Tea Party n’existe pas, – ou tout comme

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Le chroniqueur libéral (progressiste) E.J. Dionne part à l’attaque du mythe Tea Party, ou ce qu’on pourrait croire qu’il considère comme un mythe, – ce qui nous donne une “tempête dans une très petite tasse de thé”, selon le titre de son article du 23 septembre 2010, sur le site Truthdig.com. Dionne démontre aisément que les chiffres électoraux (pré-électoraux) obtenus par des candidats Tea Party sont de peu d’importance, ainsi que ce qu’on peut savoir éventuellement des effectifs du mouvement.

«Last April, a New York Times/CBS News poll found that 18 percent of Americans identified themselves as supporters of the tea party movement, but slightly less than a fifth of these sympathizers said they had actually attended a tea party rally or meeting. That means just over 3 percent of Americans can be characterized as tea party activists. A more recent poll by Democracy Corps, just before Labor Day, found that 6 percent of voters said they had attended a tea party rally or meeting.»

Dionne reconnaît au mouvement une grande habileté stratégique et, surtout, une capacité à représenter la colère des citoyens américains, ou bien, la perception des médias que ce mouvement a cette capacité… Jill Lepore, une historienne de Harvard, auteur d’un livre sur Tea Party (The Whites of Their Eyes: The Tea Party’s Revolution and the Battle Over American History, – mais le vrai Tea Party de 1774 avec l’interprétation qu’en fait l’extrême droite US) estime, selon Dionne : «…There is a “hall of mirrors” effect created by the rise of “niche” opinion media. They magnify small movements into powerhouses while old-fashioned journalism, which is supposed to put such movements in perspective, reacts to the same niche incentives.»

Par ailleurs, observe Dionne, il y a une réelle colère du peuple américain, un réel désenchantement à l’encontre d’Obama et aucune organisation ne semble pouvoir jouer le rôle de Tea Party, ou bien le rôle que Tea Party semble jouer. Par conséquent, Tea Party joue effectivement ce rôle, et CQFD…

Notre commentaire

@PAYANT Tout ce que dit Dionne est incontestable, ainsi que les historiens, ainsi que les critiques des diverses tendances dites extrémistes de Tea Party, ainsi que les comptables et statisticiens avec leurs calculettes, etc. Cela dit et après avoir dit tout cela, où en sommes-nous, sinon nulle part, pour donner une bonne appréciation qualitative du phénomène alors que toutes ces appréciations sont quantitatives ? Le problème est qu’il y a dans ces appréciations critiques des démarches rationnelles, qui entendent juger Tea Party d’une façon rationnelle à partir dé faits précis et comptabilisés effectivement du domaine du quantitatif, un nombre considérable de restrictions. Ces appréciations critiques sont faites comme si Tea Party existait en tant que tel comme une organisation classique, comme si ce mouvement faisait partie du rangement du monde et de la situation politique tel que l’organise la raison selon les consignes du système, comme si Tea Party partait à la conquête du pouvoir à l’image d’un parti classique, comme si Tea Party avait quelque vertu en soi, politique ou autre, qui conditionnât effectivement son statut et qu’on puisse réduire par la critique rationnelle, – et ainsi de suite. Tous ces aspects sont secondaires. Même s’il y a des candidats Tea Party qui pourraient être élus au Congrès, ce qui importe, comme nous l’avons écrit, n’est pas tant ce qu’ils feront à Washington que le désordre qu’ils introduiront (ou pas) à Washington ; ce qui importe, c’est déjà, avant même l’événement, qu’on en soit à débattre comme si l’événement avait déjà eu lieu... (Ce qui importe, c’est moins Tea Party que l’extraordinaire fragilité du système que le phénomène met en évidence.)

L’intérêt de Tea Party est qu’il constitue un vecteur “structurant” paradoxalement le désordre, donc l’officialisant, alors que l’on sait, ou que l’on doit savoir, que le désordre dans les structures du système est ce que le système craint le plus. L’originalité extrême de Tea Party, sa vertu, peut-être son inspiration et sa manipulation par une inspiration extérieure à lui, est cet espèce de phénomène de “corde raide” : pas assez ordonné pour entrer dans le système, pas assez désordonné pour être en dehors, un pied dedans un pied dehors, ou bien encore un pied qui empêche la porte d’être fermée sans qu’il soit nécessaire d’enfoncer la porte (chose extrêmement difficile, “enfoncer la porte”, en raison de l’extrême solidité de la chose, fabriquée selon les dernières trouvailles des systèmes du technologisme et de la communication)…

L’autre vertu de Tea Party est indirecte à lui, peut-être due aux circonstances, peut-être due aux caractère mystérieux de la constitution du mouvement, etc. Mais le résultat est là : Tea Party est perçu comme représentant la colère du peuple ; peut-être indument, selon Dionne, mais qu’importe s’il la représente dans notre perception… L’important n’est pas dans la forme, dans l’orientation, de cette colère, etc., mais dans son institutionnalisation. Puisque Tea Party existe et qu’on lui accorde la place qu’on lui accorde, la colère existe puisque Tea Party est donné comme représentant cette colère et, par conséquent, existe le très grand malaise du système qui ne peut admettre qu’il puisse y avoir la colère du peuple sous son empire, et qu’il puisse en être éventuellement la cause.

