The Great Recette’

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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The Great Recette’

29 octobre 2023 (00H45) – La disparition de l’Ukraine de la scène de la réalité du monde est un événement extraordinaire, une sorte de “Pearl-Harbor de la perception” dont on est loin d’avoir pesé toutes les conséquences. Pour l’heure et pour nous-mêmes, – après avoir déjà beaucoup parlé depuis trois semaines et le coup de tonnerre de Hamas-Israël de cet événement-là de l’élimination de l’Ukraine de notre perception et de notre communication, – je vais tenter d’en dégager un élément qu’on pourrait, non qu’on devrait juger comme essentiel.

En gros, il s’agirait de dire que c’est l’échec d’un “coup d’État sur la réalité du monde”. On connaît bien entendu les modalités pratiques de la responsabilité des divers comploteurs, – qui, d’ailleurs et qu’on soit bien fixé, ignoraient qu’ils complotaient et pourquoi puisqu’ils n’agissaient finalement qu’en semi-zombie d’un hubris auquel ils ne comprennent rien... La première et la principale de ces modalités est bien entendu leur extraordinaire bêtise (des comploteurs), dans le chef des dirigeants et des élites chargés de la mission par le Satan de Douguine.

J’ignore d’ailleurs si Satan y a vu quelque chose, habitué qu’il est à n’y voir que du feu. Il y a longtemps qu’on n’a pas cité Guénon à cet égard, et pour ce coup-là on peut le faire :

« L’on dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s’empêcher de laisser échapper toujours quelque [bêtise], qui est comme sa signature... »

Il n’empêche qu’aujourd’hui qu’il nous a été donné un peu de champ, – presque un mois, – j’en arrive à considérer cette campagne d’une ampleur et d’une originalité extrême de cette façon : il s’agissait bel et bien de la réalité du monde, qu’il importait de saisir et d’installer dans le simulacre préparé à cet effet. La question de la Russie n’était que secondaire pour les hauts esprits des Enfers chargés de cette délicate mission. La Russie était considérée, à la fois comme l’appât et le leurre, – et pour certains comme le gain, bien entendu. On l’avait certes “travaillée” depuis quelques années (‘Russiagate’ et le reste) mais elle n’était qu’une “fenêtre d’opportunité” à saisir, une voie d’accès vers le pouvoir de faire et défaire la réalité du monde et nullement son essence même ; du moins se l’imaginaient-ils, tellement satisfaits d’eux-mêmes ! Il y eut même certains rigolos pour habiller  l’opération du nom de code de ‘The Great Recette’ mais je crois qu’ils ont confondu... Passons outre sur ce point.

L’Ukraine était le truc idéal, comme l’avait indiqué le grand géopolimagicien Zbiginsk (non pardon, Brzezinski). Placé au centre d’un peu tout (Europe, OTAN, notre-civilisation à nous), entre Gog et Magog, c’était un lieu souvent cité et tout aussi souvent inconnu de tous, ignoré, sans véritable intérêt, sauf ses ukronazis et ses dames réputées de grande beauté. Je veux dire par là, avec tous ces détails, qu’il n’y avait rien de préconstruits en fait d’affectivisme, aucun sentiment prévalant, aucune larme prête à couler, tandis que l’OTAN s’approchait joyeusement de la Russie, comme l’on danse la tarentule. Cela fait que, lorsque les Russes, à bout de souffle parce que pressés sur leurs frontières, furent conduits à réagir comme on les vit faire en attaquant préventivement à l’attaque qui les menaçait, il fut d’une facilité déconcertante de les peindre en agresseurs honteux et brutes fort épaisses.

Le reste suivit “comme un torrent”, amoncellement d’exploits, déroute russe, ridicule de cette prétendue identité russe, absence complète de culture après l’annulation des habituels imposteurs, – les Tolstoï, Dostoïevski, Tchaïkovski et autres, – maladie mortelle sur maladie mortelle de son chef-président réduit à un rôle de momie empaillée, les chars ukrainiens qui grondent partout, emportent tout, ici trois mètres et demi, ici neuf centimètres, là recul stratégique de quinze kilomètres, la grande bataille finale de Bakhmout couronnée par la contre-offensive magique saluée par plusieurs sommets de l’OTAN et un gazoducs réduit en bulles de Baltique ici et là...

Ce fut une période magique !

