The system is broken”, – à Londres aussi?

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La livre sterling s’est effondrée lundi, sous la bienveillante poussée des marchés, à la nouvelle de sondages annonçant des résultats partagés aux prochaines élections générales de la fin du printemps. Les sondages montrent conservateurs et travaillistes très proches, ce qui semblerait indiquer une forte probabilité, pour l’instant, qu’aucun parti ne détienne à lui seul une majorité suffisante et significative pour gouverner. (En effet, outre conservateurs et travaillistes, les libéraux notamment tiennent une place non négligeables dans l’échiquier, ce qui empêcherait effectivement, selon ces sondages, une majorité de gouvernement effective ou efficace pour un seul parti aux Communes.)

Plusieurs quotidiens londoniens s’attachent à la nouvelle, dans un sens alarmiste. Pas de gouvernement fort après les élections, sinon un blocage politique, cela signifie une absence d’action énergique notamment pour réduire le déficit.

Voyons ce qu’en dit le Times de Londres, du 2 mars 2010. On notera que, dans cet exposé des choses, c’est moins le sort de la livre qui nous importe que la situation politique qui se profile, – qui est la chose importante en l’occurrence, la politique étant la règle centrale de la crise du monde, la puissance exécutive, – même lorsque la politique est inexistante…

«The pound suffered its biggest one-day fall for more than a year yesterday amid the prospect of a hung Parliament and growing fears that this will prevent swift and decisive action being taken over Britain’s public finances.

»Sterling crashed by more than four cents at one stage against the US dollar, dropping below $1.50 for the first time in ten months. It also fell to its lowest level against the euro for nearly two months. […]

»The decline came after a Sunday Times opinion poll suggested that Labour could remain the largest party in Parliament after the general election, but without an overall majority.

»Nick Beecroft, senior FX consultant at Saxo Bank, said: “We are witnessing what can justifiably called the beginnings of sterling’s collapse. So long as the markets could harbour some hope that the next government would be a fiscally prudent, business-friendly Conservative one that would act swiftly to reduce the UK deficit and borrowing mountains, the pound was able to just about hold its own against the euro — which is, itself, entering a possibly fatally damaging period.

»“But today the dam burst, and it could not even do that, let alone against the mighty dollar. This weekend’s election polls predicting a Labour Government, ruling over a hung Parliament, put paid to that dream. Expect a test of $1.40 within a month and, as the global landscape turns ever-more ugly on the back of deflation and sovereign debt concerns, a continuing flight to the dollar, taking sterling down below $1.20 by the summer.”»

Notre commentaire

@PAYANT Nous savons tous qu’il peut y avoir des retours de fortune, un resurgissement des conservateurs, une résurrection du sémillant Gordon Brown, – mais nous en doutons. Cette situation où les uns et les autres se tiennent correspond si bien à l’incertitude du public confronté au choix difficile de déterminer de quel côté se trouve la pire des médiocrités. En d’autres mots, et à moins d’un événement majeur survenant d’ici les élections et favorisant un seul parti, l’actuel équilibre a des chances sérieuses de se maintenir.

On peut certes aisément imaginer des événements surprenants ou sensationnels avec des effets importants dans la population, notamment financier ou économique d’ici mai-juin prochain. Mais la longueur de la crise ainsi que la perception de l’impuissance conjointe des politiciens britanniques, tous partis confondus, – notamment les deux principaux partis, – ont fini par convaincre le public qu’il n’y avait rien de plus à attendre d’un parti ou l’autre. Un tel événement tendrait donc à ne pas nécessairement entraîner une faveur du public pour un parti spécifique, – essentiellement, l’hypothèse du principal parti d’opposition, sur laquelle les conservateurs ont vécu depuis septembre 2008 pour entretenir, à partir des sondages, la perspective d’une victoire retentissante en 2010.

