Toujours dans le Péloponnèse

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Toujours dans le Péloponnèse

Grandis dans l’ère de la civilisation du soleil couchant, nous sommes toujours dans le Péloponnèse.

Ceux nés au siècle dernier s’ils faisaient leurs humanités ouvraient les yeux sur le bleu de la mer Égée. Ils ont voyagé avec Ulysse et l’ont raccompagné à Ithaque, traduit Xénophon. Éblouis par la prose de Thucydide, ils ont mal lu « ce gouvernement portait le nom de démocratie, en réalité c’était le gouvernement d’un seul homme », très explicite pourtant où Périclès est assimilé à un monarque à Athènes, parce qu’il partageait son admiration pour l’orateur, celui de la harangue et de l’oraison funèbre. Les Grecs et particulièrement les Athéniens auraient été les inventeurs de la démocratie.

Nous en serions les héritiers.

À peine quatre-vingt cinq ans séparent le début des guerres médiques de la fin de celles du Péloponnèse. Moins d’un siècle au cours duquel s’inscrivent la courbe ascendante et le déclin de l’impérialisme athénien sur une minuscule contrée du monde méditerranéen.

Au cœur de cette période, le miracle athénien, soit la trentaine d’années (461-429) au cours desquelles Périclès avait plein pouvoir, militaire et législatif, tout en n’ayant été formellement que l’un des dix stratèges d’Athènes.

Ce moment qui brille encore de ses feux jusqu’à nous a été précédé par une campagne du Grand Roi venu punir Athènes qui attisait la révolte des colonies grecques sur la berge de l’Asie Mineure aux confins occidentaux de son empire.

Jusque-là, les cités ioniennes, s’administrant elles-mêmes, vivaient de leur commerce en s’acquittant d’un tribut à la puissance du moment. L’empire perse s’étendait de la Turquie actuelle jusqu’en Inde et de l’Égypte à l’Afghanistan, près de 100 fois l’aire occupée par les hellénophones. Cette immensité impliquait un contrôle relâché des satrapies périphériques.

L’excitation de la fronde ionienne par Athènes était liée à l’expansion en Europe de l’empire achéménide qui risquait de rompre ses lignes d’approvisionnement. Athènes dépendait de la Thrace pour son bois, matière première indispensable à son architecture navale et pour le grain.

Athènes a pris le commandement de la coalition des cités qu’elle a convaincues de repousser Darius qui envisageait sa première expédition comme punitive à son égard.

Elle a fourni le plus grand nombre de trirèmes. Elle se dota de cette force de frappe selon la stratégie de Thémistocle et grâce à l’argent extrait des mines de Laurion.

Cette guerre est donc le prototype de rivalité pour la domination entre deux puissances d’un territoire tiers source de matières premières vitales pour l’une des deux économies.

Elle est aussi un exemple saillant de recrutement d’alliés au bénéfice d’un seul d’entre eux.

Athènes est vite passée de son statut d’allié dans la défense de la ligue panhellénique à celui de protecteur qui administre ses vassaux selon ses propres règles et lois et qu’il soumet à un impôt déguisé. Elle en obtenait une contribution obligatoire qui alimentait un fonds commun en principe dévolu aux dépenses militaires communes contre le Barbare et qui a vite grossi le trésor d’Athènes. Grâce au plus phénoménal détournement de fonds de l’Antiquité ont été édifiés les beaux monuments de l’Acropole et ont prospéré les Arts et la Philosophie.

Quant à la démocratie, la participation à l’assemblée ou Ecclésia, elle était réservée aux citoyens, c’est-à-dire les propriétaires fonciers, les commerçants et les artisans.

Pour devenir magistrat, il fallait un grand niveau de fortune et lorsque Périclès a proposé d’en baisser le seuil, il fut considéré comme un vulgaire démagogue.

Ici nous voyons à l’œuvre le moteur du mensonge d’une prétendue défense de la liberté pour confédérer une alliance militaire qui ne profitera qu‘au plus fort qui l’a imposée. Il en tire gloire et enrichissement aux dépens des subjugués qui se sont mis dans son sillage.