Nos cœurs ne cessèrent de battre à l’unisson et nos esprits d’être irrésistiblement conquis tandis que la réalité  adoptait glorieusement les habits mirifiques du simulacre devenu magnifique narrative et triomphe de l’Ouest-exclamatif et de l’Occident-extensif ! Tout semblait sans fin dans cette nouvelle réalité, sans fin ni limites, sans la foi ni les lois de ces brigands russophiles mais le déploiement splendide de nos “règles” à nous, comme dans un monde nouveau, comme à l’aube d’une nouvelle civilisation. ‘The Great Recette’ avait donc bien marché...

Et puis, soudaine malédiction, tout s’effondre !

Le fragile et subtil équilibre du simulacre qui nourrissait notre rêve superbe s’évapore... Ce maudit conflit palestinien, cette explosion sans fin de notre deuxième moitié du siècle d’avant connaît un nouveau soubresaut !

Situation complètement nouvelle, car dans ce cas plus question d’imposer un simulacre dans un espace vierge et indifférent. Sur le conflit palestinien, sur Hamas, sur Israël, les gens ont leurs idées, leurs points de vue, ils savent ce dont l’on parle et eux-mêmes ils parlent haut. On manifeste, on proclame, nulle part il n’est possible de nier l’existence de l’autre. Il est impossible pour les uns comme pour les autres d’imposer à l’autre une réalité dont il ne veut pas.

Et c’était comme si tout disparaissait, la nouvelle réalité si bien ajustée au simulacre disparue en l’espace d’un instant, retour sur cette terre maudite où tout est incertain, où les Russes prétendent avoir leur place, où Zelenski s’enfonce lentement dans des souvenirs incertains dont il n’aurait jamais dû sortir.

Ukrisis’, disais-je : le simulacre devait tout transformer et retransformer comme pâte à modeler ! Rien n’était pré-formé dans les opinions, sauf l’antirussisme. Tout était vierge pour que le monde se transformât en transformant son centre inspirateur rebelle, cette grossière prétention du Russe. Qui se souvient encore de cette odyssée que même un divin Achille secondé par un rusé Ulysse n’aurait pu porter ? Échec extraordinaire en moins d’un mois. ‘The Great Recette’ n’a pas marché, la mayonnaise n’a pas pris.

 Alors il faut s’interroger : quelle main divine a conduit cette crise où on la voit aujourd’hui, repoussant le simulacre qui devait tout emporter pour nous ramener dans la vérité-de-situation que nous avions définitivement bannie ? J’ai peut-être, dans ces lignes, dans cette page, semblé faire de la caricature, de la parodie, de la dérision et de la farce, – bref, du bouffe comme j’aime bien à dire, – mais ce n’est qu’à demi. Il y eut effectivement une gigantesque tentative de simulacre et nous faillîmes tous y donner, même les plus récalcitrants, tant la poigne du Diable était forte, – et puis la chose a cédé, et c’est un grand événement. La réalité nous est restée, nous fûmes sauvés au bord du précipice de la folie ; même si c’est pour affronter celui de l’effondrement d’une civilisation de peu de dignité, je ne cache pas ma préférence...

Comme un torrent”, disais-je, rappel d’évènements passés où nous étions déjà confrontés à l’incompréhensible, et toujours emportés, de plus en plus, d’année en année... Et toujours la conclusion est la même obsédante observation dans ce moment immense de basculement d’une civilisation, d’un monde, d’un cosmos, dans cette tempête intense qui se refuse aux pensées les plus hautes pour pouvoir se “croire”, jusqu’au bout...

« Si vous avez un peu de mesure et de raison, si vous ne sombrez pas dans les vapeurs de l’évocation frelatée du complot universel de ces hommes de l’ombre qui vous manipulent comme s’ils étaient des géants aux capacités immenses dans cette époque de nains proliférant, si vous n’êtes pas pris de cette passion de la rationalité à tout prix comme l’on est pris d’alcool ou d’addiction pour les puissances artificielles, si vous êtes raisonnables dans le sens de ne pas prétendre tout embrasser du monde avec la seule raison humaine, alors vous êtes conduits à envisager des voies suprahumaines pour tenter d’appréhender une compréhension de ces temps étranges. Si vous êtes raisonnables et si vous n’avez pas l’esprit fermé par l’aveugle vanité de soi, alors vous devez vous appuyer bien autant sur la foi dans l’intuition haute que sur la mesure bien tempérée de la perception de l’agitation du monde pour continuer à observer ces temps où les géants sont les événements du monde, et les nains ceux qui prétendent encore les maîtriser. »