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12 décembre 2004 — Tony Blair a lancé sa grande opération de reconquête. Le but est ambitieux : il doit se (re)mettre dans la poche le parti travailliste et, d’un même élan, se mettre dans la poche l’administration GW Bush. Résultat de la manœuvre : Blair triomphant, dominant le marché politique au Royaume-Uni, et le marché politique transatlantique, avec les relations USA-Europe régénérées et l’Europe (le marché européen) enfin “blairisée”. Blair n’est pas là où il est pour douter de quelque chose, aussi ne doute-t-il de rien. Au bout de la route, enfin, le spectre irakien devrait être dissipé et la réélection en mai 2005 assurée.
(Nous parlons en termes de “marché” car le gouvernement Blair apparaît plus comme un souk postmoderne, avec marché libre en sautoir, que comme un gouvernement. Voir les explications de Lord Butler dans The Spectator du 11 décembre 2004.)
Tout cela a un nom : global warming, la crise climatique si l’on veut. C’est le nouveau cheval de bataille de Blair, pour 2005, pour les élections (et sa réélection, hop), pour la présidence UK du G-8 et ainsi de suite.
[Une précision avant de poursuivre, pour séparer l’accident de la substance. L’accident, c’est la politique “blairiste” pour tenter de faire remonter Tony Blair au hit parade des grands Premiers ministres de l’histoire du XXe siècle (il n’est que sixième, — mais il est premier pour le XXIe siècle). La substance, c’est la terrifiante crise climatique, ou global warming. Quelle que soit la cause de la décision, il est bon que cette crise remonte dans l’échelon des préoccupations de nos dirigeants. Que Blair la mette à la première place est excellent, pour quelque cause que ce soit. Pour l’heure, nous nous intéressons à cette cause.]
Tony Blair croit tenir avec la convergence de la présidence du G8 pour le Royaume-Uni et le thème du global warming une recette qui pourrait être une formule-miracle. Il y a deux buts tactiques principaux dans son évolution vers un combat anti-pollution/crise climatique.
• Le premier est de rameuter le parti travailliste en débandade, autour d’un thème unificateur. Les tacticiens de l’équipe Blair ne s’en cachent pas, comme il est de coutume aujourd’hui où l’on explique sans la moindre vergogne les choix politiques par des considérations tactiques. Le Times du 9 décembre nous le confirme : « Aides acknowledge that a breakthrough on climate change would bolster the Government’s green credentials before the next election… »
La même chose est dite par The Guardian du 10 décembre, montrant par là la limpide clarté de la tactique, — tout en laissant entendre que Blair reste un homme de conviction et que celle-ci joue son rôle :
« Mr Blair is pursuing climate change and Africa as his two priorities for his presidency of the G8 next year.
» He is doing so out of conviction, and partly because senior former cabinet figures such as Chris Smith have warned him strenuously that he needs to find a foreign policy that reconnects with the progressive middle class alienated by the war on Iraq. »
• … Et puis, il y a Washington, et c’est le second objectif de Blair. Reprenons la même phrase ci-dessous et donnons-là dans sa forme complète : « Aides acknowledge that a breakthrough on climate change would bolster the Government’s green credentials before the next election, as well as provide Mr Blair with tangible proof that his alliance with Mr Bush on Iraq “has not been a one-way relationship”. » Le même article, du Times, rapporte tout de même la nécessaire prudence, pour ne pas dire scepticisme, quant aux perspectives d’entente avec les Américains :
« The Government accepts there is little prospect of America, the world’s biggest producer of greenhouse gases, agreeing to cut its emissions. Mr Bush claims that signing up to Kyoto would export US jobs to China and India, whose rapidly expanding economies are also contributing to global warming.
(…)
» Although the signals from Washington yesterday [7 december] suggested that the White House remains deeply sceptical about the initiative, a Downing Street source said: “There is an awful lot of work going on in the background on this, it is being given the highest priority.” »
Des précisions sur les intentions de Tony Blair à l’égard des Américains ont été données par ailleurs par le Guardian, le 9 décembre. Ci-dessous, un extrait de l’article où apparaissent ces précisions.