Dans son récit de la guerre du Péloponnèse, Thucydide qui en fut un contemporain nous offre la relation de discours d’hommes politiques athéniens dénués de toute ambiguïté et emblématiques de la protection qu’offre Athènes par la punition qu’elle inflige si une cité la décline.

Deux orateurs se sont succédés à la tribune pour décider du sort qui sera réservé aux Lesbiens de Mytilène coupables d’avoir fait défection à la ligue athénienne. L’un Cléon, le faucon, réclame la mise à mort de toute la population adulte. Selon lui « un État démocratique est incapable de commander à d’autres… Parce que dans vos relations quotidiennes vous n’usez ni d’intimidation ni d’intrigues, vous vous comportez de la même manière envers vos alliés. » Il exigeait l’extermination pour l’exemple. La colombe Diodotos, connu uniquement par la réponse transcrite qu’il fit à Cléon s’opposa à cette option, il emporta la conviction. La ville ne sera pas rasée, ses murailles seront détruites, ses vaisseaux confisqués, toute l’île de Lesbos sera divisée en trois mille lots. Trois cents furent réservés aux dieux, le reste fut tiré au sort et occupé par des colons d’Athènes. Pourquoi tuer si on peut réduire en servage ? (1)

La pente descendante de l’empire athénien se dessina quand Sparte décida de lui porter atteinte en organisant la ligue du Péloponnèse. Les Lacédémoniens invincibles sur terre grâce à leurs formations d’hoplites furent longtemps handicapés par la faiblesse de leur marine. Au terme de trente ans de luttes fratricides, en 405, les dernières batailles furent gagnées par le commandant sparte Lysandre avec l’aide financière du fils du roi de Perse Cyrus le jeune.

Athènes encerclée sur mer et sur terre signera sa défaite face aux Perses et aux Grecs, rasera ses murailles et livrera le restant de sa flotte en n’ayant plus la possibilité d’en reconstituer une autre.

L’empire perse aura pour sa part une longévité de deux siècles et demi.

Que nous dit le miroir tendu par Thucydide, condamné à l’exil par un rival politique et à l’écriture, dont le texte est encore lu et enseigné dans les écoles militaires modernes au même titre que la bataille d’Alger ?

L’impérialisme enveloppe ses mouvements militaires de récits qui tordent et essorent leurs motivations matérielles pour les arrimer sur un ombilic mythique ne convoquant que des aspirations altruistes et désintéressées.

L’impérialisme forge ses légendes et il conduit surtout à la guerre totale sous ses deux formes toujours prisées aujourd’hui. Mégare une ville de l’isthme entre le Péloponnèse et l’Attique fut réduite par un blocus maritime athénien. Les cités alliées qui ne supportaient plus le joug de la domination devaient être rasées et leurs populations décimées.

L’impérialisme délègue la production de ses denrées essentielles à ses vassaux par sa suprématie acquise grâce à sa maîtrise dans les transports. Périclès a refusé de livrer bataille à Sparte là ou elle était puissante avec son armée de 40 000 fantassins, il a choisi de l’épuiser dans de multiples raids. Ce faisant, il a condamné la classe des paysans et des propriétaires terriens obligés de renoncer à leur situation et de se réfugier dans l’enceinte de la cité et a orienté définitivement l’économie d’Athènes non vers la production, mais le commerce et la guerre. Il ne faisait là que marcher sur les brisées de Thémistocle qui avait tout misé sur la thalassocratie quand l’affrontement avec les Perses a été une première option impérialiste.

La projection du Royaume Britannique se fit par les mêmes procédés maritimes avant que navires et destroyers ne soient découronnés par les flottes aériennes.

Deux mille cinq cents ans plus tard, pourrait-on faire trembler les focales et laisser apparaître les Us(a) derrière Athènes et la ligue de Délos à travers l’OTAN ?

Pour l’extermination, les Amérindiens, Hiroshima, le Vietnam, l’Irak, la ruse et les intrigues, Pearl Harbor, les révolutions colorées, les choix polémologiques en convergence avec les options économiques, destruction des entités nationales politiques et économiques pour un capitalisme sans contrainte, selon un examen rapide et amusé, certes, oui.

