Tir au pigeon en Mer Noire

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Tir au pigeon en Mer Noire

• Accrochage en Mer Noire entre un destroyer de la Royal Navy très proche des côtes de Crimée (qui reste ukrainienne pour UK) et les Russes qui ne supportent pas qu’on se balade dans leurs eaux territoriales, dont celles de la Crimée bien entendu. • Inédit : on a assisté à des tirs de sommation des Russes (seulement d’un bateau, ou bien d’un bateau et d’avions présent sur la scène ?). • La tension subsiste, et aussi la politique de provocation du bloc-BAO et la fermeté des Russes. • Elle anime le devant de la scène pendant que se poursuit la Grande Crise.

Gros émoi hier lorsqu’il faut affirmé par Moscou que le destroyer de la Royal Navy “Defender”, croisant actuellement en Mer Noire, avait pénétré dans les eaux territoriales russes, au large de la Crimée (Sébastopol) et avait essuyé des coups de semonce pour lui faire rebrousser chemin. Les Britanniques (ministère de la défense) disent à peu près ceci tout en laissant entendre [entre crochets pour nous, puisque “Secret-Défense”] : “Des coups de semonce ? Pas du tout, les Russes n’ont rien fait, [c’est-à-dire n’ont rien osé faire] contre nous... Petite croisière innocente, rien de plus, [d’ailleurs impossible qu’il s’agisse des eaux territoriales russes puisque la Crimée fait parti de la vaillante et noble Ukraine]”.

On complète tout cela du fait qu’un correspondant de la BBC, héroïquement à bord du “Defender” pour cause de reportage, a affirmé que la flotte russe avait « harcelé » le navire où il se trouve. Harcèlement ? Semonce ? Cherchez le simulacre, dans une stratégie qui est entièrement fondée sur la communication, mais qui comprend éventuellement des chapitres tactiques de fer et de feu, – au risque de se perdre, ou de se retrouver dans une nasse infernale.

RT-France écrit à propos de l’incident :

« Un navire militaire russe, puis un chasseur Soukhoi Su-24M, auraient tiré des coups de semonce en direction du destroyer de la Royal Navy britannique HMS Defender après son intrusion dans les eaux russes de la mer Noire, d’après un communiqué du ministère russe de la Défense publié ce 23 juin. L’incident est survenu au niveau du cap Fiolent au sud de la ville de Sébastopol, dans la péninsule de Crimée, rattachée à la Russie en 2014 à la suite d'un référendum. De son côté, Londres assure que son navire n'a été visé par aucun tir.

» Le Defender, qui s'était aventuré jusqu'à 3 kilomètres à l'intérieur des eaux russes selon Moscou, a quitté la zone peu de temps après.

» Le ministère de la défense russe a précisé auprès de l’agence de presse RIA que le navire britannique avait franchi la frontière russe à 11h52. Selon la même source, il a été averti de l’utilisation d’armes en cas de violation de la frontière, mais l’équipage du destroyer n'aurait pas réagi. A 12h06 et 12h08, un navire russe de patrouille frontalière aurait alors procédé à des tirs d’avertissement en direction du vaisseau britannique. Neuf minutes plus tard, un avion de chasse russe Su-24m aurait effectué un bombardement d’avertissement, larguant quatre OFAB-250, des bombes à fragmentation de 250 kg, dans la trajectoire du destroyer. A 12h23, le navire britannique a quitté les frontières de la mer territoriale de la Fédération de Russie.

» Moscou a fait savoir que l’attaché militaire auprès de l’ambassade du Royaume-Uni dans la capitale russe avait été convoqué au ministère de la Défense, et que l’ambassadeur britannique en Russie allait être convoqué.

» Et pour cause, la version avancée par Londres diffère de celle de Moscou. Cité par Reuters, le ministère britannique de la Défense a ainsi assuré que son navire n’avait été ciblé par aucun tir et évoque un “simple passage dans les eaux territoriales ukrainiennes”, selon les termes de l’agence de presse. De son côté, un correspondant de la chaîne publique britannique BBC a rapporté que le navire du Royaume-Uni, au bord duquel il se trouvait, avait été “harcelé” par la flotte russe. Moscou, enfin, réclame que Londres enquête sur “les actions dangereuses” de son navire en mer Noire. »

