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375On a déjà eu quelques échos épars de la querelle qui a opposé et oppose toujours semble-t-il, Julian Assange, le co-fondateur de WikiLeaks, et le Guardian. Querelle inattendue puisque les deux furent, au départ de la saga WikiLeaks, amis sinon complices…
Un article de Vanity Fair reprend la querelle, et The Independent consacre à son tour un article, ce 8 janvier 2011, à l’article de Vanity Fair. (On gage que The Independent n’est pas trop désolé de cet affrontement entre Assange et le Guardian. Question de concurrence…)
Ainsi commence notre affaire : «One afternoon last November, the WikiLeaks founder Julian Assange collected his lawyer and entered the office of Alan Rusbridger, editor of The Guardian newspaper. He had every reason to be pleased: within days the name of his website would be spewing from every media outlet and his reputation as the world's leading “freedom of information warrior” would be confirmed. But the visit was not a happy one. Assange had come to threaten the newspaper with legal action…»
La suite devient complexe et, peut-être, un tantinet sordide. Des engagements, des susceptibilités, des vanités et des intérêts s’y trouvent impliqués. Les uns et les autres se soupçonnent réciproquement de manœuvres tordues et vicieuses. Ce n’est pas exactement l’univers vertueux de la lutte contre le Système que nous pourrions imaginer, que certains se sont imaginés… La fin n’est pas la fin mais la promesse, – du moins The Independent le suppose sans dissimuler une certaine satisfaction, – de la poursuite de la querelle.
«Things came to a head in November with the angry threat of legal action. Assange had been given a letter by Rusbridger promising not to use material from “batch three” of the documents (the diplomatic cables) without the say so of WikiLeaks. But The Guardian managed to obtain the “batch three” documents through a separate source, after they were passed to a freelance journalist by a disgruntled former colleague of Assange's. WikiLeaks had itself sprung a leak. Regarding itself as free of its arrangement with Assange, The Guardian shared the material with The New York Times and Der Spiegel and prepared to publish without waiting for permission from Assange. When the Australian discovered the plan, he threatened to sue.
»Mr Rusbridger managed to placate Assange, but on 18 December, the relationship plummeted again as the paper ran a front page story claiming, “Julian Assange furore deepens as new details emerge of sex crime allégations”. The Australian was deeply hurt that the paper – where he had spent long hours in its building and shared meals with its staff – had turned on him. In April the WikiLeaks founder will have his own say on his fraught relationship with The Guardian when he publishes his memoirs. There may be more friction to come.»
@PAYANT Cette affaire, dont nous avons déjà effectivement dit un mot sans trop nous y attarder, pourrait être utilisée comme arguments par ceux qui voudraient intervenir dans l’affaire WikiLeaks/Cablegate, disons dans un sens idéologique, méthodologique ou moral (disons, pour l’un ou l’autre des protagonistes, selon les positions respectives et selon ce qu’on en perçoit) ; elle pourrait être utilisée également par les adversaires de l’opération WikiLeaks/Cablegate, dans son ensemble, par le discrédit dont on pourrait juger qu’elle la charge par l’intermédiaire de deux acteurs importants. Pourtant, ce n’est pas vraiment le cas, et cette querelle entre Assange et le Guardian est restée finalement assez marginale. Elle n’a pas été “exploitée”, dirait-on, en langage de spécialistes du renseignement ou de l’influence, et surtout en langage de spécialiste en communication, notamment contre Assange pour discréditer toute l’opération qu’il a lancée. C’est une situation très caractéristique, qui caractérise justement ce que nous nommons d’une façon générique les “systèmes antiSystème”.
Nous avons dit que ces systèmes se forment d’une manière spontanée, sans autorité, sans hiérarchie, sans véritable organisation, sans mot d’ordre unitaire, mais par un rassemblement de circonstance de différents acteurs aux motifs et aux intérêts différents mais rassemblés en une occurrence spécifique qui semble déterminée par bien d’autres choses (d’autres forces) que les seules actions humaines. On n’est même pas assuré, dans la définition qu’on tente d’organiser, qu’il y ait une communauté de volonté “antiSystème” extrêmement ferme et affirmée et l’on trouve plutôt une variété de sentiments divers, plus ou moins violents, plus ou moins conscients ou construits, plus ou moins structurés, tout cela allant d’affirmations fermes, théoriques et idéologiques (et très généralement utopiques), à des sentiments assez vagues d’insatisfaction, par exemple. Dans ce cadre, la querelle Assange-Guardian, qui nous assure que les acteurs (dans tous les cas l’un d’entre eux, mais sans doute les deux ont-ils des torts) ne “sont pas des anges”, qu’ils ont des intérêts, des vindictes, qu’il y a des questions d’argent, qu’ils s’affrontent, etc., au lieu de détonner comme on pourrait le penser dans une première réaction, s’inscrit parfaitement dans le schéma que nous voulons définir. De même qu’il n’y a pas de structure ferme, de hiérarchie assurée, de sens idéologique défini, de même qu’il s’agit bien d’un système qui se forme “spontanément” et, par conséquent, sans organisation, de même n’y a-t-il pas de vertu garantie dans le chef des acteurs de ces systèmes. Cela est infiniment préférable, d’ailleurs, la nécessité de vertu se payant en général par des exigences excessives et des interférences humaines qui sont en général plus négatives que positives. L’histoire des révolutions est là pour nous fournir plus d’un exemple édifiant à cet égard.
Pour autant et à côté de ces divers constats, à côté de la querelle Assange-Guardian, on peut constater la poursuite de déstructuration du Système que produit la dynamique Cablegate, tant au niveau de la communication elle-même (les “Wiki-câbles”) qu’au niveau de l’organisation de la bureaucratie et des mesures qui sont prises dans l’appareil du Système (dans le gouvernement fédéral US). (Outre ce que nous avons déjà commenté à ce propos, on peut lire l’un ou l’autre détail dans Ouverture libre de ce 8 janvier 2011.) On se trouve là devant la démonstration de la déconnexion existante entre le “système antiSystème” et les règles habituelles de l’action dans cette sorte de situation, donc de la spécificité très inhabituelle de cette sorte de phénomène tel que nous tentons de l’identifier et de la définir. Tous les ingrédients habituels de la lutte politique n’ont guère de place dans la lutte engagée contre le système, y compris le programme idéologique, l’organisation activiste politique, l’unité de conception et l’unité d’action, voire la vertu que certains réclament à l’activiste politique. Tous ces ingrédients sont dépassés devant ce qui fait la force du phénomène de la communication, avec une dynamique souvent favorisée par une force psychologique collective et influençant les psychologies individuelles dans le sens voulu. Le “système antiSystème” représente un phénomène important de formation spontanée d’un moyen de lutte contre le Système particulièrement bien adapté aux caractères du Système. Il mériterait… disons, un Prix Nobel, pour compenser le fait que la chose est distribuée parfois, par les temps qui courent, à de bien étranges personnages..
Mis en ligne le 8 janvier 2011 à 17H41