Les Us(a) se sont empressés de débarquer pour ne pas laisser l’URSS sauver la vieille Europe de la barbarie nazie et sont devenus la puissance qui régit toutes les affaires intérieures et extérieures de ses vassaux, les obligeant à adopter ses normes en matière de comptabilité et les forçant à contribuer militairement à la défense de son empire.

Dans les récits que font d’eux-mêmes les champions de la démocratie sont omis tous les faits de collaboration avec les Barbares. Nombre de cités grecques qui sont restées autonomes pour leur administration et libres pour leur pratique religieuse avaient préféré rester dans le giron du Méga Basileus. Nombre d’éminents citoyens grecs ostracisés sont allés lui offrir leur expertise militaire.

Toute la synarchie française, banquiers et industriels, a travaillé pour renforcer le dispositif de l’armement à marche forcée de l’Allemagne sous contrôle du parti national-socialiste. Le capitalisme financier ascendant étasunien a investi dans l’industrie lourde germanique qui a connu une expansion très profitable grâce au Service de Travail Obligatoire et aux camps de prisonniers nationaux ou non, main d’œuvre gratuite (et non syndiquée). Les enquêtes autour de la banque UBC fondée par le beau-père de Prescot Bush et de son associé Harriman (2) avaient montré son implication dans les efforts de guerre allemands entre les deux guerres. Dirigé par P. Bush, elle n’était qu’une institution financière off shore qui permettait parmi d’autres la migration facile d’actifs de l’industriel allemand Thyssen, financier du parti d’Hitler.

Un peu plus tard, les Us(a) ont organisé l’exfiltration systématique de toutes les compétences allemandes qu’elles soient scientifiques ou militaires.

Certaines expéditions athéniennes illustrent les leurres d’une puissance qui n’apprécie plus ses capacités réelles.

Parmi elles, l’intervention en Sicile en 415 devait couper les lignes maritimes de Sparte vers cette partie très occidentale pour le monde grec de la Méditerranée. Inspirée par Alcibiade, l’ancien éphèbe repoussé par Socrate, elle finit par la destruction totale de la flotte athénienne piégée dans une baie. Soupçonné d’actes impies et menacé d’un procès, Alcibiade devient un transfuge et rejoint Sparte. Plus tard, il fuira ses hôtes après avoir compromis l’épouse d’un roi sparte pour offrir ses services au Grand Roi. Il finira assassiné après être revenu commander les Athéniens oublieux de ses pérégrinations peu cohérentes avec un patriotisme sans tache.

Treize ans après ses débuts, la première expédition de la coalition autour des Us(a) en Afghanistan et Irak pour mettre en difficulté Russes et Chinois a absorbé des milliers de milliards de dollars et mis en évidence la faiblesse du bloc impérialiste occidental. Kerry ne vient-il pas de reconnaître sous un mode dénégatif que son pays fédéral se comporte comme une nation pauvre ?

Des figures d’Alcibiade, les Us(a) et leurs vassaux en regorgent. Ils prennent des masques divers, depuis Petraeus, l’homme du « surge » en Irak, qui livre des données sensibles à sa maîtresse, à Colin Powell qui avoue quelques années après ses mensonges en passant par Edward Snowden qui a quitté le monde de l’espionnage tout azimut pour le dénoncer depuis une capitale ennemie.

L’héritage grec, c’est aussi le jeu des alliances sans cesse rejouées. Sparte prétend en fin de guerre du Péloponnèse à la domination sur ses voisins grecs grâce aux ennemis d’hier, les Perses. Dans le même temps, des colons grecs aident au renversement de la vingt-septième dynastie, celles des rois perses devenus pharaons pour cette satrapie. L’Égypte devient indépendante en 404 avant JC pour un court moment.

Le renversement de Moubarak, l’installation au pouvoir de Morsi puis la restauration d’une dynastie militaire viennent en surimpression avec la destruction en cours de la Syrie. Le maître d’œuvre de la région étasunien et israélien, qui s’implique dans la stabilisation relative de ses divers épisodes, est toujours pris au dépourvu par le suivant. Le général Sissi, formé aux Us(a), soutient Assad, se fait financer par les Séoud parce qu’en lutte avec la principauté du Qatar et achète de l’armement à la Russie.

