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13565 juillet 2014 – Le “cessez-le-feu” en Ukraine (les divers cessez-le-feu) et sa valse à mille temps sont devenus d’une façon ouverte le commentaire de l’évolution des positions au sein du bloc BAO, et notamment d'une divergence concrétisée entre l’Europe (Allemagne-France) et les USA. Est-ce important, voire décisif ? Si oui, alors Poutine peut commencer à être satisfait, parce que cela pourrait signifier que sa tactique du “laisser-faire et encaisser” sans répondre aux provocations du côté ukrainien commencerait à marcher : les provocations de Kiev-CIA s’autoalimentant, aggravant la situation, rendant les Européens (France-Allemagne) de plus en plus nerveux, donc de plus en plus hostiles à l’action de boutefeu des USA... Le but des Russes, bien entendu, c’est de provoquer la rupture du front BAO, d’opposer les Européens aux USA.
Dans tous les cas, on a pu voir, dans une séquence rapide, ce cessez-le-feu abrogé puis rétabli par Porochenko sous la pression combinée du trio Russie-Allemagne-France, qui se sont constitué dans une force de négociation, avec l’Ukraine. Le 30 juin, Porochenko a annoncé qu’il abandonnait le statut de “cessez-le-feu” et lançait une grande offensive contre l’Est. Séquence classique : les rebelles du Donbass toujours les armes à la main, absolument hostiles à Kiev ; les extrémistes manipulés par la CIA & Cie lançant eux-mêmes des provocations, attisant les ripostes des forces du Donbass, dénonçant ces “violations” du cessez-le-feu ; le “roi du chocolat” soumis aux pressions habituelles pour repartir à l’attaque, répondant aux pressions de la CIA & Cie, etc. La “grande offensive” de reprise des combats-qui-n’ont-jamais-vraiment-cessé, annoncée le 30 juin, s’est rapidement avérée, comme les précédentes, assez chaotique et sans effets fondamentaux. Le 2 juillet, une nouvelle réunion des “quatre” à Berlin, au niveau des ministres des affaires étrangères (l’Allemand Steinmeier, le Français Fabius, le Russe Lavrov et l’Ukrainien Pavlov Klimkine), aboutissait à la décision d’un nouveau cessez-le-feu pour ce 5 juillet. La question n’est pas ici celle de l’efficacité de la mesure mais bien celle de l’évolution des positions des divers acteurs diplomatiques, et ce que signifie cette évolution sur la plan général des relations entre les uns et les autres (principalement, Russie et bloc BAO avec les Européens d’une part, en tant qu’entités nationales plus que membres de l’UE, et les USA d'autre part.)
L’action diplomatique a été à la fois frénétique, improvisée et également significative. Il se forme de facto une sorte de “groupe de négociation”, ou “groupe de contact” selon le terme générique utilisé, formé des trois grands pays et de l’Ukraine, selon un axe Paris-Berlin-Moscou. En effet, dans cette “valse des cessez-le-feu”, il y a deux grands absents. L’absence de l’UE n’a pas une signification excessive, les deux Ouest-Européens prenant en charge une sorte de “représentation de l’UE” par ailleurs plus ou moins au point mort avec le changement de personnel (prochain départ de Ashton). L’absence des USA, par contre, est devenue un fait significatif.
Il est manifeste que la politique US est pour l’instant, absolument neocon, sans le moindre contrôle : maximaliste, belliciste, manipulatrice de Porochenko dans le sens d’une politique de liquidation de la rébellion de l’Est du pays, avec un appui du système de la communication (voir une critique de la position du New York Times, journal de référence-Système, le 3 juillet 2014, sur WSWS.org). Mais cette politique complètement neocon n’est plus soutenue, imposée, par tout le poids de l’administration, à cause de l’Irak (voir plus loin). Dès lors, cette politique de tous les excès sans l’appui de la communication-Système de l’administration, perd de sa substance, donc de son influence ; les USA sont moins présents, moins écoutés, moins sollicités... Il y a donc, pour l’instant et dans une situation très fluide, très vite changeante, le fait manifeste d’un certain isolement des USA et d’une certaine cassure entre Washington et ses “alliés” européens. Ainsi l’explique ce commentaire de Ray McGovern, dans ConsortiumNews du 2 juillet 2014 (alors que McGovern écrit avant l’annonce du nouveau cessez-le-feu, qui renforce le constat de l’isolement US).
