The system is broken” et la Turquie

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L’affaire du vote de la commission des relations extérieures de la Chambre des Représentants US sur l’appellation de “génocide” appliquée au massacre des Arméniens en 1915 semble montrer un exemple révélateur du fonctionnement, sous la forme d’un dysfonctionnement systématique, du pouvoir à Washington.

• L’article le plus intéressant à cet égard est celui de Laura Rozen, de Politico.com le 5 mars 2010.

«...Did the administration drop the ball on the Armenia genocide resolution? […] Hill staffers and Democratic foreign policy hands say neither the White House nor State tried to stop Rep. Howard Berman (D-Cal.), chairman of the House Foreign Affairs Committee, from proceeding with the committee mark-up of the nonbinding resolution until the night before it was scheduled. This though Berman had publicly announced the intention to schedule the mark-up over a month before. Committee aides “said there had been no pressure against the resolution from the White House,” the AP reported last month. […]

»Berman “announced way in advance he was” scheduling this, one Washington Democratic foreign policy hand said. “They are basically asking ‘Please stop me.’ And they did not hear a word from the administration, I am being told,” until the night before.

»Clinton called Berman Wednesday night from Latin America, State Department spokesman P.J. Crowley said Thursday. “And in that conversation, she indicated that further congressional action could impede progress on normalization of relations,” between Armenia and Turkey, Crowley said. “I think the President also spoke yesterday with [Turkish] President Gul and expressed appreciation for his and Prime Minister Erdogan’s efforts to normalize relations between Turkey and Armenia.”

»“We are concerned that possible action that Congress would take would impede the positive momentum that we see in the Turkey-Armenia normalization process,” Crowley said. “We’ve made that position clear to Chairman Berman, and we’ll see what Congress does as a result.” But the Democratic foreign policy hand said the Wednesday night efforts were too late. Berman is “a politician. If he folds then, he looks like a poodle.”

»“My impression is that State weighed in [Wednesday] but that with the Armenia resolution, as with all other things, White House/NSC legislative affairs was completely asleep at the wheel,” one Hill staffer said. “Consequently the White House ‘discovered’ the problem yesterday when call slips started finding their way to higher-ups.” “As best I can tell, with regard to foreign policy, both White House/NSC legislative affairs shops could shut down entirely and no one would even notice,” the staffer added.»

• Un commentateur du journal turc Hurriyet Daily News, Ilhan Tanir, rapporte le 5 mars 2010 d’autres détails en même temps qu’il analyse la perspective politique de cette affaire.

«There were also personal issues for Obama to deal with while taking a position on the issue this year. As a senator, he vigorously supported the previous Armenian resolutions and accused former President Bush very harshly in the past for working to stop the resolution. As president, he now finds himself in such a position from which there is no easy exit strategy. In addition, Vice President Joe Biden and Secretary of State Hillary Clinton also supported similar bills in the past and Congress is dominated by a Democratic majority. Obama hid behind this quietness and “did not move his little finger,” as one Turkish deputy stated. […]

»So what is left for us while moving forward? What we will see in the coming days is probably a game of chicken. Turkey will harden its rhetoric and take more retaliatory steps, while the American side will calculate that it can use the resolution in the House to put more pressure on Turkey and hope that Turkey give in to move forward with the normalization process, while being full aware how important it is for Turkey to stop the resolution.

»We might need to fasten our seatbelts while getting into this turbulence. How and when this turbulence might end, nobody can predict now, not even the administrations in Washington, Ankara and Yerevan, but we hope it will not spin out of control.»

• Examinant cette affaire avec les conséquences possibles, le Guardian du 5 mars 2010 cite un des dirigeants du parti AKP du Premuer ministre Erdogan.

«In Turkey, Suat Kiniklioglu, the influential deputy chairman for external affairs in the ruling Justice and Development party (AKP), warned of “major conséquences” if the resolution was accepted by the full House of Representatives. “If they choose to bring this to the floor they will have to face the fact that the consequences would be serious – the relationship would be downgraded at every level,” he said. ”Everything from Afghanistan to Pakistan to Iraq to the Middle East process would be affected. There would be major disruption to the relationship between Turkey and the US.”

»His comments reflected deep-seated anger throughout Turkish society, as well as an official determination to press the Obama administration into making sure the resolution progresses no further.»

Notre commentaire

@PAYANT Ce jugement, à la lumière de cette affaire, d’une source proche de la commission de la Chambre qui a voté la résolution sur l’emploi du mot “génocide”, est particulièrement révélateur: «As best I can tell, with regard to foreign policy, both White House/NSC legislative affairs shops could shut down entirely and no one would even notice…» L’affaire du “‘génocide’ arménien ou pas”, que nous avons traitée le 5 mars 2010 du point de vue extérieur, des relations USA-Turquie et, surtout, du point de vue de l’évolution de la Turquie, est également très importante pour son aspect intérieur US.

