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223709 septembre 2018 – Il est vrai qu’à certains moments, par instants pressants parce que nous sommes à “D.C.-la-folle”, j’ai été enclin à juger l’article de Mr/Mme Anonymous avec l’idée du bouffe à l’esprit. (Dernier exemple, en lisant l’article si joliment sarcastique de Diana Johnstone, qui prend le New York Times dans son viseur et le couvre de dérision pour l’hypocrisie qu’il ne cesse de montrer, – coup au but !) De cette façon, je veux dire d’une façon involontaire parce qu’entraîné par un de mes sentiments généraux, je ne lui ai pas encore accordé l’importance politique sérieuse qu’il mérite également.
C’est une tendance générale, depuis 2015, depuis l’entrée de Trump dans la campagne des présidentielles. Le personnage est tellement archétypique, tonitruant avec les déclarations qui vont avec, emportées, furieuses, excessives, complètement de son époque folle et extrême dans les deux sens, avec la puissance de la communication ; son aspect physique, son peu de considération pour le sérieux de la raison et l’hypocrisie de l’establishment, sa piètre considération pour le conformisme et ses tendances maniaco-narcissique débridées, avec son cortège d’excès et d’exclamations exotiques, sans compter les inventions diverses, mensongères et sans nombre... Il est tellement “télé-réalité”, tellement de son temps et en même temps formidable et si puissant critique de son temps par le simple fait d’en être la caricature !
Cela rejoint le constat général de la petitesse souvent si ridicule des événements à la source, du dérisoire des causes entraînant des effets extraordinaires de puissance, cette idée que je développe si souvent puisque j’y suis chaque jour confronté. (Voir le 28 août 2018 : « c’est le contraste absolument cosmique, – le qualificatif a ici toute sa place et nous en userons répétitivement, – entre la petitesse des causes et des intentions et la formidable puissance, littéralement cosmique elle aussi, des effets ».) C’est bien le cas : le personnage grossier et dérisoire de 2015 est devenu le centre du tourbillon crisique qui agite “D.C.-la-folle”, accouchant d’une crise gigantesque elle-même absolument criblée, constellée de faits dérisoires, ridicules, abracadabrantesques... Toute cette situation, résumée par le concept de “tragédie-bouffe”, où vous en passez nécessairement par le bouffe avant d’aborder la tragédie, puis en revenant au bouffe, etc.
Voilà, j’ai donc confessé mon appréciation bouffe du texte du “Résistant” publiant audacieusement sous la signature Mr/MmeAnonymous. Or il se trouve évidemment, comme en toutes choses lorsqu’il est question de “D.C.-la-folle”, que par instants, au contraire, j’en viens à considérer que la chose est extrêmement sérieuse, surtout lorsque Trump décide de confier à son ministre de la justice la tâche d’exiger du NYT de lui communiquer le nom de Mr/Mme Anonymous. (Si son ministre Sessions, peut-être lui-même Anonymous, veut bien lui obéir, – mais alors son refus taillerait une nouvelle facette de la crise.) Cette considération sérieuse du cas apparaît notamment à l’écoute d’un dialogue sur vidéo entre Alexander Mercouris interrogé par Alex Christoforou, sur Duran.com.
Mercouris n’est pas réputé pour dramatiser les choses ; son style, précis et argumenté avec force, est toujours de chercher à pondérer les excès en toutes choses, même si sa position générale est d’une intense hostilité à ce que l’on définit ici comme la politiqueSystème dont les USA sont les plus fervents exécutants. Pour lui, cette affaire Mr/MmeAnonymous est extrêmement grave et relève de la trahison pure et simple, même si le terme ne peut être légalement employé. Il s’agit d’un acte qui doit être considéré comme une tentative de “coup d’État” ou “coup d’État” rampant/permanent, dans des conditions bureaucratiques spécifiques, dans une séquence où la détermination d’une “cabale” (DeepState, establishment, ce que vous voulez) à éliminer le président est clairement établie. Le NYT, lui, joue tout aussi clairement le rôle de complice dans cette occurrence, et il est passible de poursuites légales.