« The prime minister, Tony Blair, has been working to persuade the US to sign up to an alternate agreement to cut greenhouse gas emissions, it emerged today.
Reports of Mr Blair's move came as representatives of almost 200 nations gathered in Argentina to discuss the future of the Kyoto agreement on climate change.
» The Times said British negotiators had been trying to tempt the US president, George Bush, into accepting a so-called ''Kyoto-lite'' deal that would combine reduced carbon emissions with a statement of scientific understanding on the nature of the threat from climate change.
» The US has steadfastly refused to sign up to Kyoto, which sets targets for industrialised nations to reduce carbon emissions by 2012, claiming it would harm its economy. Mr Bush's administration has also questioned whether there was reliable scientific evidence of climate change, and whether tackling carbon emissions would solve the problem.
» Downing Street today confirmed that Mr Blair last week held discussions with the US senator John McCain about climate change, but would not comment directly on the Times story.
» A spokeswoman for No 10 said Mr Blair had held talks with Mr Bush about climate change, but said: ''We're not talking about a new Kyoto-style treaty. These proposals would be complimentary to Kyoto, not instead of it. We are still fully committed to the Kyoto agreement. We need to go beyond Kyoto to accelerate a programme on low carbon emissions while promoting economic growth.''
» Mr Blair has listed the issue of climate change as a top priority when the UK takes over the presidency of the G8 group of industrialised nations next year. However, the prime minister was yesterday forced to admit that Britain would miss its own target of a 20% cut in greenhouse gas emissions by 2010. The UK is instead heading for reductions of 14%. »
On retiendra des circonstances décrites ici une seule précision intéressante, également signalée par The Times : la rencontre entre Tony Blair et le sénateur John McCain. On connaît McCain et son intérêt inattendu pour les questions d’environnement. De ce point de vue, la démarche britannique semble logique. Elle nous paraît surtout désespérée, et permettant d’apprécier jusqu’à quel point, comme d’habitude, 1) les Britanniques n’ont aucune chance d’avoir un soutien conséquent de l’administration GW, et 2) combien les Britanniques, malgré leur prétention et 60 ans d’alliance asservie à Washington, n’ont toujours rien compris au fonctionnement des Américains.
McCain est un maverick, — un parlementaire qui a construit sa carrière sur des positions originales, indépendantes, etc. C’est-à-dire qu’il n’exerce aucune influence réelle dans une capitale où la puissance se construit presque exclusivement sur le conformisme et le soutien de centres de pouvoir défendant ce conformisme. Mais il est suprêmement habile dans l’art d’exploiter des opportunités et d’acquérir une réelle puissance à partir de là, dans un domaine bien précis. Une affaire éclate, si possible polémique et embarrassante, qui est du domaine d’intérêt de McCain ; il la prend en marche, la plupart du temps cela ne va pas très loin, parfois ça marche et cela peut aller très loin, et à ce moment McCain devient un homme puissant et influent (voir
Si un jour, l’affaire du global warming déclenche un scandale washingtonien ou divise l’administration GW, alors McCain aura du poids. Ce n’est tout de même pas Blair qui peut prétendre imposer “à l’agenda” des polémiques de Washington cette question du global warming (à partir de quoi, McCain deviendrait un allié précieux) ; si c’était le cas, il n’aurait pas besoin de McCain, même si le soutien de McCain ne serait pas à rejeter.
Ces consultations de Blair avec McCain semblent donc bien indiquer deux choses : ou bien la cause de gagner le soutien de l’administration GW sur la question du global warming n’est encore nulle part ; ou bien les Britanniques, malgré soixante ans d’alignement sur Washington, n’ont toujours pas compris comment fonctionne Washington. Il y a sans doute un peu des deux.