Nous avons écrit que les Turcs avaient reçu des indications extrêmement fermes selon lesquelles l’administration Obama ferait ce qu’il faudrait pour empêcher ce vote, à la suite de demandes pressantes du gouvernement Erdogan. Ces indications venaient notamment des services de l’ambassade US à Ankara, censée représenter les USA et son gouvernement, et dépendante directement du département d’Etat. Ce qu’écrit Polilico.com, qui est confirmé ici ou là par telle et telle indication, – tout cela allant dans le même sens, – montre que rien n’a été fait. On va jusqu’à découvrir que la Maison-Blanche, et Hillary Clinton semble-t-il, se sont aperçus du “problème” la veille du vote de la commission, ou quasiment. Leur intervention in extremis, dans ces conditions grotesques, ne pouvait donner de résultats décisifs, on le comprend: le président de la commission, le démocrate Berman, “est un politicien, il ne pouvait obtempérer sur l’instant sous peine de passer pour une marionnette”. Pourtant, comme on le comprend également, Berman était prêt à monter une stratégie à plus long terme pour éviter le résultat finalement obtenu, s’il avait eu le soutien de l’administration. Mais l’administration “dormait”. Là-dessus, cerise sur le gâteau, on enchaîne par le rappel que les uns et les autres (Obama, Clinton, Biden) avaient soutenu la cause arménienne dans d’autres circonstances politiciennes et n’ont jamais jugé utile de se démarquer de cette position idéologique et électoraliste pour préparer cette affaire, selon une appréciation réaliste du maintien de ce qu’il reste de “bonnes relations” entre Washington et les Turcs.

Ce n’est pas un désastre politique, c’est un symptôme de plus que, selon le leitmotiv, “The system is broken”. Le pouvoir est dispersé, il vogue au gré des événements et du désordre américaniste, avec une obsession ou l’autre qui garde la tête hors de l’eau (l’obsession d’Obama pour un accord bipartisan sur les soins de santé qui est en train de pulvériser sa présidence). Il n’y a aucune coordination, aucune consultation. Les assurances de l’ambassade US à Ankara non relayées, voire contredites par Washington, rappellent l’incident de la mi-février encore plus marquant (à cause de l’actualité plus grande de l’affaire dans l’agenda des bureaucraties de Washington, dont celle du Pentagone) entre l’ambassadeur US à Moscou et le département d’Etat à propos des anti-missiles et de SALT-II, le second démentant le premier d’un jour à l’autre. (Mais, dans ce cas, les conséquences devraient être moins graves que dans le cas turc car la question de SALT-II est d’une autre teneur, les USA ayant encore plus d’intérêts que les Russes à ce que l’accord se fasse, donc prêts à faire beaucoup d’efforts dans ce sens.)

The system is broken”, c’est donc une situation de dysfonctionnement complète et multiple, plus personne ne se coordonnant avec plus personne, chaque groupe replié sur ses centres d’intérêts immédiats. Les dirigeants, eux, sont perdus dans leurs contradictions et la mésinformation que leur dispensent leurs groupes rapprochés de conseillers qui n’agissent qu’en fonction des seuls intérêts immédiats de l’autorité qu’ils servent, sans aucune vision objective globale des problèmes. Là-dessus, les processus autobloquants, bureaucratiques, parlementaires et des groupes d’intérêt entretiennent une paralysie générale qui se greffe sur ces dysfonctionnements divers. Dans le cas de l’affaire de la résolution de la Chambre, l’imbroglio et le désordre extraordinaires sont mis en lumière par la situation particulièrement révélatrice où, sur les 23 voix favorables à la dénomination de “génocide”, on trouve celles de 19 Représentants démocrates, – le parti du président, de l’administration dont l’ambassadeur à Ankara avait affirmé qu’on s’activait à empêcher ce vote.

Quoi qu’il arrive dans l’immédiat, soit pour tenter de limiter les dégâts, soit pour voir dans l’autre sens une perte de contrôle de cette affaire, la leçon que retiendront les Turcs est imparable. Le pouvoir washingtonien est pulvérisé, on ne peut plus espérer avoir des relations suivies et constructives avec lui et, notamment, on ne peut espérer qu’il puisse influer d’une façon suivie sur une politique ou l’autre du système de l’américanisme, souvent avec des conséquences dévastatrices. Pour les partenaires des USA, il s’agit de désordre bien plus que d’une ligne directrice qu’on n’approuve pas. Cela nous renforce dans notre constat, du 5 mars 2010, selon lequel la Turquie va prendre encore plus ses distances de Washington et accélérer le développement d’une politique dont la caractéristique essentielle est qu’elle repousse désormais toute priorité accordée aux liens avec Washington.


Mis en ligne le 8 mars 2010 à 04H49

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