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1311L’affaire afghane est une étrange aventure, une énigme stratégique quand on en vient à examiner le comportement occidental. Personne ne sait exactement ce que l’OTAN, et les pays occidentaux avec elle, y font sinon s’exposer à des revers militaires peu flatteurs, coûteux, politiquement pénalisants et ainsi de suite. On y comprend encore moins quand on voit que la lourdeur de l’appareil occidental, sa boulimie extraordinaire de logistique et de ravitaillement pour accoucher d’une campagne inepte et self-defeating, conduit cette même OTAN et ces similaires pays occidentaux à se placer en obligés des Russes, voire à la merci des Russes en certaines circonstances.
(Mais trêve d'hypocrisie: si on examine l'affaire du point de vue de la communication et de l'idéologie virtualiste de l'Occident, tout s'explique. Ils y sont partis pour satisfaire aux mots d'ordre, aux incantations des groupes d'influence de la communication, de la nécessité de l'apparence de la solidarité otanienne, pour ne pas froisser Washington. Nous y sommes, nous y restons.)
Après les raclées infligées ces derniers jours aux lignes de ravitaillement occidentales passant par le Pakistan, aussitôt minimisées par l’establishment militaire occidental comme sans importance, on apprend que l’OTAN négocie ferme avec les Russes pour obtenir très rapidement une voie de communication terrestre centrale vers l’Afghanistan, passant par la Russie. L’OTAN négocie une autre voie, plus au Sud, passant par la Géorgie et quelques pays “stan”, explicitement pour ne pas dépendre complètement des Russes; cela n’empêche pas de constater que cette voie plus au Sud est beaucoup plus longue et risquée, beaucoup plus coûteuse, passant par des pays instables politiquement et accentuant ainsi cette instabilité. Cette deuxième voie “pour ne pas dépendre des Russes” a donc tout pour faire une initiative contre-productive de plus, puisqu’elle sera perçue avec méfiance par les Russes et les poussera au soupçon anti-OTAN, attisera l’activisme de l’un ou l’autre félé anti-russe, type-Saakachvili bien sûr, accroîtra l’instabilité dans la zone et ainsi de suite, – pour retrouver l’OTAN encore plus dépendante de la nouvelle ligne de communication établie en Russie.
Le Times de ce matin développe la nouvelle qui sonne la réconciliation obligée de l’OTAN avec les Russes.
«Nato plans to open a new supply route to Afghanistan through Russia and Central Asia in the next eight weeks following a spate of attacks on its main lifeline through Pakistan this year, Nato and Russian sources have told The Times. Kazakhstan and Uzbekistan, the former Soviet Central Asian states that lie between Russia and Afghanistan, have agreed in principle to the railway route and are working out the small print with Nato, the sources said. “It'll be weeks rather than months,” said one Nato official. “Two months max.”
»The “Northern Corridor” is expected to be discussed at an informal meeting next week between Dmitri Rogozin, Russia's ambassador to Nato, and Jaap de Hoop Scheffer, Nato's Secretary-General.
»The breakthrough reflects Nato and US commanders' growing concern about the attacks on their main supply line, which runs from the Pakistani port of Karachi via the Khyber Pass to Kabul and brings in 70 per cent of their supplies. The rest is either driven from Karachi via the border town of Chaman to southern Afghanistan – the Taleban's heartland – or flown in at enormous expense in transport planes that are in short supply. […]
»However, Nato and the United States are simultaneously in talks on opening a third supply route through the secretive Central Asian state of Turkmenistan to prevent Russia from gaining a stranglehold on supplies to Afghanistan, the sources said. Non-lethal supplies, including fuel, would be shipped across the Black Sea to Georgia, driven to neighbouring Azerbaijan, shipped across the Caspian Sea to Turkmenistan and then driven to the Afghan border. The week-long journey along this “central route” would be longer and more expensive than those through Pakistan or Russia and would leave supplies vulnerable to political volatility in the Caucasus and Turkmenistan.»
