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158113 septembre 2006 — Dans le temps, les candidats (de droite) étaient discrets. Ils allaient sans fanfare ni trompette à l’ambassade de l’URSS de Paris, solliciter, et obtenir aisément, le soutien implicite de Moscou, par exemple en faisant savoir au PC français qu’il était préférable de soutenir le candidat de droite plutôt que l’immonde “social-traître” (Mitterrand, candidat plus qu’à son tour, faisait l’affaire). In illo tempore, on chuchota que Giscard sacrifia à ce rituel. Aujourd’hui, on fait une chose assez proche avec Washington, mais avec tambours nombreux et trompettes variées. D’où le cas de Sarkozy en visite à Washington.
La visite civilisatrice du candidat, qui n’est pas “a coward», fera date. Pour les victimes du 11 septembre et pour les électeurs de 2007.
Le Washington Post a aussitôt relayé les bons sentiments et dit toute la satisfaction de Washington D.C. devant une ambassade si chaleureuse.
«French Interior Minister Nicolas Sarkozy, the leading presidential candidate for France's ruling conservative party, swept through Washington yesterday, delivering an unabashedly pro-American speech and landing meetings with President Bush and Secretary of State Condoleezza Rice.
»Sarkozy covered many of the bases that French politicians hit when they want to laud the United States, such as mentioning Lafayette's role in the American Revolution and citing the French love of blue jeans, hamburgers and American movies. But then he went beyond those standards, proudly noting that his distinctly pro-American viewpoint had earned him “substantial criticism” in France.
»“I'm not a coward,” Sarkozy said. “I'm proud of this friendship, and I proclaim it gladly.”
»Sarkozy's remarks are especially noteworthy because he chose to kick off the campaign season in France by making the U.S. tour, which included honoring the New York City Fire Department in a stop in New York on Sept. 11.
»Many other European leaders close to Bush, such as British Prime Minister Tony Blair, have suffered politically. But in some parts of yesterday's speech at the National Society of the Daughters of the American Revolution, Sarkozy delivered the kind of rhetoric that would be expected of a Bush administration official, especially on Iran, Israel and counterterrorism, said Jonathan Laurence, visiting fellow at the Brookings Institution. “There is not a whole lot of daylight between Sarkozy and Washington on some key foreign policy issues,” he said.
»Sarkozy also appeared to attack French President Jacques Chirac and Prime Minister Dominique de Villepin for their dramatic confrontation — what he called “sterile grandiloquence” — with the Bush administration over Iraq. “It's not appropriate to try and embarrass one's allies or give the impression of gloating over their difficulties,” he said.
»Sarkozy described the government in Tehran as an “outlaw nation” and said the prospect of it obtaining nuclear weapons would be a “terrifying” development that would “open the way for a murderous arms race in the region.” Hinting at military action, he added that “diplomacy must be our main weapon, but we must leave all options open.”
»While French politicians tend to criticize Israel, Sarkozy said he was close to Israel and supports its right to defend itself against the “aggressor,” the Lebanese Hezbollah militia, even as he suggested the response might have been disproportionate.»
Parallèlement, des signes divers montrent que la machine est en route. Parce qu’il s’avère évidemment que Sarko est, — s’il l’ignore encore il faut l’en aviser — le candidat des néocons.
Enter Richard Perle, le plus malin d’entre eux (les neocons). Un texte de Perle, obligeamment relayé par Le Figaro qui saura, qui sait déjà obligeamment se positionner proche des neocons, avec l’approbation générale qu’il faut, ce texte de Perle est parcouru en demi-teinte et au second degré, sans nommer l’intéressé, de finesses sarkozystes-neocons. Ne ménageons pas nos compliments : Perle est de loin le plus subtil des néo-conservateurs, à cause de ses longs séjours en France (en Provence) et de son étrange ambivalence vis-à-vis de la France. D’autre part, parce qu’il est aussi américaniste à 150%, on lit en lui à livre ouvert : la finesse étalée sur la place publique. Perle est un Machiavel à qui manque le gris de l’Eminence.
Le texte est donc un chef d’œuvre de mesure empoisonnée. Perle descend l’Europe en flammes sans nommer la France. Il descend en flammes Chirac et «son premier ministre» sans nommer la France. Au contraire, la France est mentionnée d’une façon indirectement si élogieuse, avec dans l’ordre des préférences : le soleil de Provence (où Perle à ses quartiers de vacances), la compassion pro-américaniste des Français moyens et l’immortel humanisme du Monde de Jean-Marie Colombani, cuvée 9/11.
Successivement :
• «…quand les terroristes ont frappé, le 11 septembre 2001. Moi, j’étais en France, profitant des quatre derniers jours d’un été en Provence, en train de parler au téléphone avec un collègue à Washington…»
• «…Au fur et à mesure que l’information [de l’attaque 9/11] se répandait, je reçus une volée d’appels téléphoniques […]; de mes voisins de Provence, qui n’auraient pas pu être plus compatissants, plus enclins à nous aider.»
