution to the newly-elected members of his caucus, underlining the unpopularity, overwhelmingly illustrated in polls, of both Republicans and Democrats. If the current parties are unable to address the concerns of fed-up Americans, “I think you’re going to see a third party emerge in America,” he said.

»McCain worried that with the far right and left ends of the American political spectrum trending upward, isolationism will creep into the crafting of foreign policy.»

L’analyse de Richard Reeves, historien, commentateur des questions institutionnelles US et collaborateur régulier de Truthdig.org qui est un site plutôt proche de la dissidence que de l’establishment, n’a certainement pas la même implication dans le système que celle d’un John McCain. Les deux évoquent la même hypothèse, mais Reeves d’une façon plus prudente ; McCain, lui, est plus alarmiste, dans la mesure où la condition qu’il met à l’absence de création de ce “troisième parti” est évidemment inatteignable (que les deux partis actuels résolvent les problèmes des USA), et très difficile à représenter en mode virtualiste pour une population qui a montré aux élections qu’elle est excédée. Néanmoins, on obtient avec ces deux analyses une assez bonne synthèse indiquant combien l’hypothèse d’un “troisième parti” est dans les esprits.

On observe alors combien l’irruption de Tea Party à Washington, déjà connue et annoncée depuis des mois, a transcendé la situation en se produisant effectivement. C’est l’habituel décalage entre la prévision assurée (et confirmée) d’un événement et l’événement lui-même, qui touche les psychologies et transforme la perception de la situation politique une fois que l'événement a eu lieu effectivement. La situation aujourd’hui serait définie par la fameuse formule scientifique “tout se passe comme si”… Tout se passe comme si tout le monde, à Washington, attendait, les uns plutôt intéressés et amusés, les autres angoissés, que Tea Party fasse quelque chose. Nul ne semble accepter l’idée que la situation reste en l’état, que le 112ème Congrès s’installe, avec une insurrection en son sein (au cœur du parti vainqueur), et que cette situation ne soit pas institutionnalisée d’une façon ou l’autre ; et quelle meilleure façon de l’institutionnaliser que de faire de Tea Party un “troisième parti” ? Cela sera-t-il le cas ? Les conditions sont extrêmement difficiles, comme l’explique Reeves, qui détaille fort bien dans son texte la façon dont le “parti unique” à deux ailes (démocrate et républicaine) a verrouillé absolument le processus politique. Il n’est d’ailleurs pas assuré que la création d’un parti soit la meilleure voie pour Tea Party, si même Tea Party est capable de suivre une voie.

La vertu de Tea Party est, plus que jamais, ce que les tacticiens politiques ne cessent de lui reprocher pour pouvoir mieux annoncer sa disparition : son absence de structure, son absence de cohésion, son absence d’orientation, son “inexistence” en un mot… C’est la description même du désordre et, comme on le sait, le désordre est, selon nous, la vertu principale, voire exclusive de Tea Party. Le désordre de Tea Party répand autour de lui un désordre semblable, à mesure des fragilités et des angoisses psychologiques des dirigeants politiques de l’establishment qui sont grandes, et entretient par conséquent une tension et une fragilité du meilleur aloi possible. Par conséquent, longue vie au bordel qu’est Tea Party


Mis en ligne le 8 novembre 2010 à 09H54