Tourments washingtoniens

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Le phénomène de ce qu’on désigne de plus en plus généralement comme l’“addiction” du parti républicain US à l’activité guerrière – qui n’épargne pas non plus les démocrates, d’une certaine façon, – est bien mis en évidence par la synthèse du Progress Report que nous présentons en Ouverture libre, ce 7 juillet 2010. Ce phénomène s’est manifesté fortement à l’occasion d’une “gaffe” du président du parti républicain, se demandant simplement à quoi rime cette guerre en Afghanistan.

On prendra garde à lier ce phénomène avec un autre phénomène, qui est la poussée sérieuse pour une réduction radicale du budget militaire, manifestée par l’alliance entre Berney Frank et Ron Paul, dont nous rendons compte également en Ouverture libre le 6 juillet 2010. Ces divers événements témoignent à la fois d’un blocage de la direction politique US et d’une extrême vulnérabilité du blocage, avec des tensions considérables.

@PAYANT En effet, autant les déboires tragiques et les coûts pharaoniques de ces guerres, l’Afghanistan en premier, dont on se demande l’utilité fondamentale sinon pour le fait de poursuivre une activité belliciste, que la situation tragique des finances fédérales devant un nombre considérable de crises intérieures qui demandent des crédits urgents, suscitent des tensions grandissantes autour de la question de la politique militariste et belliciste. Cela concerne aussi bien les guerres que les dépenses militaires, ceci allant avec cela.

La situation est en effet très tendue et, par conséquent, très paradoxale. Il y a d’une part une réaffirmation chronique d’un semblant d’unanimité tonitruante, furieuse, pour cette politique, qui finit pas faire s’interroger, comme si cette répétition presque rituelle dissimulait un malaise profond. D’autre part, justement, des incidents épisodiques, mais significatifs et de plus en plus rapprochés, laissent deviner des oppositions potentielles profondes, voire radicales à cette politique. Bref, les exigences de la réalité ont de plus en plus de mal à être contenues.

• La “gaffe” du président du parti républicain, l’Africain-Américain Anthony Steele, exprimant audacieusement son scepticisme profond pour la guerre en Afghanistan, puis tentant désespérément de revenir sur cette déclaration devant la levée de bouclier, a plus de signification qu’il n’y paraît. Dans ce cas, la “gaffe” est du type “lapsus révélateur”, et pas seulement pour Steele. Il y a, chez les républicains, en répartition différente dans les esprits selon les cas, une partie de pensée d’hystérie absolument neocon pour la guerre, rien que pour la guerre, quelle que soit la guerre, et une autre partie soudain redevenue pensive, se demandant à quoi sert cette guerre, n’y voyant aucun sens, observant que le public n’y est pas favorable, etc. La première partie prédomine absolument en volume de glapissements et en pression du conformisme, la seconde est bien présente mais plutôt dissimulée, et sourd à l’une occasion ou l’autre, comme des bulles d’oxygène éclatant à la surface d’un marigot. Il reste que notre sentiment est bien que la couche d’oxygène, en-dessous, augmente sa pression et finira par poser au parti républicain un vrai problème.

• Cela conclu, il reste que les démocrates ne sont pas en reste. Ils ricanent devant le spectacle et dénoncent les va-t-en-guerre hystériques du côté républicain, mais ils tiennent également à soutenir en grande majorité ce qui est sans aucun doute “la guerre du président Obama”, avec en sus l’ambiguïté fondamentale de la promesse de retrait à partir de juillet 2011, à laquelle certains s’accrochent désespérément, et dont il est pourtant quasi unanimement admis qu’elle (la promesse) n’a aucune chance d’être tenue… Eux aussi, les démocrates, ont un problème. S’il est moins exacerbé pour ces élections mid-term qu’il ne l’est pour les républicains, il le sera complètement pour les présidentielles de novembre 2012, où l’on se sera clairement compté à propos de la date de retrait de juillet 2011.

• Là-dessus, il y a ce courant bipartisan inattendu, mais somme toute assez logique, liant les deux extrêmes au Congrès, les démocrates de gauche (Barney Frank) et les républicains libertariens de droite (Ron Paul). Ce n’est pas la guerre en Afghanistan qui est visée mais c’est tout comme, et c’est même beaucoup plus, puisque cela embrasse une réduction considérable du budget du département de la défense ($1.000 milliards sur dix ans), qui aliment notamment les guerres. Aucune chance ? Pas sûr du tout, d’abord parce que ces deux hommes disent tout haut ce que beaucoup d’autres osent à peine penser tout bas, ensuite parce que le couple Frank-Paul forment un tandem redoutablement manœuvrier, chacun des deux ayant prouvé qu’il était capable, à partir de pas grand’chose, de rassembler des coalitions inattendues pour des projets en apparence perdus d’avance. Ils prennent leur temps et cela prend souvent du temps, mais ils sont efficaces ; d’autre part, les conditions des crises diverses s’aggravant au jour le jour, ce type de personnalités a de plus en plus d’influence, et l’aspect du temps nécessaire à leur efficacité pourrait s’en trouver changé dans le sens de la réduction.

Dans tous les cas, on distingue partout les signes de cette tension sous-jacente à l’encontre de la politique militariste et interventionniste, parce que cette politique pèse un poids de plus en plus lourd sur les capacités du pays et interfère désormais directement dans les besoins intérieurs urgents, ce qui conditionne la mauvaise humeur du public qui se transforme en électorat tous les deux ans. Cette tension est d’autant plus perceptible qu’il n’y a nulle part une orientation hiérarchique précise, avec un président qui cultive l’ambiguïté et l’incertitude, voulues ou pas, en plus des diverses impuissances qui frappent un système dont les structures de direction sont brisées. Ce que nous voulons observer ici, ce sont les tendances de fond, plutôt que les effets politiciens à court terme. La situation est aujourd’hui beaucoup plus incertaines que, par exemple, durant la période 2004-2006, avec les revers irakiens. Le désordre est complet pour ce qui est autant de la stratégie que des moyens de cette stratégie, les tensions sont multiformes et touchent tous les partis, les positions de force (par exemple des pro-guerres) tiennent surtout à des positions de communication privilégiées, et l’on a vu que le système de la communication est prompt à passer en mode “fratricide” vis-à-vis du système dans certaines circonstances.

Le point remarquable est qu’on ne voit rien qui puisse brusquement diminuer cette tension qui presse le parti belliciste en général. En Afghanistan, il est vraiment très difficile, malgré l’arrivée du Messie-Petraeus (qui était tout de même déjà présent comme supérieur direct et ami de McChrystal), d’entrevoir un succès ou une narrative virtualiste de succès qui desserre l’étreinte des doutes et des incertitudes. Du côté du Pentagone, toutes les perspectives sont catastrophiques, alors que la pression budgétaire est plus forte qu’elle n’a jamais été, que la crise économique n’est pas résolue, et le tout pimenté par l’un ou l’autre cas comme le oil spill ou la querelle sur une politique anti-immigration illégale. (...Notamment, sur ce dernier point, avec une plainte officiellement déposée il y a quelques heures par le département de la justice contre l’Etat de l’Arizona, – voir le Washington Times ce 7 juillet 2010, – plainte qui a aussitôt amené des appréciations critiques de la majorité des républicains et d’une bonne partie des démocrates, parce que la loi édictée par l’Etat de l’Arizona est populaire dans l’électorat.)


Mis en ligne le 7 juillet 2010 à 12H43