Tocqueville et les « invasions européennes » en Amérique

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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Tocqueville et les « invasions européennes » en Amérique

Il est facile de dénoncer aujourd’hui l’immigration est-européenne, musulmane, chinoise ou africaine. De toute manière tout le monde émigre et les marocains ne cessent de se plaindre de cet afflux de Français et d’européens à gros billets, à Marrakech ou ailleurs.

C’est pourquoi je reviens sur le principal sujet étudié dans mon étude sur Trump : l’ancienneté de la question anti-migratoire en Amérique. Les experts Madison Grant, Stoddard, Ed Ross critiquent l’immigration européenne dans les années 1920. On y mettra fin en deux temps sous les présidences Harding et Coolidge après la guerre. Dans Mein Kampf Hitler applaudit les décisions, qui sont bonnes, racistes et responsables pour lui, qui déteste les juifs, slaves et balkaniques – les cibles de ces lois.

Or les Européens n’étaient pas considérés comme un cadeau migratoire en Amérique, même au début du dix-neuvième siècle. Lisez un certain de Tocqueville, cité par Peter Brimelow dans son rageur Alien Nation (1996).

Voici Tocqueville :

« L'Amérique n'a point encore de grande capitale, mais elle a déjà de très grandes villes. Philadelphie comptait, en 1830, 161 000 habitants, et New York 202 000.

Le bas peuple qui habite ces vastes cités forme une populace plus dangereuse que celle même d'Europe. »

Tocqueville dénonce ce problème européen à une époque certes plus politisée (républicanisme, révolutions, socialisme) :

« On rencontre aussi dans son sein une multitude d'Européens que le malheur et l'inconduite poussent chaque jour sur les rivages du Nouveau Monde; ces hommes apportent aux États-Unis nos plus grands vices, et ils n'ont aucun des intérêts qui pourraient en combattre l'influence. » 

Pour Tocqueville, ces Européens sont des agités :

« Habitant le pays sans en être citoyens, ils sont prêts à tirer parti de toutes les passions qui l'agitent; aussi avons-nous vu depuis quelque temps des émeutes sérieuses éclater à Philadelphie et à New York. De pareils désordres sont inconnus dans le reste du pays, qui ne s'en inquiète point, parce que la population des villes n'a exercé jusqu'à présent aucun pouvoir ni aucune influence sur celle des campagnes. »

Tout cela mène donc Tocqueville au pessimisme :

« Je regarde cependant la grandeur de certaines cités américaines, et surtout la nature de leurs habitants, comme un danger véritable qui menace l'avenir des républiques démocratiques du Nouveau Monde, et je ne crains pas de prédire que c'est par là qu'elles périront, à moins que leur gouvernement ne parvienne à créer une force armée qui, tout en restant soumise aux volontés de la majorité nationale, soit pourtant indépendante du peuple des villes et puisse comprimer ses excès. »

Cinquante ans plus tard, le docteur Gustave le Bon, connu pour son catastrophisme, écrit dans ses Lois de l’évolution psychologique des peuples (livre de chevet de Théodore Roosevelt) les lignes suivantes :

« C’est, aujourd’hui, vers les États-Unis d’Amérique que se dirigent comme d’un commun accord ces nouveaux Barbares, et c’est par eux que la civilisation de cette grande nation est sérieusement menacée. »

Le Bon dénonce ensuite l’arrivée des éléments inférieurs – tous européens bien sûr :

« Tant que l’immigration étrangère a été rare, et composée surtout d’éléments anglais, l’absorption a été facile et utile. Elle a fait l’étonnante grandeur de l’Amérique. Aujourd’hui les États-Unis sont soumis à une gigantesque invasion d’éléments inférieurs qu’ils ne veulent ni ne peuvent s’assimiler. Entre 1880 et 1890 ils ont reçu près de 6 millions d’émigrants, presque exclusivement composés de travailleurs médiocres de toutes origines. Actuellement sur 1.100.000 habitants, Chicago ne compte pas un quart d’Américains. Cette ville renferme 400,000 Allemands, 220,000 Irlandais, 50,000 Polonais, 55,000 Tchèques, etc. Aucune fusion n’existe entre ces émigrants et les Américains. »

Le Bon ajoutait ces lignes :

« Ils ne se donnent même pas la peine d’apprendre la langue de leur nouvelle patrie et y forment de simples colonies occupées à des travaux mal rétribués. Ce sont des mécontents, et par conséquent des ennemis. Dans la grève récente des chemins de fer, ils ont failli incendier Chicago et il a fallu les mitrailler sans pitié. C’est uniquement parmi eux que se recrutent les adeptes de ce socialisme niveleur et grossier, réalisable peut-être dans une Europe affaiblie, mais tout à fait antipathique au caractère des vrais Américains. Les luttes que ce socialisme va engendrer sur le sol de la grande république seront, en réalité, des luttes de races arrivées à des niveaux d’évolution différents. »

Enfin on laissera la parole à Céline qui cherche à y débarquer en 1920 en Amérique :

« Pour un miteux, il n’est jamais bien commode de débarquer nulle part mais pour un galérien c’est encore bien pire, surtout que les gens d’Amérique n’aiment pas du tout les galériens qui viennent d’Europe. « C’est tous des anarchistes » qu’ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d’Europe, c’est des fils à Dollar ».

Bien entendu on peut affirmer que tous ces grands esprits se sont trompés et ont été démentis par l’histoire…

 

Sources

Gustave Le Bon, psychologie du socialisme

Céline, Voyage au bout de la nuit

Tocqueville – De la démocratie, I, deuxième partie, chapitre 9

Peter Brimelow – Alien nation

Nicolas Bonnal – Louis-Ferdinand Céline, le pacifiste enragé (Amazon.fr) ; Trump, de la rébellion à la trahison