«Ukrainian President Petro Poroshenko – by thumbing his nose at the leaders of Russia, Germany and France as they repeatedly appealed to him to renew the fragile ceasefire in eastern Ukraine – has left himself and his U.S. patrons isolated, though that’s not the version of the story that you’ll read in the mainstream U.S. press. But the reality is that an unusual flurry of high-level conference calls last weekend from key European capitals failed to dissuade Poroshenko from launching major attacks on opposition forces in eastern Ukraine. Washington was alone in voicing support for Poroshenko’s decision, with a State Department spokeswoman saying “he has a right to defend his country.”
»As Ukrainian air and artillery strikes increased on Tuesday, so did diplomatic activity among the Europeans with the U.S. playing no discernible role in the peace efforts. There was no sign, for example, that Secretary of State John Kerry was invited to a hastily called meeting in Berlin on Wednesday involving the foreign ministers of Germany (Frank-Walter Steinmeier), France (Laurent Fabius), Russia (Sergey Lavrov), and newly appointed Ukrainian Foreign Minister Pavlo Klimkin.
»This marginalization of the U.S. is a consequence of a well-founded suspicion that Poroshenko’s fateful decision to “attack” came with Washington’s encouragement. The continued provocative behavior of Secretary Kerry, Assistant Secretary of State for European Affairs Victoria Nuland and other U.S. hardliners comes despite the fact that Russian President Vladimir Putin still holds the high cards in this regional standoff...»
Voici donc cet accord du 2 juillet à Berlin (voir Russia Today, le 2 juillet 2014), entre les quatre pays, portant sur un cessez-le-feu pour ce 5 juillet. Comme on le comprend, l’efficacité de la mesure n’est pas ici en cause, certes, mais bien les effets du processus qui a abouti à son adoption. Certains points et aspects particuliers des positions des principaux acteurs méritent d’être présentés et explicités, notamment parce qu’ils renvoient à des grandes tendances qui nous permettent de mieux comprendre cette crise.
• Il y a d’abord le cas Porochenko, le “roi du chocolat” fait président. Ce personnage assez improvisé et grotesque est certes apprécié au sein des dirigeants de l’UE, où l’on goûte le grotesque improvisé, parce qu’il semble avoir quelques bonnes plaisanteries qui font rire (voir Reuters, le 29 juin 2014, nous exposant la substance, sinon l’essence si c’est le cas, du “roi du chocolat”) : «His performance before European Union leaders in Brussels was a slick tour de force, delivered in fluent English and exuding humor and self-confidence [...] Showing a flash of humor that enlivened EU leaders immediately, he flourished a commemorative pen embossed with the November 2013 date of the EU's Vilnius summit...»). Il reste que Porochenko, c’est d’abord une marionnette, d’ailleurs lui-même se prêtant sans hésiter à ce jeu dans la mesure des habitudes politiques du pays autant que dans la mesure de son impuissance sinon de son incapacité à tenir un autre rôle que celui-là ; mais le problème étant, du fait de la complexité de la situation, qu’il est marionnette d’au moins deux, peut-être trois tireurs de ficelle : les USA, les Européens (dans le chef de l’Allemagne d’abord, et sa suite), éventuellement les extrémistes de ses bandes ultra-nationalistes diverses qui jouent un rôle essentiel dans les opérations dans le Donbass et disposent donc de l’argument de la force dont ils n’hésitent pas à se servir pour affirmer leur position politique intérieure... Quand les trois s’accordent à peu près, tout va bien, quand les lignes commencent à diverger, la marionnette est écartelée et va de l’une à l’autre selon l’efficacité des pressions qu’elle perçoit. C’est ce qu’on a vécu durant les dix derniers jours, pour la séquence qui nous occupe Cela ne dit rien de ce que sera l’évolution de Porochenko, mais beaucoup du désordre de la crise ukrainienne ; et cela favorise effectivement les divergences, quand elles apparaissent comme c’est le cas, entre les tireurs de ficelle... Bien entendu, rien ne dit que Porochenko ne changera pas à nouveau de trajectoire, c’est même assez probable.
