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55621 septembre 2004 — L’Histoire s’interrogera longuement : quelle mouche a donc piqué le sémillant Premier ministre Tony Blair, en 2001-2002 ? John Kampfner, du Statesman, écrivant dimanche dans The Observer, répond ceci : « Blame No 10's hubris and genial naivety », ajoutant que le Premier a ignoré tous les avis, tous les avertissements, toutes les mises en garde. L’explication psychologique doit en effet être tenue comme essentielle pour comprendre le drame de Tony Blair.
« Blair disregarded these warnings because they did not fit his justification for invading Iraq — the hubris in believing that it would produce a better world, and the naivety in thinking he could influence the neo-Conservatives around Bush in the way they did it. Blair found the intricacies of diplomacy frustrating, seeing the [Foreign Office] as a repository of old-school mandarins who would always find a reason for not doing something “radical” like removing Saddam Hussein. The word “cautious” was applied pejoratively. »
On sait aujourd’hui que la pression exercée sur Blair par l’échec irakien et ses conséquences a été telle qu’elle l’a conduit à envisager une démission cet été. (Les divers démentis donnés à cette information — par ses amis, et par sa femme Cherie sont suffisamment convaincants : Blair a bien failli partir, supputation d’ailleurs confirmée par diverses appréciations données à l’époque, en juillet, alors que Blair était devenu très discret dans ses apparitions publiques.)
C’est un curieux destin : au travers de son entêtement et de son hubris, de son abattage et de son dynamisme, de ses défaillances, Blair finit par installer des conditions de blocage complet du système britannique. Détaillons certains faits récents :
• Blair est toujours prisonnier de l’Irak. D’une façon générale et face à la détérioration accélérée de la situation, son aveu très récent selon lequel un nouveau conflit s’est ouvert en Irak le lie à l’obligation où il se trouve de proclamer qu’il faudra conduire jusqu’à la victoire (en plus des révélations qui continuent à s’égrener sur le comportement du gouvernement Blair avant le conflit). Dans ce domaine, Blair ne peut pas reculer, même s’il est démenti en permanence (quant à la pertinence du conflit) par des officiels britanniques qui prennent de moins en moins de gants.
• Pour autant, Blair ne veut pas perdre la main au niveau intérieur, et il ne la perd pas. Au contraire, il porte de nouveaux coups sévères à son ami-rival Gordon Brown, qui attend de pouvoir lui succéder. Les dernières nominations de Blair dans son gouvernement renforcent sa position face au Chancelier de l’Échiquier Gordon Brown et, paradoxalement si l’on songe à la faiblesse intrinsèque de sa position, renforcent la position de Blair au centre de la scène politique britannique.
• Par contre, tout cela ne renforce pas le parti travailliste, au contraire. La perspective électorale est désormais catastrophique pour les travaillistes. Le parti paie l’impopularité de Blair, la guerre en Irak, etc, en même temps qu’il se trouve incapable de se débarrasser de Blair.
• Résultat, une situation étonnante aujourd’hui, avec un parti libéral qui commence à envisager de jouer un rôle central lors des élections, et dans l’organisation du pouvoir après. Les libéraux estiment qu’il y aura la possibilité d’ un accord avec la Labour pour exercer le pouvoir.
Tout cela décrit une crise sans précédent du système politique britannique. Ce qui se passe est que ce système est incapable de se débarrasser d’un homme devenu extrêmement impopulaire mais qui reste tout-puissant en son coeur et qui l’enchaîne à une cause déjà perdue et, en attendant, complètement paralysante, après l’y avoir entraîné contre son gré. Le système britannique est fondamentalement basé sur le parlementaire. Son fonctionnement dépend du bon fonctionnement et de la cohésion des partis qui le composent (quasiment deux grands partis qui, à eux seuls, assurent les responsabilités du pouvoir). Aujourd’hui, ces partis sont tous extraordinairement divisés, comme ils ne l’ont jamais été. On trouve aujourd’hui des députés travaillistes par dizaines qui sont plus proches de certains conservateurs que de leurs collègues (et vice-versa pour les travaillistes). Il est donc impossible de trouver des majorités alternatives, ou de réunir des majorités constructives dans ces partis (par exemple, pour mettre un Blair en minorité).
La vertu du système britannique est dans sa stabilité, c’est-à-dire sa capacité à réaliser la politique décidée avec souplesse et adaptation. Cette crise du fonctionnement du système est la pire crise qui puisse survenir au Royaume-Uni. Le paradoxe est qu’elle survienne avec l’un des plus puissants Premiers ministres de l’histoire du Royaume-Uni ; et pour une cause (la crise irakienne) dont il est de plus en plus évident qu’elle ne concerne en rien les intérêts fondamentaux du pays.