La nouvelle révolution en Ukraine organisée depuis le Maydan (3) de Kiev, illustre la destruction d’une entité qui ne répond plus parfaitement comme vassale de la ligue de Délos aux exigences impérieuses du FMI, de l’OTAN, tous équivalents de la liberté, de la démocratie surplombée d’une nouvelle divinité, le droidelomisme incarné dans l’institution de l’Union Européenne. L’oligarque Viktor Yanoukovitch est bien issu de la révolution orange décrétée par les Us(a) et facilitée par le magyaro-étasuno-israélien Georges Soros. Depuis la sortie du giron soviétique, l’Ukraine a accumulé des dettes et des gouvernants d’un niveau de corruption équivalent. Pour retrouver un espace de déploiement sur son flanc européen et une emprise affermie sur la Mer Noire, la Russie a consenti en décembre 2013 une aide financière considérable, 10 milliards de rabais sur le gaz et 15 milliards de prêt pour résorber le risque de faillite imminent, face au plat de lentilles de l’UE et l’OTAN : un milliard contre l’austérité et pas de facilité de circulation des chômeurs ukrainiens en Europe.

Le mécontentement populaire latent contre la corruption institutionnelle et son appauvrissement fut exploité pour relancer un cheval de Troie dormant. Il s’exprime d’abord sous la forme d’une kermesse avec distribution de borscht et musique klezmer. Des groupes très organisés militairement et logistiquement investissent la place, l’occupent durablement, provoquent la police et l’armée et génèrent les martyrs qui vont indigner.

Dès novembre 2013, la jeunesse juive, sans doute entraînée par le grand financier Georges Soros, adhère au mouvement de protestation livrant des unités actives pro-démocratiques aux côtés des adeptes du parti national-socialiste Svoboda anti-slave et antisémite. Quelques semaines plus tard, en février, le grand rabbin de Kiev en appelle au moldave Lieberman naturalisé israélien pour aider à la sécurité d’une importante communauté qui n’a pas participé malgré de multiples incitations aux exodes des années 70 et 80.

Comme ils le furent pour repousser en 1939 le péril bolchevique et/ou slave, les Barbares sont convoqués dans un mariage d’apparence contre nature avec les ‘démocrates’.

L’usage du qualificatif de barbare connaît une certaine plasticité et subit des remaniements adaptatifs selon l’heure et la position de la zone à soumettre. Le barbare du jour, c’est la Russie qui contrarie les besoins des banques occidentales.

C’est un Barbare riche de son énergie gazière et donc coupable de détenir le bois de Thrace. Mais il possède aussi la monnaie d’or, le darique achéménide ou perse. Ni le FMI ni les Us(a) et moins encore les Européens avec le rafistolage de leur papier imprimé adossé à des dettes colossales ne peuvent sauver l’Ukraine de la faillite.

La Russie, elle, se propose de le faire.

Il lui suffit d’attendre.

Nous ne savons plus que c’est de Kiev et de l’Ukraine qu’est née la Russie.

Comme les Grecs d’alors n’ont pas su que les Perses n’étaient pas des Mèdes. Ils ne savaient pas non plus que leur alphabet, grâce auquel ils ont écrit leurs épopées à leur avantage qui nous ont été transmises et dont nous avons été baignés comme vérité historique, est sémitique.

Comme nous ne voyions pas chez nos prédécesseurs mythiques la coexistence du rationalisme le plus matérialiste avec les mystères d’Éleusis puisés dans les rites initiatiques des religions orientales.

Comme nous ne savons pas déchiffrer dans notre puissance technique, tant elle nous enivre, les germes de notre destruction.

Badia Benjelloun

Notes

(1) XLII à LI du livre II l’histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide.

(2) La plus puissante banque d’affaires des années 30 Brown Brothers Harriman.

(3) Maydan est un mot d’origine farsie, signifie place, introduit tel quel dans la langue arabe voir Maïdan Tahrir au Caire