• Comme on l’a dit, Poutine est plus à l'aise, après avoir risqué le pire auprès des milieux politiques et d'influence à Moscou, et aussi auprès de l'opinion publique, où l'inaction russe devant les attaques des populations russophones du Donbass était de plus en plus mal supportée. Si Poutine parvient à rompre l’unité du bloc BAO et obtient un traitement plus acceptable du Donbass, il retrouve une position confortable, sinon favorable. On pourrait même mettre éventuellement à son crédit une partie de l’évolution la plus récente de Porochenko, le dernier virage en date du “roi du chocolat” relançant un cessez-le-feu qu’il avait abandonné a quatre jours avant ; en effet les condamnations solennelles de Poutine et de Medvedev de l’attitude de Porochenko abandonnant le cessez-le-feu avaient, par rapport à l’attitude modérée et conciliante habituelle de la Russie, une allure soudainement très menaçante en le mettant personnellement en cause, qui a pu poser sur son évolution. (Medvedev, sur son compte-tweet : «By breaking the truce [with self-defense forces in the People’s Republics of Donetsk and Lugansk] President Poroshenko has made a dramatic mistake. It’ll bring new victims. And for all of them, he’ll be personally responsible...») Bien entendu, cet effet vaut pour la séquence et ne préjuge en rien (voir plus haut) de l’évolution possible, à venir, du président ukrainien ; non plus de l’évolution de la position russe si les événements dans le Donbass s’aggravait et rendrait intenable la politique de non-intervention de la Russie.
• Bien entendu, là où la Russie marqué des points et reprend la main, c’est en étant partie prenante dans le groupe en train de prendre une allure structurelle pour mettre en place un cessez-le-feu, le contrôler, aller au-delà, etc., – groupe formé des quatre pays (Allemagne, France, Russie, Ukraine). Mais on ne peut s’arrêter à ce seul point de la situation intérieure ukrainienne, car nous sommes proche d’un autre niveau, bien plus élevé, – et là, pour comprendre ce dont on parle, il faut se référer à l’“alliance anti-dollar” en cours de formation (voir le 3 juillet 2014). D’abord, on peut partir de l’observation sur la composition de ce groupe pour comprendre l’évolution de la situation, par rapport, par exemple, – mais exemple particulièrement significatif, sinon exemple-clef, – à l’intervention internationale pour signer l’accord mort-né et bafoué du 21 février à Kiev. Les trois intervenants extérieurs étaient l’Allemagne, la France et la Pologne, la Russie n’ayant envoyé qu’un observateur. On voit que la Pologne a disparu, remplacée par la Russie, d’abord parce que la Pologne est marquée par son alignement complet sur les USA. (Cela justifierait, si l’on étend la réflexion au domaine le plus vaste, la remarque furieuse de Sikorski, lors de l’intervention que nous signalions le 24 juin 2014 : «The Polish-American alliance is not worth anything. It’s even damaging, because it creates a false sense of security in Poland... Complete bullshit... We will get a conflict with both Russians and Germans, and we’re going to think that everything is great, because we gave the Americans a blowjob. Suckers. Total suckers.») Par la force des choses, on comprend que ce regroupement ne plaît guère à Washington, – nous voulons dire, quand Washington s’en apercevra...
• Cela signifie, comme nous le signalions effectivement le 3 juillet 2014, que le développement d’initiatives telles que l’“alliance anti-dollar” qui se nourrit de divers événements, dont cette entente pour tenter de forcer à un règlement intérieur ukrainien, pourrait bien tendre à impliquer ses participants dans un affrontement à un bien plus haut niveau... («Si l’opération s’étend au BRICS, ce qui est en cours effectivement, si elle intéresse des pays européens, – comme la France, citée ici, et probablement l’Allemagne, qui y verrait en plus d’un assez bon œil une façon également “élégante” de riposter aux entreprises de la NSA, – alors il s’agit bien d’un “alliance” dont le contenu politique est évident, – et explosif, d’ailleurs. Comme disait fameusement Lénine, “pas d’omelette sans casser des œufs” : une “dé-dollarisation” sera nécessairement vue par les USA, quand ils s’en apercevront, comme une “alliance anti-dollar”, c’est-à-dire une alliance contre les USA... Et alors, puisque c’est exactement le cas ? On appelle cela une “vérité de situation”.»)