La perception de l’impuissance collective du monde politique s’est maintenant fortement implantée dans la population britannique et tend à réduire le militantisme et les positions idéologiques qui peuvent entrainer les hésitants. C’est un sentiment de plus en plus courant, particulièrement dans les pays anglo-saxons dont les classes politiques, de droite et de gauche, sont les principaux soutiens du système dont le public perçoit qu’il est la cause de la catastrophe en cours. Il n’y a donc plus de poussée en faveur de l’un ou l’autre, notamment pas en faveur du principal parti d’opposition qui pourrait être perçu comme porteur d’une alternative salvatrice qu’on juge de plus en plus improbable. Le sentiment de la responsabilité collective de la classe politique, disons un sentiment “anti-Londres”, ou “anti-Westminster”, comme il y a un sentiment “anti-Washington” aux USA, est de plus en plus répandu dans le public et explique cette évolution statistique qui ne traduit plus guère de préférence pour l’un ou l’autre. Les électeurs adoptent, en désespoir de cause, leurs tendances politiques naturelles, sans aucune illusion, laquelle tendance aboutit à des projections plutôt d’équilibre entre les deux principaux partis traduisant la composition sociologique de l’électorat, conduisant effectivement, avec la présence du parti libéral qui devrait s’affirmer à son niveau normal de son côté (autour de 17%-20%), à la possibilité ultime d’un gouvernement sans autorité ou bien de la nécessité d’une coalition absolument étrangère à la tradition britannique. (Cette hypothèse est d’autant plus difficile à considérer qu’on imagine les difficultés d’une telle situation, alors que les oppositions entre les partis sont exacerbées, les jalousies féroces, tandis que toute la tradition britannique repousse cette forme de gouvernement, – sauf en cas de grand danger national, comme il y eut un gouvernement d’“union nationale” durant la Deuxième Guerre mondiale. Encore cette hypothèse d’“union nationale” est-elle crédible en cas de grand élan populaire devant une attaque de l’extérieure, comme lors de la guerre, mais ce n’est pas du tout le cas dans la situation qu’on évoque ici puisque l’“ennemi” c’est le système, donc la classe politique elle-même.)

Alors que les élections du printemps étaient perçues comme un élément décisif permettant au nouveau gouvernement, investi d’une nouvelle légitimité, de prendre les mesures radicales visant à sauver le pays d’une banqueroute qui se fait de plus en plus menaçante, notamment au niveau du déficit, la perspective ainsi entrevue implique exactement le contraire. Soudain, le Royaume-Uni, l’un des modèles de système de gouvernement efficace par la formule des deux grands partis, plongerait dans une situation d’impuissance politique que les politiciens et idéologues britanniques sont si prompts à dénoncer chez les autres, surtout les démocraties ouest-européennes, et surtout celles du “Sud” du continent. Cela indiquerait la généralisation de la crise du “modèle anglo-saxon”, la crise du pouvoir politique suivant rapidement celle du secteur financier et de l’économie, d’une façon assez naturelle tant les prérogatives politiques sont, dans ce système, complètement soumises aux impératifs du secteur financiers. On aboutirait à une situation semblable, mais à la manière anglaise, à celle de Washington aujourd’hui, – “Washington is broken”, ou, plus justement et d’autant plus approprié dans ce cas, – “The system is broken”…

L’absence d’un pouvoir politique fort empêcherait le système, notamment dans sa composante financière, de disposer du relais qu’il a toujours eu pour faire exécuter la politique qu’il inspire. Il n’est pas étonnant, dans ce cas, que la livre ait connu la chute qu’elle a connue lundi, après les sondages du week-end. Une telle situation politique issue des élections entraînerait d’ailleurs très rapidement une relance catastrophique de la situation financière. La situation grecque semblera alors paradisiaque par rapport à celle que connaîtrait le Royaume-Uni, dont les institutions politiques pourraient être menacées, avec la perspective devenue probable de troubles populaires de grande ampleur.


Mis en ligne le 3 mars 2010 à 06H34

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