Certains éléments de la réaction britannique, un peu plus détaillée selon les termes du communiqué du ministère de la défense, vaut d’être détaillée, comme elle l’est dans la version anglaise RT.com. On y trouve des poses, des affirmations et des expressions assez surprenantes mais à connotation juridique plus que morale, telles que l’« innocent passage [du navire] dans les eaux territoriales ukrainienne, en complet respect des lois internationales » (argument tenant toujours pour complètement illégale l’incorporation de la Crimée dans la Russie) ; ou encore que les tirs russes (il y en donc eu) « faisaient partie d’un exercice de tir déjà planifié » ; ou encore l’expression charmante « nous ne reconnaissons pas l’affirmation selon laquelle des bombes ont été larguées sur le chemin du HMS “Defender” ». Voici l’extrait de cette argumentation :
« Following the incident, Britain’s Ministry of Defence denied that any warning shots were fired at the HMS Defender, claiming that the vessel is conducting “innocent passage through Ukrainian territorial waters in accordance with international law,” and the Russian shots were part of a pre-planned gunnery exercise.
» “No shots were directed at HMS Defender and we do not recognise the claim that bombs were dropped in her path,” the statement said. »

On voit que la Mer Noire est devenue un centre touristique de tir au pigeon parcouru de promeneurs innocents, soutenu par une considérable tension, éventuellement par des tirs de semonce. Les Russes sont furieux à l’approche d’un très important exercice naval de l’OTAN (“Sea Breeze”), en Mer Noire, du 28 juin au 10 juillet, avec le concours de 32 nations convoquées par le Gentil Organisateur, l’U.S. Navy, qui sera de la partie...

« Dans une déclaration twittée hier, l’ambassade de Russie [aux États-Unis] a déclaré que “l’ampleur et la nature agressive des exercices ‘Sea Breeze’ n’aident en rien à relever les véritables défis consistant à assurer la sécurité dans la région de la mer Noire”. Les forces ukrainiennes prendront également part aux exercices.

» Selon les services de l’ambassade russe, les exercices de l’OTAN vont “augmenter le risque d’incidents involontaires” et simultanément “exacerber les sentiments militaristes à Kiev.” Un porte-parole de la Sixième flotte américaine avait précédemment déclaré que Washington était “fier de s’associer à l’Ukraine pour co-organiser l'exercice maritime multinational.” »

Sur le fait de l’incident du HMS “Defender”, il peut y avoir un exercice de décryptage des différents signaux, ou messages, envoyés par l’une et l’autre partie. On conçoit aisément ce genre d’exercice intellectuel, puisque nous sommes dans le champ de la communication beaucoup plus que dans celui de la confrontation militaire. Le professeur Paul Robinson, expert des questions de la Russie, de la puissance militaire et de l’histoire militaire de ce pays à l’université d’Ottawa, s’y est mis et il conclut de cette façon après avoir explicité les différents aspects de l’incident (la non-reconnaissance UK de l’annexion de la Crimée contre l’affirmation russe que la Crimée est russe, le “droit de la mer” qui admet le cas du « droit de l’innocente incursion » si un navire, même militaire, transite pour un temps court et sans intention fautive dans des eaux territoriales, etc.) :

« Le message que Londres entendait envoyer n’est pas très clair. À première vue, il semble qu’il s’agissait d'un signe indiquant qu’il ne reconnaît pas la souveraineté russe sur la Crimée. Par ailleurs, la Grande-Bretagne a pu penser qu’elle affirmait l’importance du droit international de la mer. Ou, enfin, elle aurait pu tenter de prouver à la Russie qu’elle est armée et prête à l'affronter si elle était impliquée dans un conflit, posant ainsi un geste de dissuasion militaire.

» D’un point de vue britannique, ces messages pourraient être évidents. Le problème, cependant, est que du point de vue russe, ils ne le sont pas. La Russie sait déjà que le Royaume-Uni considère que la Crimée fait partie de l’Ukraine. La Grande-Bretagne n’a pas besoin d’envoyer un navire de guerre au large de la Crimée pour le faire savoir. Inévitablement, Moscou estimera donc que quelque chose d’autre se cache derrière cette action.

» Les messages relatifs au droit international sont confrontés à une difficulté similaire. Au lieu de recevoir un signal indiquant que le Royaume-Uni exige le respect du droit international, la Russie interprétera très probablement ces événements comme indiquant que la Grande-Bretagne se sent libre de faire ce qu’elle veut, où elle veut, sans tenir compte de la souveraineté.

» Enfin, Moscou est susceptible de considérer la question de la dissuasion de manière assez différente de l’intention des Britanniques. Les autorités russes croiront presque certainement que ce sont elles qui ont réussi la dissuasion. Un seul navire de guerre britannique a fait son apparition et, presque immédiatement, plus de 20 avions de guerre russes ont survolé la zone. “Essayez de faire des provocations  en mer Noire et vous serez contrés par une force supérieure écrasante”, tel est le message de Moscou pour Londres. Les Russes pourraient bien avoir l’impression d’avoir eu le dessus dans cette rencontre.