• Reste un acteur essentiel de la crise, qu’on a beaucoup moins entendu ces derniers jours, les USA. Cet acteur mérite une appréciation à part...
Les USA ? En un sens, l’Ukraine n’a jamais passionné les commentateurs US. Même les antiSystème, les “dissidents” qui ont été les premiers à développer un commentaire indépendant et agressif à l’encontre de la politique-Système et du Système lui-même, n’y ont prêté qu’une plume dissipée et assez épisodique hors des pics de tenson paroxystiques. Depuis que l’Irak a “re-explosé” sous les coups d’ISIS, à nouveau toutes les attentions sont tournées vers l’Irak, y compris celle des antiSystème et de leurs adversaires patentés, les neocons et les libéraux R2P extrémistes. D’une certaine façon, nous dirions que l’Amérique a retrouvé son démon favori, l’“Événement” quasi-métahistorique qui l’a marquée à jamais, qui a concrétisé, qui a opérationnalisé la réaction dans tous les sens de l’attaque du 11 septembre. (Le choc fut instantané : dès l’après-midi du 11 septembre 2001, Rumsfeld donnait la consigne générale d’orienter tout l’appareil d’influence et d’évaluation du Pentagone vers une attaque de l’Irak de Saddam Hussein.)
Il faut à nouveau préciser que nous ne parlons pas ici des “pro” et des “anti”, employés-Système, antiSystème, etc., selon une appréciation différente mais de tous les citoyens engagés dans la bataille qui déchire l’Amérique depuis 9/11... Le débat s’est ouvert comme une bombe explose de savoir si les USA devaient à nouveau s’engager en Irak, souvent dans des conditions ambiguës puisque, par exemple, les antiSystème (surtout les libertariens type Antiwar.com/Justin Raimondo, etc.) militent avec ferveur contre un tel engagement alors que cet engagement constituerait une aide “objective” à un ensemble de force (Maliki d’une certaine façon, l’Iran, la Syrie, voire la Russie d’une façon moins active) dont le rôle antiSystème et anti-US est avéré. (Le contraire vaut aussi bien, comme il est apparu dès les premiers jours de l’offensive ISIS, lorsque le sénateur Lindsay Graham fit la promotion d’une alliance de circonstance avec l’Iran, qu’il rêve de faire bombarder jusqu’à ce qu’anéantissement s’ensuive depuis dix ans.) Plus que jamais, la spécificité américaniste joue à plein, qui sépare les proSystème et partisans de l’intervention, quelle qu’en soient les circonstances jusqu’au plus contradictoires, et les antiSystème et adversaire de l’intervention, regroupés qu’ils sont sous la bannière de l’anti-interventionnisme/neo-isolationnisme.
L’administration étant partie prenante dans cet affrontement selon des tendances et des poussées complexes où dominent les calculs politiciens et où prolifèrent les contradictions qu’on a vues ci-dessous, elle s’est engagée à fond dans le débat, – ou dirait-on plutôt, ceci équivalant à cela, qu’elle “s’est encalminée à fond dans le débat” ? Le caractère d’Obama, fait d’indécision et de microgestion des conflits aboutissant non pas à l’absence de décisions mais à une succession de décisions sectorielles plus ou moins officielles, plus ou moins graduées et parfois sinon souvent avec des épisodes contradictoires, ce caractère qui prête tant le flanc à la critique alors qu’il voudrait s’en faire quitte a donc constitué, une fois plus, le contraire de ce qu’il attendait, c’est-à-dire un accélérateur dans ce sens de la confusion et pour l’installation du cas irakien comme affaire dominante, pour la polémique interne plus que pour l’action. On a alors retrouvé, en pleine affirmation et même en pleine exacerbation, la caractéristique essentielle du système de l’américanisme aux niveaux psychologique, bureaucratique et de communication, qui est d’une part son incapacité de traiter en même temps deux sujets sensibles et paroxystiques, qui est d’autre part d’introduire son impuissance générale à faire des choix d’action et à agir vite dans une occurrence crisique brusquement surgie et demandant détermination et rapidité...