Cette affaire de coopération entre l’OTAN et la Russie pour le soutien de la guerre otanienne en Afghanistan est pendante depuis plusieurs mois. Mise en place pour être négociée au sommet de Bucarest en avril dernier, freinée ou même gelée, c’est selon, en août dernier, au moment de la crise géorgienne, elle reprend toute sa vigueur aujourd’hui. La semaine dernière, divers émissaires russes se sont précipités à l’OTAN pour s’exclamer: “Nous vous l’avions bien dit !”, commentant ainsi les attaques des talibans contre les voies de communication de l’OTAN passant par le Pakistan. Ils ont rencontré des interlocuteurs otaniens effectivement paniqués, derrière l'apparence publique de la tranquillité et de la vertu occidentaless, et prêts à accélérer les négociations avec la Russie.
Les talibans ont fait, pour les Russes, la démonstration ultime de la validité de leurs conceptions stratégiques selon lesquelles la seule voie d’accès sécurisée vers l’Afghanistan passe par la Russie. Même la voie du Sud, qui passe par la Géorgie et les pays-“stan”, n’offre guère de garantie de stabilité. Les Russes se placent ainsi dans une position idéale, qui n’a vraiment plus grand’chose à voir avec la position qu’ils occupaient, dans tous les cas dans l’esprit des analystes atlantistes, en août 2008 lors de la crise géorgienne. (A cette lumière, c’est plutôt l’attitude de l’OTAN qui doit faire l’objet d’observations étonnées; quelle logique soutient la mobilisation anti-russe d’août-septembre 2008 à l'OTAN, pour découvrir quatre mois plus tard l’indispensabilité stratégique de l’entente avec les Russes et obtenir cette entente en acceptant une situation où les Russes tiennent un atout stratégique de première importance? Mais trêve d'hypocrisie [bis repetitat], on sait bien que nombre des positions nationales anti-russes manifestées à l'OTAN répondent à des consignes de communication, de l'idéologie virtualiste, de l'alignement sur Washington, et bla bla bla...)
Quelques observations sur la position russe:
• Les Russes ont objectivement intérêt à soutenir l’OTAN dans sa guerre en Afghanistan. Pour deux raisons: d’une part, cette guerre “fixe” les talibans et leurs alliés islamistes dans cette zone, et réduit la pression islamiste sur la frontière russe; d’autre part, cette guerre “fixe” l’OTAN dans ce bourbier, dans la mesure où les Russes sont persuadés que l’OTAN ne peut l’emporter et qu’il importe alors de la soutenir pour qu’elles ne subissent pas de revers trop vifs qui pourraient déclencher un abandon de ce théâtre, – dans un moment de faiblesse du caractère comme l'OTAN montre parfois.
• Comme on l’a vu plus haut, cet accord place la Russie dans une position de force vis-à-vis de l’OTAN, en lui donnant un rôle d’“indispensable allié de circonstance” . Les Russes ont désormais une carte maîtresse dans leurs négociations avec l’OTAN, et une carte avec laquelle ils peuvent exercer une pression supplémentaire dans plusieurs cas. On imagine aisément les Russes en bien meilleure posture pour exiger des concessions décisives dans l’affaire du BMDE (anti-missiles).
• Dans la logique de ce qui précède, l’accord sur la voie de communication vers l'Afghanistan renforce la position russe vis-à-vis des USA de l’administration Obama. Les Russes ont compris que l’administration Obama veut faire un effort maximum en Afghanistan; ils aident donc cet effort maximum, tout en comprenant aisément que cet effort a, comme dans le cas de l’OTAN, la vertu, de leur point de vue, de “fixer” les USA dans le bourbier afghan. Les Russes ont également compris que l’administration Obama recherche des arrangements avec les Russes en Europe pour se concentrer sur l’Afghanistan, et toute cette affaire y concourt également. Là encore, ils retrouvent la position déjà mentionnée d’être en meilleure position pour obtenir des concessions en Europe de la part des USA, notamment sur la question des anti-missiles dont le projet de déploiement n’enchante pas vraiment l’administration Obama.
On observera enfin combien cette affaire contribue à renforcer la réorientation de la crise afghane, du Sud vers le Nord; en en faisant le bout oriental d'un “arc de crise” désormais orienté vers le Nord, vers la Russie (avec la Géorgie), vers la Pologne (BMDE), vers l'OTAN, au lieu de l'“arc de crise” classique, vers le Sud, vers l'Iran, l'Irak et les rives de l'Océan Indien.
Mis en ligne le 13 décembre 2008 à 14h19
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