Il est manifeste que le NYT est conscient de cela ; il n’est d’ailleurs pas vraiment, je veux dire pas du tout à l’aise à mon sens après la publication de Mr/Mme Anonymous, devant l’extrême diversité des réactions critiques au lieu du soutien qu’il espérait sans doute, avec des critiques très marquées venant aussi bien de la droite que de la gauche. (Il s’agit de ce qui est jugé comme l’illégalité du comportement de Mr/MmeAnonymous, décrivant des entraves graves à l’exercice du pouvoir du président : une “cabale” d’individus sans aucune légitimité démocratique interférant dans l’action d’un président démocratiquement élu.) Le NYT a pris une initiative témoignant de son malaise, en publiant dix questions de lecteurs sélectionnées et en y répondant. L’une concerne effectivement ce risque qu’il soit légalement inquiété. Il y répond en affichant une sérénité que je croirais volontiers au moins en partie feinte, justement à cause de l’importance des réactions défavorables, et venues de milieux opposées, y compris de certains qui sont des adversaires acharnées de Trump. Voici cette réponse, reprise ici par ZeroHedge.com :
« Il est difficile d’imaginer une situation où le Times pourrait être contraint de divulguer l’identité de l’auteur. Le premier amendement protège clairement le droit de l’auteur de publier un essai critiquant le président, et absolument rien dans ce texte d’opinion n’implique un comportement criminel. Nous avons l’intention de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger l’identité de l’écrivain et sommes convaincus que le gouvernement ne peut pas nous obliger légalement à le révéler. »
Le paradoxe que je trouve plutôt plein d’une profonde sagesse et considérablement ironique dans ces circonstances chaotiques (tragédie-bouffe), c’est que le même NYT publiait, le 30 décembre 2016, un article observant qu’il existait désormais un puissant arsenal juridique pouvant contraindre tel ou tel journal à révéler ses sources, et mettant en danger l’intégrité de ce journal et le fameux Premier Amendement de la Constitution (“liberté d’expression”). La cause de cette fâcheuse situation ?Le président Obama, Saint-Barack lui-même, qui a développé durant ses deux mandats toutes les formes possibles de contrôle, de surveillance, de répression de la critique dissidente, des lanceurs d’alerte, des mises en cause des autorités en place. (Lequel Obama, plus arrogant et sûr de lui-même que jamais dans un premier discours politique depuis la fin de son mandat, a violemment attaqué Trump et recommandé de voter démocrate en novembre pour sauver la démocratie, – mais en se désolidarisant avec une exemplaire prudence de l’action fort peu démocratique de Mr/Mme Anonymous.)
C’est Glenn Greenwald, notablement anti-Trump mais violemment critique de l’initiative-Mr/MmeAnonymous, qui a retrouvé dans ses archives l’article de James Risen, et sa trouvaille notamment relayée par ZeroHedge.com :« [Un tweet] de Greenwald donne le lien à un commentaire de 2016 de James Risen dans le New York Times – bien avant que la querelle entre Trump et les médias traditionnels (ou “parti d'opposition” comme Steve Bannon les appelle) ait atteint le paroxysme actuel :[...] [James Risen :] “Si Donald J. Trump décide, en tant que président, de jeter un lanceur d’alerte en prison pour avoir tenté de parler à un journaliste, ou d'obtenir du F.B.I. qu’il espionne un journaliste, il pourra remercier un homme de lui avoir légué un tel pouvoir : Barack Obama... ” »
Si l’on veut, l’épisode de la semaine dernière a clarifié la situation et confirmé que l’on se trouve devant un affrontement institutionnel ouvert, avec une action subversive évidente. Le NYT, complice actif, espérait que le choc de la publication transformerait l’opposition à Trump en une vague irrésistible submergeant le président, avec le résultat qu’on voit. Le DeepState a officialisé sa position, confirmant son action de subversion jusqu’à l’intérieur de l’administration sans qu’on comprenne exactement l’avantage de cette initiative, d’autant qu’elle devrait contraindre Trump à des ripostes énergiques. Carlos Lozada, journaliste du Washington Post (même entre comploteurs, on ne se fait pas de cadeau), exprime cela d'une façon lapiodaire : « Trump va avoir une réaction nucléaire, ce qui rendra beaucoup plus difficile les efforts de la “résistance interne”... Quel est l’intérêt de lancer une cabale secrète si on la met soi-même à jour et qu’elle n’est plus secrète ? »
Les partisans de Trump et en général les adversaires de la politiqueSystème, comme Mercouris lui-même, sont très pessimistes sur les capacités de Trump de résister à ces pressions. (« 2019 semble devoir être l'année du bellum omnium contra omnes, la guerre de tous contre tous, écrit Patrick Buchanan. Divertissant, à coup sûr, mais combien de coups d’État peut encore supporter la République avant qu’une nouvelle génération se lève pour dire que cela suffit ? »)
Je ne sais pas s’il faut partager ce pessimisme sur la position de Trump objectivement considérée. La même logique d’observation prévaut pour lui que celle que je signale plus haut à propos du DeepState : “l’épisode de la semaine dernière a clarifié la situation” pour Trump également, bien plus qu’elle ne l’a aggravée : nul ne peut plus ignorer qu’il est enfermé dans un coin, assiégé par des actions illégales, et lui-même ne peut plus ignorer que cette situation humiliante est maintenant publique. C’est beaucoup à supporter pour un caractère si complètement maniaco-narcissique, et je le vois mal laisser aller tout cela sans broncher, – ce qui signifie qu’il sera forcé à se battre s’il veut survivre, qu’effectivement, comme écrit Lozada, « Trump will go nuclear ».
... Comme dit Buchanan, 2019, au moins, sera “divertissant”.
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