» Bien sûr, tout comme le message britannique à Moscou sera probablement mal interprété, le contre-message russe à Londres le sera aussi. Ainsi, les tensions entre les deux pays vont continuer à s'aggraver. »

On comprend bien entendu que ce “décryptage”, même s’il est d’une stricte logique du droit et projette une lumière intéressante pour la théorie et la chronique, n’apporte rien de décisif. Au contraire, il conclut à l’incommunicabilité, et à l’aggravation des tensions. C’est bien entendu le résultat d’une politique générale des pays du bloc-BAO en général, et des Anglo-Saxons en particulier, qui se réfère à la “politiqueSystème”, de provocation permanente et de pressions sur la Russie ; l’incommunicabilité n’est alors pas d’absence de compréhension, mais bien du fait que chacun sait parfaitement de quoi il retourne et que les positions sont dès lors inconciliables. De là, finalement, le peu d’intérêt de déterminer qui est fautif et qui ne l’est pas. Le seul point intéressant de l’incident est bien la riposte très ferme et très rapide des Russes jusqu’à l’aspect opérationnel des tirs de semonce, qui justifie dans le chef des Russes la remarque de Robinson :
« Les Russes pourraient bien avoir l’impression d’avoir eu le dessus dans cette rencontre »... Ce n’est pas une impression : du point de vue de la perception et de la communication et quoi qu’il en soit des attendus, ils l’ont effectivement emporté.

Certains mettent dans le même modèle de communication de cet incident, cet autre incident qui est survenu en Syrie ce week-end. Un convoi US a rencontré sur sa route un barrage des forces spéciales russes manifestement belliqueuses, leur signalant qu’il n’irait pas plus loin parce qu’il transgressait le protocole d’accord entre les deux forces dans ce pays. Le convoi US a rebroussé chemin : là aussi, quels que soient les attendus, les Russes l’ont emporté en termes de perception et de communication.

Faut-il en déduire une dynamique de tension en pleine expansion ? Pas nécessairement, et d’ailleurs pour la simple cause que la tension, dans le champ de la communication, reste à un niveau très élevé qu’on pourrait dire d’une sorte assez paradoxale d’aggravation figée, au-delà et au-dessus de laquelle il est hasardeux d’aller sans risquer directement l’affrontement par les armes. Il n’empêche que certains autres s’exclameront en mettant en parallèle cette tension constante et la rapidité extrême de Poutine pour accueillir favorablement, ce même 24 juin, une proposition franco-allemande destinée à entraîner l’UE dans une direction inattendue :
« Le président Vladimir Poutine soutient une proposition franco-allemande visant à relancer au niveau européen les contacts directs avec la Russie et le chef de l’État russe, a fait savoir ce 24 juin le porte-parole du Kremlin. “Nous percevons positivement cette initiative. Vladimir Poutine est partisan de la création d'un mécanisme pour un dialogue et des contacts entre Bruxelles et Moscou”, a affirmé Dimitri Pechkov à la presse, tandis que l'Ukraine a dénoncé cette perspective qui sape, selon elle, la politique des sanctions. »

Tout cela permet de mieux percevoir le sommet de Moscou, et notamment l’attitude de Poutine, ferme à certains moments (face à la presse du bloc-BAO), positif à d’autres, – du type “il faut sauver ce qui peut, ou pourrait l’être, et rester prêt à tout pour le reste qui fait l’essentiel des festivités”. La direction russe ne s’en cache pas, et les événements parlent pour elle : la Russie est très ferme sur le terrain des choses, face aux tensions et aux provocations, et prompte à éventuellement les tourner à son avantage ; et elle est très ouverte à des propositions de meilleures relations, tout en sachant qu’il faut voir dans ces propositions à peu près 90% à 110% de communication, et le reste, s’il y en a, comme un très-mince espoir d’améliorer les choses (si possible pour les Russes, avec une effluve presque impalpable d’une certaine espérance de distanciation entre les Européens des USA, – puisqu’après tout on peut toujours rêver...).

On dira donc que l’on comprend cette double politique russe, essentiellement en raison du caractère extraordinairement instable et insaisissable de la situation du bloc-BAO, notamment en regard des situations intérieures et des psychologies exacerbées alimentant la politiqueSystème. Notre conviction reste qu’il continue à y avoir une sorte de paralysie, de glaciation durable de la situation dans l’état chaotique présent de rtension, tandis que se poursuit l’essentiel qui est la dynamique de délitement et de déstructuration du bloc, et du Système dont le bloc est totalement dépendant. Cela n’empêche certainement pas les risques d’accident pouvant dégénérer mais les cantonne effectivement au rang d’incident, donc complètement dans l’imprévisible.

 

Mis en ligne le 24 juin 2021 à 15H25