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298Cette sorte de scène vaut tout un long discours, bien des analyses savantes, nombre de plaidoiries passionnées, et elle doit être offerte en cadeau aux quelques amoureux de l’American Dream qui subsistent, surtout en France évidemment (qui viennent parfois nous rendre visite, la civilité en sautoir et la morale en boucle). Il s’agit de l’audition par télévidéo, devant une commission de la Chambre des Représentants, d’un Allemand d’origine turc qui a passé près de 5 ans dans les prisons US, d’Afghanistan à la fameuse géôle de Guantanamo, avant d’être relaché puisqu’on n’a pas réussi à découvrir le crime pour lequel on l’avait emprisonné. Murat Kurnaz était bien côté: les USA avaient payé $3.000 à l’automne 2001 pour se le faire livrer par le Pakistan. Suivit l’habituel cortège d’horreurs made in USA. Kurnaz était depuis longtemps reconnu inapte au rôle de coupable mais on continua à le tourmenter, au cas où l’imbroglio kafkaïesque de ces imbéciles bornés déboucherait sur quelque part («US authorities determined in 2002 that Kurnaz had no terror links, but claimed that he remained a danger because one of his friends had committed a suicide attack – even though the friend in question is alive, and has never been found to have terror ties.»)
Mais ce qui nous arrête, c’est la réception du témoignage par la commission du Congrès. Une dépêche AFP, par Yahoo le 21 mai, nous en informe.
«Kurnaz, his hair trimmed short and dressed in a black suit, gripped his notes and began to speak, but a technical difficulty prevented the audio from reaching Washington.
»Some reporters and members of the public gave up waiting, but after around a half hour Kurnaz was able to be heard – and he recounted some of the horrific details of his travail.
(...)
»Facing the screen, the majority of seats for committee members sat empty. Barely half a dozen lawmakers came to listen to the former detainee, and most were unable to remember his name, with one even calling him “Mr. Karzai.”
»The first to speak after Kurnaz was finished was ranking member on the committee, Republican Congressman Dana Rohrabacher, who expressed doubts about the testimony and recalled that the United States was “at war” and needed to protect itself even at the price of making some errors.
»And when it came to the question of where ex-inmates should go when their home country refuses them, Rohrabacher said: “I would suggest that any of our allies who have criticized the US should take some of them themselves.”»
Puisqu’il fallait bien enfin que quelqu’un tentât de rattraper cette pénible séance, ce fut le démocrate Nadler qui s’en chargea. Simplement, on espère qu’il pensait ce qu’il disait: «The people who tortured you were committing crimes under American law. I hope in the next few years these people will be held accountable. I wanted in the name of the United States to express for you my regrets and my apologies.» La dépêche note qu’il y eut quelques “timides applaudissements” dans le public.
Il n’y a pas de moment plus significatif du caractère indécent, grossier et arrogant de la psychologie américaniste, chez ceux qui sont les représentants du système les plus assurés de leur propre vertu. Ces attitudes valent effectivement tous les réquisitoires du monde. Elles montrent qu’il existe une certaine impossibilité d’établir des rapports acceptables avec des gens dont la psychologie est aussi complètement pervertie, qui ne trouvent pas la décence de s’intéresser à une existence massacrée, dans la plus complète illégalité et une cruauté étalée sans état d’âme, par le système dont eux-mêmes sont les créatures.
L’inculpabilité US (que nous avions justement mise en évidence à propos de la torture) est particulièrement insupportable lorsqu’elle prend le visage de nouveau riche inculte qui est en général celui des parlementaires US. On ignore si la démocratie est “le pire des régimes sauf qu’il n’y a pas d’autre” mais on sait bien qu’elle est sans doute la seule à procurer cette sorte d’arrogance patinée d’une vertu qui va de soi, d’un parlementaire US n’écoutant pas le témoignage d’un homme qui a subi pendant 5 ans les prisons et la torture de son propre système, en toute illégalité, en toute impunité, pour un crime indéfini qui n’a pas eu lieu.
Mis en ligne le 23 mai 2008 à 13H34
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