• «Alors quand tout cela a-t-il changé ? Quand est-il devenu impossible de dire, comme Le Monde, “Nous sommes tous américains” ?»
A l’inverse, on apprend que Villepin est l’homme le plus détestable du monde car, figurez-vous, il croasse («Villepin, croassant à propos des vertus de l’“écoute” et du “dialogue”, était prêt à soutenir un cessez-le-feu de l’ONU en déployant au Liban des milliers de Casques bleus.»). Donc, Villepin est un corbeau. Nous, on aurait plutôt écrit qu’il “coasse”, ce qui en aurait fait une grenouille, laquelle veut se faire plus grosse que le bœuf américaniste ; et puis, également, plus proche de la gargouille nous semble-t-il (Le Cri de la gargouille, de Dominique de Villepin, Albin Michel, 2002). Peut-être y a-t-il erreur de traduction ou bien Merle, pardon Perle, s’est-il trompé à cause de l’émotion 9/11. On verra.
Bien, lisez ce texte de Perle dans Le Figaro, du 11 septembre (naturellement), et vous serez édifié. C’est indirectement un texte qui ouvre la campagne électorale de Sarko, version neocons.
Voyons le corps du délit. Après des hésitations, des allers-retours, Sarko démarre à 180 à l’heure. Pro-US et fier de l’être, prêt à s’engager sous la bannière de GWOT, dynamitant les vieilles barbes, Chirac et l’immonde Villepin-le-croassant, éventuellement par Perle interposé. (Toute réflexion faite, ce Villepin-là, ne s’agirait-il pas d’un “croassant fertile”? Pardon, c’était une blague idiote.)
Il n’est pas sûr que la chose (la tactique) ait été mesurée à sa juste valeur. Il est possible que Sarko, poussé à fond par l’entourage qui va bien, en ait un peu trop remis. Reçu le même jour par des lumières telles que Rice et GW, le lendemain d’une visite au “front”, à Ground Zero même, face au danger en quelque sorte («I'm not a coward»), cela a de quoi vous tourner plus d’une petite tête de linotte. C’est bien de paraître ami avec les grands protecteurs mais point trop n’en faut ; encore, si Sarko avait la taille de De Gaulle visitant New York et Washington à l’été 1944, l’air ronchon et la cibiche au bec. Ce n’est pas le cas. Du coup, les experts américanistes ont conclu : “in the pocket”. Rien de plus malhabile que de se faire prendre par les américanistes pour un ami acquis par avance : on exige tout de vous et on n’a plus rien à vous donner. Il faut être Britannique pour y voir la marque d’un grand honneur et d’une grande habileté.
(Au reste, on parierait que les conseillers malins de Sarko observent avec gourmandise la chute de Tony Blair, jugeant qu’il y a là une place à prendre à la droite de Dieu-le-Père, à Washington D.C. Ils pourraient par la même occasion, observer les causes de la chute de Tony Blair. Ils pourraient s’interroger sur la possibilité d’une retraite partielle britannique des special relationships avec Gordon Brown, ou sur les réticences du petit dernier, le conservateur Cameron, qui semblerait peut-être, qui sait, prendre ses distances d’avec Washington.)
Sarko revient en France bardé d’un brevet de pro-américanisme à toute épreuve. Ce n’est pas un mal, paraît-il, sauf peut-être que le label est estampillé Bush + neocons. Assez curieusement, pour Sarko c’est une marque de courage («I'm not a coward»), — l’idée laisse rêveur, mais enfin, poursuivons la logique ; dans sa psychologie, le courage finit toujours par payer, du moment qu’il signifie mouvement, foncer, aller de l’avant, bouger toujours davantage. Il nous paraît évident que ce qui a séduit Sarko dans cette affaire, c’est moins la conviction (quelle qu’elle soit et s’il y en a) que “le coup”, la soi-disant audace, — le soi-disant non-conformisme si l’on veut. Curieuse psychologie, ce Sarko, qui trouve dans l’acte accompli la justification intellectuelle de ce même acte qu’il vient d’accomplir, justification qu’il mesure au poids des réactions médiatiques. Puisque cela a eu lieu, c’est donc que cela devait avoir lieu et ce qui a eu lieu est une excellente chose.
(C’est de la caricature de volontarisme, du volontarisme sans esprit et sans âme. Le volontarisme se justifie pleinement lorsqu’il provoque une situation nouvelle par l’acte qu’il pose, mais à partir d’une cohérence bien comprise au départ et embrassée par l’esprit, et dans le but de renforcer cette cohérence. Il n’y a aucune cohérence dans l’esprit sarkozien. Il part réparer une relation USA-France dont il ne sait rien, et dont il semble même ignorer, pour les conséquences qu’il faut en tirer, qu’elle existe par ailleurs comme il se doit. Il le dit in fine et en complète contradiction avec ses projets de réparation avec cette remarque rapportée par le Post : «Sarkozy also noted that despite the breach over Iraq, intelligence cooperation continued between France and the United States because, he said, “we have the same adversaries. Bin Laden targeted New York, but he might just as well have targeted Paris.”»)