Dionne a encore raison dans cette partie-là du constat : les médias ont joué un grand rôle dans la véritable “fabrication” de cette perception de Tea Party. (Sauf aux débuts du mouvement, et c’est là une bonne part du mystère de son émergence.) Et alors ? Le système de la communication est le système de la communication, et l’on ne peut dire que Dionne n’en fasse pas partie, – ainsi est-il lui-même involontairement partie prenante de l’opération d’institutionnalisation de Tea Party, – ne serait-ce que par son article qui met pourtant en cause la validité du statut de Tea Party… Dans tous les cas, ce n’est pas la première fois que le système de la communication exerce un “effet fratricide”, et du moment que Tea Party est intronisé en structure de représentation de la colère populaire, qu’il le soit de cette façon importe peu du point de vue de l’efficacité de la chose observée selon une position de critique radicale du système. Plus encore, – qu’il le soit de cette façon montre bien que le besoin d’une représentation institutionnelle de la colère du peuple existe, et que le rôle échoit à Tea Party ou au “parti Tartempion” importe peu, – et vive Tea Party dans ce cas, puisque c’est lui qui est choisi.

Le cas de Tea Party institue nécessairement, dans le jugement qu’on doit émettre, une approche radicale du problème que pose ce mouvement, approche qui doit être toute entière conditionnée par la question de savoir ce qui fait le plus de dégâts au système. Manifestement, Tea Party en fait beaucoup, et les esprits les plus avertis à cet égard en conviennent, – comme lorsque Bill Clinton conseille à Obama : “Soyez donc vous-même Tea Party” (sous-entendu politique, ou politicien : c’est la seule solution pour couper les ailes de Tea Party et de la menace qu’il fait peser sur le parti démocrate et l’establishment). Pour cette raison, Tea Party représente un événement important, parce qu’en cette période cruciale tout doit être sacrifié à l’attaque contre le système et qu’en cette occurrence Tea Party est particulièrement efficace à cause de sa position extrêmement négative (ennemi sans merci du gouvernement central) qui rend très difficile de s’appuyer sur ses revendications pour lancer un mouvement de réforme qui conduirait en fait à rejoindre une tendance cherchant à sauver le système par la réforme, et à récupérer Tea Party par conséquent..

A notre sens, Tea Party doit être considéré d’une façon objective, de l’extérieur et dans l’ensemble général de la situation, non pour ce qu’il semble être mais pour ce que nous apprécions de sa position et de son rôle. La puissance du système de la communication autorise cette approche. L’“être” de Tea Party est impossible à déterminer, comme on le comprend à travers les multiples perceptions, les multiples interprétations autant que par le caractère dissimulé ou mystérieux du mouvement, ce qui a un intérêt positif dans ce cas. Cette imprécision, ce vague invitent effectivement à considérer ce phénomène de l’extérieur, dans la situation générale nouvelle qu’il crée. Il s’agit bien de l’envisager d’un point de vue “maistrien” (référence à Joseph de Maistre), en admettant, – ce qui est complètement acceptable, – que la situation eschatologique que nous vivons est au moins d’une intensité radicale égale à celle de la Révolution française examinée par Maistre. Tea Party devient alors à la fois la représentation et l’instrument d’une tendance générale, métahistorique, de résistance au système, voire de contre attaque du système, – dans ce cas où tous les moyens sont bons et deviennent objectivement vertueux dès lors qu’ils s’inscrivent dans l’objectif de ce flux supérieur. La possibilité que nous envisageons que Tea Party soit un “système anthropopuliste” porte sur la puissance et l’originalité de la structure du phénomène à l’intérieur de cette influence, éventuellement à cause d’elle. Cette influence que nous envisagions pour présenter l’hypothèse de ce développement de Tea Party en un “système anthropopuliste”, une influence qui pourrait être du type d’une intuition placée évidemment au-dessus d’une raison humaine totalement prisonnière de sa subversion par le système, caractériserait bien entendu cette tendance métahistorique qui utilise Tea Party, et non Tea Party lui-même. De la même façon, le destin de Tea Party n’a que peu d’intérêt en soi, et d’ailleurs trop difficile à prévoir pour construire une prospective utile à son propos ; tant qu’il dure comme il se développe, tant qu’il peut apparaître comme un instrument de cette tendance métahistorique représentant une appréciation intuitive supérieure de la situation, il est “bon à prendre” et constitue un phénomène intéressant. (Sinon il deviendra comme les “révolutionnaires” de Maistre, – où la “révolution” à conduire serait celle de l’attaque déstructurante du système, qui suit la même tactique que les événements de la Révolution française même si les acteurs ont des valeurs politiques et métaphysiques différentes : «On a remarqué, avec grande raison, que la révolution française mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse... [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement.») La situation où nous sommes placée est celle de la vigilance d’un observateur : identifier les phénomènes qui peuvent effectivement être utilisés par cette tendance métahistorique, jusqu’à ce que l’un d’eux (ou plusieurs conjugués) aient un effet tactique suffisamment durable et rupturiel pour créer les conditions irréversibles d’une rupture du système. De ce point de vue l’intérêt incontestable de Tea Party est sa tactique d’entrisme dans le parti républicain, qui fait partie du système (de l’establishment), jusqu’ici sans avoir abdiqué ces caractéristiques déstructurants qui lui sont naturels.


Mis en ligne le 25 septembre 2010 à 14H59