En conséquence et en fonction des habitudes psychologiques et de l’absence complète de souplesse de la puissante et sclérosée bureaucratie US, le choix s’est imposé de facto. L’Ukraine est passée au second plan, réduite au “minimum syndical” de l’influence déstructurante US, un édito du Washington Post par-ci, un coup de téléphone à Porochenko de Biden jouant les bouche-trous par là. Cette tendance est d’autant plus forte qu’une composante annexe et essentielle de la nouvelle crise irakiennes est qu’elle mobilise l’appareil polémique et antagoniste entre toutes les forces washingtoniennes, avec le maximalisme irresponsable du Congrès (non sans certaines divisions) et de la presse-Système, avec les mêmes extrémismes courants, et les sinueuses manœuvres habituelles de l’administration, qui veut intervenir un peu sans trop intervenir, qui veut soutenir le gouvernement irakien en demandant un changement de gouvernement, qui veut envoyer quelques troupes pour des missions spécifiques sans qu’on puisse dire qu’il y ait des troupes US en Irak (pas de réengagement apparent, surtout pas), etc.
L’intervention US en Ukraine n’est pas inexistante, bien sûr que non et bien au contraire. Mais elle n’est plus la priorité du jour et elle disparaît de la puissance d’influence du système de la communication. Elle est désormais réduite à l’activisme sans aucun frein ni contrôle des organisations, agences, etc. (CIA & the rest) qui se sont déployées massivement en Ukraine et agissent à tous les échelons de la structure-Kiev pour influencer, sinon contrôler et diriger une action maximaliste encourageant à l'intervention dans le Donbass. Il s’agit d’une action chaotique, sans aucune coordination, répondant plus à la surpuissance du Système qu’à une politique quelconque, fût-elle agressive et hégémonique, et fût-elle de pure communication.
Par conséquent, il n’est pas question d’une “division du travail”, entre partenaires (UE et USA) d’un bloc BAO bien homogène, mais bien d’activités parallèles non coordonnées qui tendent éventuellement à devenir de plus antagonistes, sinon concurrentes, si les intérêts fondamentaux écartés lors de l’action homogène réapparaissent. L’UE en tant que telle n’intervient plus guère, sinon au niveau “opérationnel”, en distribuant diverses aides à l’“Ukraine démocratique”, selon son réflexe bureaucratique habituel ; elle est remplacée au niveau de l’action d’influence et plus ou moins diplomatique par les pays concernés, essentiellement Allemagne et France. Placés devant les contraintes d’une situation pressante, ces pays sont bien forcés de reconnaître de plus en plus précisément, – quoique in peto et sans en rien dire, – que la pseudo-politique US, aujourd’hui réduite à l’action subversive massive sur le terrain, est totalement nihiliste et capable de rien d’autre que d’accentuer le désordre et d’activer toujours plus la poussée agressive vers l’Est du pays, avec les risques de conflagration générale que cela suppose.
Cela ne signifie nullement qu’on puisse affirmer que les pays européens concernés sont en train d’épouser une nouvelle voie, que certains seraient prêts à saluer comme celle de l’indépendance (par rapport aux USA). Ils sont simplement conduits par la crainte de la perspective effrayante de l’aggravation d’un conflit qui pourrait impliquer la Russie, et ils ont l’obscur et effrayant soupçon qu’à trop suivre les USA c’est dans cette voie qu’ils s’engagent. Ils sont donc conduits, sans trop l’affirmer et peut-être sans en avoir conscience du tout, à “profiter” du retrait actuel de la masse centrale de l’activisme de communication et de pression publique des USA, redirigée vers l’affaire irakienne, pour développer une politique du cessez-le-feu et d’arrangement momentané, à propos de laquelle ils trouvent les Russes qui réclament depuis longtemps une action dans ce sens.
