Tea Party, ou comment s’organiser sans se compromettre

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Le mouvement Tea Party reste un puissant acteur des élections mid-term aux USA, mais un acteur extrêmement incontrôlable et marqué par des polémiques dans tous les sens. Un semblant d’organisation, au niveau législatif, pourrait commencer tout de même à se mettre en place avec le succès de la députée républicaine Michele Bachmann, soutenue par Tea Party, qui a reçu l’autorisation de la Speaker Nancy Pelosi d’organiser un caucus de Tea Party à la Chambre après les élections (voir Huffington.post du 19 juillet 2010).

Le désordre institutionnel de Tea Party est l’un des caractères et l’une des vertus paradoxales du mouvement. La même chose pourrait être dite de son désordre politique, au niveau de l’orientation et des options. Même s'il est marqué à droite, Tea Party est paradoxalement un mouvement représentant le désordre US, d’où son succès initial de soutien et d’où sa difficulté à trouver une expression politique.

@PAYANT D’une certaine façon, on pourrait dire que la formule du caucus est la formule “idéale” (dito, la moins compromettante) pour Tea Party par rapport à diverses nécessités contradictoires auxquelles le mouvement est confronté : nécessité d’avoir une représentation nationale pour peser sur la machinerie politicienne de Washington, nécessité de ne pas perdre son caractère original d’absence de ces structures politiciennes classiques qui conduisent quasi automatiquement à la récupération par l’establishment, nécessité de conserver des orientations très différentes qui reflètent les conceptions des membres de Tea Party, réunis par ailleurs par les deux grands thèmes du refus d’un gouvernement washingtonien important et du refus d’intégration dans l’establisment. A partir du moment où Tea Party a choisi de donner son investiture à certains candidats, sans que ces candidats abandonnent leurs étiquettes et leurs appartenances initiales et partisanes, l’idée du caucus est effectivement la seule solution dans le cadre extrêmement rigide et contrôlé du système législatif. Le caucus est un regroupement informel mais institutionnalisé qui se fait selon des normes non législativement admises (par communautés ethniques ou raciales, essentiellement, comme le caucus hispanique ou le caucus africain-américain regroupant les élus sans distinction de parti de ces origines ethniques et communautaires). C’est une des première fois qu’un caucus est formé à partir d’un mouvement populaire défini par des facteurs aussi larges et incertains, aussi peu spécifiques que l’origine ethnique, que ceux qui caractérisent Tea Party.

Selon le destin des élections et des candidats qui ont reçu et qui vont recevoir le soutien de Tea Party, le caucus de Tea Pary aura ou non un poids législatif. Mais il aura certainement un poids activiste important. Bachmann y pèsera d’un poids important, elle qui ne cache pas des ambitions politiques marquées. Il faut voir aussi si le caucus s’ouvrira à des parlementaires non élus avec son investiture formelle, ou dont les relations formelles avec Tea Party sont moins affirmées, – notamment, le parlementaire républicain de la Chambre Ron Paul, dont le poids et la popularité sont considérables. (Ron Paul, beaucoup plus que son fils Rand, officiellement investi par Tea Party, mais qui n’a pas les options séduisantes et l’envergure de son père.) Dans quelle mesure Ron Paul pourrait-il trouver dans le caucus de Tea Party, formellement ou non, une masse de manœuvre sur laquelle s’appuyer à la Chambre pour certains de ses projets ?

Pour l’instant, un seul démocrate (Walt Winnick, de l’Idaho) avait reçu l’investiture de Tea Party et l’a réfutée après une polémique autour d’un dirigeant local de Tea Party qui a publié sur son site une lettre volontairement apocryphe, le pastiche d’une lettre d’un “homme de couleur” au président Lincoln, cela pour répondre à la forme des accusations de “racisme” contre Tea Party, de l’association de défense des Noirs NAACP (voir ce qu’écrit des accusations de NAACP Patrick Buchanan, ce 13 juillet 2010, sur le site d’American Conservative). Ce dirigeant a été écarté de la direction du mouvement et même du mouvement lui-même, mais son cas est loin d’être résolu à cause de l'organisation informelle du mouvement, d'autant plus que la cause de sa dénonciation entre dans la polémique de l’attaque du système contre Tea Party. Officiellement, les démocrates et les progressistes rejettent Tea Party pour son prétendu “racisme” mais diverses voix se font entendre pour protester contre cette tactique qui, sous prétexte d’accusations très caractéristiques du système lorsqu’il veut supprimer des mouvements populaires, tend effectivement à empêcher une union antisystème de la droite et de la gauche. (Voir ce qu’en dit le progressiste David Spero le 15 juillet 2010, sur Dissident Voice, lorsqu’il proteste contre la dénonciation des milices de droite par la gauche progressiste antisystème.)

Tea Party a connu des remous sans nombre depuis plusieurs mois et il en connaîtra encore. On dirait que ces remous sont sa raison d’être en raison de son absence structurelle volontaire d’organisation, du rassemblement de personnes et de groupes venus d’horizons différents, ayant des préoccupations différentes derrière un but commun antisystème et adversaire d’un gouvernement central fort et, surtout, craignant par-dessus tout la récupération par le système washingtonien. L’idée du caucus, dès lors qu’il y aura des élus soutenus officiellement par Tea Party, représente la meilleure formule de compromis possible. Un caucus n’est pas un parti, donc il n’est pas institutionnalisé, donc il n’est pas en principe “récupéré” et il est difficilement “récupérable”, – mais il peut influer fortement sur des orientations fondamentales du corps législatif. Dans le cas de Tea Party, c’est la situation la plus acceptable permettant de concilier les risques de l’“entrisme” (dans les structures du système) et la nécessaire indépendance vis-à-vis du système. En fait, l’efficacité éventuelle de ce caucus sera fonction des événements extérieurs aux USA, et nullement de la situation au sein du Congrès. S’il y a une situation agitée et tendue, l’expression d’une colère populaire, etc., comme il y a aujourd’hui, ce caucus pourrait devenir une structure non contraignante qui pourrait, qui devrait relayer ces diverses réactions populaires. Reste à voir sous quelle forme se ferait ce relais, et c’est à cela qu’on jugera de la capacité de Tea Party à résister à l'“esprit” de la récupération par le système. Quoi qu’il en soit, c’est bien la situation extérieure au Congrès, dans les rues des villes et des Etats des USA, qui sera déterminante.


Mis en ligne le 19 juillet 2010 à 06H01