Laissons les supputations sur les motifs et les concepts car il n’y a rien de tout cela. Il y a quelques basses manœuvres, des emportements non mesurés et mal compris, le goût de se distinguer, l’irrésistible attirance des médias et la fascination de la petite bourgeoisie française modernisée et libérale pour une Amérique qui n’a jamais existé. Un exposé assez courant d’inculture.
Bref, Sarko semblerait avoir tout donné aux gens de Washington sans avoir rien en retour. Bien sûr, il n’a donné que des promesses virtuelles, non dites. Washington et les neocons prennent ça pour du comptant et des certitudes pour après l’élection (Sarko élu, bien entendu) ; les sarkozystes n’y voient qu’une manœuvre habile en vue de l’élection, quitte à voir plus tard. C’est le ferment de tous les malentendus et de bien graves querelles ; Sarko élu, si c’est le cas, on ne donne pas 4-5 mois pour une très sévère crise franco-US. Comme disait l’oncle Paul, “c’est une autre histoire”.
Pour Sarko himself et quel que soit son destin, nous doutons grandement qu’il ait compris ce que cela signifie, être l’allié privilégié de Washington. Il faut être un Blair, c’est-à-dire un allumé, brûlé par le feu sacré de la folie de Dieu, pour l’être parfaitement, et se glorifier avec autant de force de l’humiliation subie comme une seconde nature.
Cerise sur le gâteau dans l’hypothèse maximaliste (Sarko élu, amitié France-USA retrouvée) : si Sarko veut vraiment naviguer sur les grandes eaux de la vision neocon, il a intérêt à réviser toute idée de réduction du budget de la défense. C’est le contraire qu’on attendra de lui : qu’il augmente le budget, qu’il surarme la France, qu’il se prépare à des expéditions lointaines, car le “supplétif” en chef se doit de donner l’exemple et il lui sera demandé énormément. Il devra d’autant plus le faire que Washington n’a plus les moyens, — ce qui rend bien étrange et incompréhensible, sinon par le sentimentalisme publicitaire, cette idée de se jeter dans les bras américanistes. A moins que Sarko ait l’intention de prendre le leadership du néo-couple franco-américaniste… Ca, c’est une idée.
(C’est le conseiller préféré de Sarkozy pour les questions transatlantiques et qui est identifié par ses proches, sinon lui-même, comme futur ministre de la défense du “président Sarko”, Pierre Lellouche, qui nous instruit sur l’état de la puissance US et le rôle des “supplétifs” dans Le Figaro du 9 août : «Le fait que Madame Rice ne peut même plus se rendre à Beyrouth en dit long sur le niveau atteint par la haine anti-américaine dans le monde arabe. Quant à l'initiative caressée par Washington d'envoyer ses supplétifs européens sous la bannière de l'OTAN désarmer le Hezbollah à la suite de l'armée israélienne et alors même que l'Amérique elle-même annonçait d'entrée de jeu qu'elle n'enverrait aucune troupe, elle en dit long là aussi sur la confusion des esprits qui règne à Washington. Le fait que cette idée ait fait long feu en quelques heures montre à quel point le leadership américain sur l'Otan est en miettes.»)
Reste à voir l’avantage électoral de la manœuvre. C’est là qu’on entre dans le grandiose possible.
Sarkozy a-t-il déclenché une polémique durable, c’est-à-dire quelque chose qui peut s’inscrire comme un des points de débat dans la campagne électorale? La question est ouverte, comme une brèche. Si ses adversaires, de Villepin à Ségolène, avaient un euro de jugeote, ils s’y engouffreraient en chantant. Celui qui, parmi ses adversaires, comprendra que le talon d’Achille de Sarko, c’est sa tendance publicitaire à faire du pro-américanisme neocon, celui-là possédera une arme redoutable ; s’il arrive à imposer la question dans le débat électoral français, c’est alors que nous serons dans le grandiose. Nous dépasserons vite le slogan publicitaire de la guerre contre la terreur pour en venir au point central qui est au fond de toutes les âmes françaises : l’américanisation.
Sarko s’y retrouverait coincé entre sa tendance naturelle au souverainisme (il l’a montré dans divers discours récents, depuis celui du début mai à Nîmes, exaltant la nation) et l’américanisation qui en est l’exacte antithèse et le plus féroce ennemi. Ses adversaires le confondraient sur ce sujet, qui permet de passer du domaine des relations transatlantiques à tous les domaines fondamentaux (l’américanisation qu’est allé chercher Sarko à “Ground Zero”, c’est aussi celle du libéralisme à outrance, de l’abandon de la protection des industries stratégiques, de l’ouverture des frontières [eh oui…], du refus du rôle souverain de l’Etat et ainsi de suite).
Le débat deviendrait passionnant, poursuivant et élargissant celui qui a précédé le référendum du 29 mai 2005. On s’y compterait et plus d’une conviction bien ancrée se trouverait entraînée dans un étrange tourbillon de contradictions. Bref, ce serait une belle et folle campagne électorale. La France observerait tout cela avec un sourire entendu.
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