Il faut insister là-dessus parce que c’est le fait essentiel. Il n’y a pas de stratégie consciemment construite (de la part de l’Allemagne et de la France), il n’y a pas de politique claire. Si l’on demande aux principaux acteurs de la séquence des précisions sur ce point, on n’en obtiendra rien sinon les slogans habituels, et notamment la réaffirmation de la solidarité sans faille à l’intérieur du bloc BAO. Ce n’est pas ce qui nous importe, leur “stratégie“, leur “politique”, parce qu’ils n’en ont point, ni de l’une ni de l’autre. Mais, dans ce cas, libérés des pressions directes et publiques (communication) de Washington tout entier plongé dans son chaudron irakien, ils suivent la force générale qui les pousse à chercher des arrangements, encore plus avec les Russes que pour le seul cas de la stabilisation de l’Ukraine. Nous parlons donc bien ici de ces forces métahistoriques qui, à notre sens, conduisent les affaires, à un moment où les acteurs sont d’une extraordinaire inconsistance, incapables d’élaborer stratégie et politique, ligotés par les narrative absurdes auxquelles ils souscrivent, – prisonniers complets du Système, pour tout dire. Peu importe au reste, puisqu’importe essentiellement sinon exclusivement que les choses se fassent, et c’est encore mieux si les choses se passent sans qu’ils s’en aperçoivent. Bien entendu, ce jugement abrupt concerne essentiellement, sinon exclusivement, les acteurs du bloc BAO. Les Russes, qui sont moins prisonniers du Système, se rendent compte de l’opportunité qu’ils recherchent depuis le début, qui est de diviser l’Europe et les USA. D’ailleurs, ils ne s’en cachent pas et le disent à chaque occasion.
Pour autant, rien n’est acquis et il ne convient pas une seule seconde de saluer ces pays européens comme s'ils étaient “en train d’épouser une nouvelle voie, que certains seraient prêts à saluer comme celle de l’indépendance (par rapport aux USA)”. Ce qui se passe n’a rien à voir avec une telle trajectoire, et tout peut changer, basculer à nouveau vers l’arrangement initial, si les circonstances vont à nouveau dans ce sens. La seule chose qu’on peut observer, – et ce n’est pas rien, – c’est que “les circonstances” justement ont évolué dans une nouvelle disposition qui s’appuie sur des pulsions, des frustrations, des pathologies psychologiques d’une très grande puissance.
La psychologie américaniste, depuis 9/11, avec le préliminaire de 1990-1991 et des années 1990, cultive une formidable obsession vis-à-vis de l’Irak, une obsession à la fois assumée dans ses aspects de communication guerrière, et à la fois inconsciente, et puissamment inconsciente, pour la vérité de la situation. Elle en est prisonnière d’une certaine façon, et fait reposer toute la logique sacrée de sa politique illogique depuis 9/11 (de la politique-Système, en fait) sur le fait irakien, sur la narrative irakienne, sur l’affirmation malgré tout et malgré l’obscénité formidable de la narrative, qu’elle a eu raison d’attaquer l’Irak et qu’elle l’a finalement emporté en installant un nouvel Irak “démocratique”, – et l’effondrement de l’Irak serait, pour elle, un coup terrible contre toute cette construction mythique. Contre cette obsession qui fonde la justification faussaire de toutes les catastrophes et de tous les actes de banditisme développés depuis par les USA, il y a les divers montages financés et activés par les USA (y compris ISIS en bonne partie, certes), les soi-disant nouvelles priorités “stratégiques”, la volonté de ne pas s’engager à nouveau, etc. ... Et le tout donne ce tourbillon de caquetage de basse-cour, de polémiques, de décisions annoncées et exécutées du bout des lèvres, cette impression de se presser de toute urgence, le plus doucement possible, cette urgence proclamée depuis près d’un mois d’agir dans les heures qui viennent, et ainsi de suite.
S’il y a une chance d’un enchaînement conduisant à une rupture à l’intérieur du bloc BAO, elle se trouve là, dans la psychologie malade de la partie américaniste. La psychologie US, la plus proche du Système, est d’une faiblesse considérable. Elle n’a aucune capacité de résistance à la politique-Système, et au Système lui-même, et elle traduit cela selon ses obsessions. Les borgnes cul-de-jatte étant rois aux royaume des aveugles cul-de-jatte, certains pays européens, ceux qu’on voit en action vis-à-vis de la Russie et en ne leur prêtant surtout aucune vertu d’autonomie et de brio, – “certains pays européens”, cela ne mérite même pas d’être nommés Allemagne et France tant ils le sont si peu, allemands et français, – ceux-là pourraient effectivement se retrouver dans une position de rupture de leur bloc avec les USA, et peu à peu récupérés par la politique générale représentée par les Russes. Il suffit de dire, et surtout rien de plus, que cette possibilité existe désormais ; “surtout rien de plus” certes, mais ce n’est pas rien....
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