Tony Blair est-il à jeter après qu’on s’en soit servi?

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Tony Blair est-il à jeter après qu’on s’en soit servi?


9 août 2003 — Voici deux textes que nous jugerons significatifs d’un climat qui s’installe à Washington, qui peut être résumé par ceci : Tony Blair, avec ses scandales, son impopularité, commence à faire désordre, et à coûter plus qu’il ne rapporte aux amis US. D’où la question qui flotte à Washington, dont on retrouve la trace in fine dans ces deux articles : Blair nous est-il encore utile ?

• L’article (un édito) du New York Times est un monument gracieusement ciselé d’une certaine tartufferie néo-libérale, new-yorkaise et élégante (et, notamment, l’art de rejeter sur les Britanniques l’essentiel de la responsabilité pour les preuves bidons pour justifier la guerre contre l’Irak.)


« The White House therefore has every reason to be concerned about the British prime minister's growing credibility problems at home. Blair's grip on office doesn't seem threatened. But his once legendary ability to sway public opinion has taken a large, and largely self-inflicted, hit. The next time Washington needs to borrow some of his credibility to broaden domestic support for its international policies, he may have little to spare. We credit the sincerity of Blair's beliefs, but are troubled by the unworthy, and ultimately counterproductive, ways he advances them.

» Blair is still admired in America. But polls show that most British voters no longer trust him to level with them. Some of his government's prewar intelligence claims about Iraq have been exposed as unsubstantiated. None of the unconventional weapons cited by the government have yet been found. Postwar problems have been worse than predicted.

» Most damaging has been a nasty scrap with the BBC over a story claiming that Blair's spokesman ''sexed up'' intelligence findings about how quickly Iraq could start firing its chemical and biological weapons. The underlying facts remain in dispute, but the crisis deepened after the suicide last month of David Kelly, a Defense Ministry weapons expert the Blair government identified as the BBC's likely source. A judicial inquiry is now under way into the circumstances behind Kelly's suicide.

» Depending on the inquiry's outcome and future developments in Iraq, Blair's credit could begin to rebound. He can make that more likely by distancing himself from American-style spin operations. He could also more openly challenge Washington on a number of important issues on which his views are known to diverge from Bush's. These include the need for a wider United Nations role in Iraq, the urgency of international action on global warming and the moral imperative of curbing the American and European farm subsidies that condemn developing countries to poverty. »


• On trouve une approche similaire dans le texte de commentaire de Clive Crook, du National Journal, publiant sur le site de The Atlantic Monthly. Le titre est assez significatif, retrouvant la même idée même si celle-ci n’est pas poussée à son terme aussi explicitement que dans le cas précédent : « The Crisis Facing Tony Blair Is Bad News for Bush, — The discrediting of Blair adds to suspicions that America's government was dishonest, too »


« ...Blair, unlike America's president, rested the case for war almost entirely on Iraq's failure to abide by U.N. resolutions and disarm. The prime minister needed evidence of actual weapons. The government therefore decided to make the most of the intelligence it had. Its case for war appears to have been based on a tendentious selection of genuine intelligence—the 45 minutes claim is a case in point—not on outright lies. But the effect, nonetheless, was to mislead. (And the government did stoop to plain fraud in at least one instance: It compiled a notorious second dossier of ''intelligence,'' plagiarized from an out-of-date academic thesis downloaded from the Internet.)

(...)

»  ...Geoff Hoon, the defense minister, may have to resign. Campbell, too, is under pressure to go.

» Campbell's departure would be an enormous blow to Blair. He has been at the prime minister's elbow for a decade. Blair's government is five parts spin to one part substance, so spin-master Campbell may be as important to the ''New Labor'' project as Blair himself. The Kelly affair has damaged the government so badly precisely because it encapsulates for British voters the way the demands of propaganda have shaped the character of this government. The opposition leader, Iain Duncan Smith, talks of a culture of dishonesty and deceit—and he is right. When Blair was re-elected in 2001, 56 percent thought that the government “has, on balance, been honest and trustworthy.” That figure now stands at 24 percent.

» Does it matter to America? It does. The discrediting of Blair discredits George W. Bush by association. It adds to suspicions that America's government was dishonest, too. And it means that when the United States next needs Britain as an ally in the war against terrorism, Britain may not be there. That next fight may be justified, just as the attack on Iraq was justified. But unless Britain is attacked first, the public will unlikely ever again trust Blair to lead it to war. »


La logique de ces deux textes est palpable : Tony Blair a des ennuis et Tony Blair est devenu encombrant. Du point de vue des intérêts américains, il ne vaut plus tripette, encore moins que tripette si Alastair Campbell s’en va (sympathique description du gouvernement Blair : « Blair's government is five parts spin to one part substance, so spin-master Campbell may be as important to the ''New Labor'' project as Blair himself. »). Les problèmes de Tony Blair sont ennuyeux, non pour Tony Blair mais pour le discrédit qu’ils jettent, par association, sur GW Bush. Il faut que Tony Blair “prenne des mesures”, — jusqu’à prendre des distances d’avec les USA, comme le suggère le New York Times, pour qu’on puisse séparer GW de Tony Blair. Ce jugement implicite coupe le souffle, lorsqu’on songe qu’il s’agit d’un homme qui, il y a trois semaines, était acclamé par le Congrès comme une sorte de nouveau Churchill. Il est bien possible qu’on “oublie” à Washington la médaille d’honneur que le Congrès lui avait promise et dont la remise, qui devait se faire le jour du discours, avait été sur l’instant mystérieusement reportée.

Ces journaux “ne font pas le printemps”, ils n’annoncent pas une politique officielle, par ailleurs impossible à exprimer officiellement, par quelque voie que ce soit. Mais ils devraient suffire pour commencer à faire comprendre à Blair qu’à la rentrée, il sera plus seul qu’il n’a jamais été. “Seul”, c’est-à-dire sans soutien américain alors qu’il sera en butte à une opposition intérieure considérable. Cela est d’autant plus probable que GW aura, de son côté, des ennuis assez similaires, et l’on comprend également, à la lecture de ces deux textes, que la tactique américaine sera de rejeter l’essentiel des divers “mensonges” factuels pour l’entrée en guerre (les armes de destruction massive, l’uranium nigérien, etc) sur les Britanniques.

Il n’est pas impossible que le Premier ministre britannique finisse par choisir comme échappatoire, et surtout pour rester en place, la voie suggérée par le New York Times : prendre ses distances avec Washington, retrouver une “vertu nationale”, éventuellement dans la perspective d’une “vertu européenne”. (Blair a toujours tenté de continuer à affirmer ses convictions européennes, même au plus fort de son engagement pro-US ; les Britanniques ont d’ailleurs, selon un comportement qui leur est habituel, l’habitude de prendre des précautions de ce côté : les Français qui conduisent l’opération Artemis au Congo pour le compte de l’UE, une opération détestée par Washington parce que totalement indépendante de l’OTAN, notent la parfaite coopération des Britanniques qui assurent un soutien de transport aérien).

Blair peut effectivement attaquer Washington sur quelques grands dossiers “hors contexte” transatlantique (en apparence, tout au moins). Par exemple, il ne serait pas nécessairement étonnant de voir les Britanniques prendre la tête d’une attaque générale contre Washington sur l’énorme dossier du réchauffement climatique (Protocole de Kyoto), d’autant que les événements y pressent, et particulièrement au Royaume-Uni où la dénonciation de l’immobilisme face au réchauffement climatique est très forte, — cette dénonciation conduisant à mettre Washington en accusation. A ce compte, Blair serait applaudi en Europe et il pourrait refaire, chez lui, une certaine unité à son profit. Mais, sur ce dernier point de sa situation intérieure, il devrait sans doute passer par certaines révisions déchirantes qui lui seraient réclamées, notamment sur l’Irak. En même temps, cette évolution pourrait nourrir une réaction anti-américaine sévère, qui ne demande qu’à s’exprimer politiquement à Londres. Dans tous les cas, Blair semble condamner à poursuivre sa danse sur le fil, pour continuer à survivre dans la situation extraordinairement complexe qu’il a créée.