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1263Objectivement parlant, on acceptera le verdict de Patrick Cockburn, dans The Independent du 15 septembre 2013 d’une Russie plus influente aujourd’hui qu’elle n’a jamais été depuis la chute du communisme, et sans doute d’une influence qui est presque égale à celle de l’URSS-superpuissance selon le contexte nouveau qu'on connaît. Cockburn développe son affirmation actuelle à partir de l’épisode onusien de la Libye, début 2011, où la Russie fut grugée et roulée dans la farine en adhérant à une résolution qui ouvrit la porte à une intervention par ailleurs illégale dans son esprit de l’OTAN menée par la France. Nous parlerions dans ce cas, plutôt d’un faux-pas de la Russie alors menée par Medvedev et d’une tactique particulièrement rapide et victorieuse des Français et de Sarkozy. (Il faut reconnaître cela à l’ancien président qu’il savait, au contraire de son successeur-poire, réussir des percées tactiques remarquables de rapidité, d’efficacité et d’absence de scrupules, en général au nom de stratégies absolument calamiteuses et catastrophiques, – ce qui rend d’ailleurs la politique générale encore plus calamiteuse et catastrophique, puisque la réalisation de la stratégie calamiteuse et catastrophique en est d’autant plus avancée.)
Auparavant, avant ce faux-pas, la Russie s’était déjà affirmée, depuis 2007-2008, et notamment l’affaire géorgienne qui avait remis les pendules à l’heure. Ensuite, l’espèce de pseudo-“lune de miel” entre Obama et la Russie aboutit tout de même à un accord START, ce qui impliquait un grand partenarial stratégique donnant à la Russie un statut à mesure. Mais ne chicanons pas ... Cockburn et, d’une façon générale, une certaine vox populi dans les relations internationales, rendent sans aucun doute compte d’une perception qui constitue un tournant marquant du point de vue de la communication, et pour les psychologies par conséquent : la Russie triomphe, et notamment, et là sans hésitation, parce que son affirmation se fait cette fois dans la région-clef du Moyen-Orient, complétant la première phase de son “retour”, en 2007-2010 ... (Une vraie marque de ce triomphe n’est-elle pas l’activation des mesures d’autocensure habituelles pour les cas important, de la part de la presse-Système ? Glenn Greenwald signalait sur son compte Tweet la gymnastique très américaniste du magazine Time, ce 16 septembre 2013 : les trois couvertures de ses éditions internationales du numéro de cette semaine montrent un gros plan de visage de Poutine, avec le titre «The World According to Vladimir Putin», l’édition US montrant, elle, un jeune et élégant patineur à glace en pleine et gracieuse évolution, avec le titre sur le problème urgent du «It’s Time to Pay College Athletes». La censure [l’autocensure bien dans la méthode américaniste] nous dit infiniment plus qu’un long article d’“expert”.)
Cockburn, donc : «Russia’s return to the status of a great power has been obvious for some time. A Middle East leader who asked a senior American general earlier this summer about US plans for military intervention in Syria was told that prospects differed from the past because “Russia is back” as a major player.
»The agreement reached by Russia and the US yesterday calling for Syria’s arsenal of chemical weapons to be removed or destroyed, represents the first time that Russia has been so centrally important on the international stage since the last days of the Soviet Union, when Moscow was marginalised in the months between the Iraqi invasion of Kuwait in 1990 and the US-led counter-attack in early 1991. I remember sitting with the Soviet chargé in the Al Rashid Hotel in Baghdad as he agonised over the fate of the Soviet Union, which preoccupied him far more than developments in Iraq.»
Cela accepté comme une vérité de la situation, puisqu’aujourd’hui cette vérité passe par la communication, la perception et la psychologie, alors que les faits politiques et stratégiques s’estompent, s’ils existent encore en tant que tels, on admettra d’autant plus volontiers que le rôle des USA dans cette installation de la Russie dans une telle position n’est pas mince. On peut dire que c’est la chute des USA qui est d’abord, d’ailleurs très logiquement, la mesure du triomphe russe.
On peut trouver cette mesure, justement, dans le récit que fait le journaliste britannique Tim Wall, correspondant de Russia Today, des événements qui ont mené à l’accord Russie-USA sur le chimique syrien, selon une version beaucoup plus complexe que ce qui apparaît d’abord, et qui est marquée essentiellement par ce fait fondamental qui a dominé toute cette séquence paroxystique de crise : la position intenable où s’est tout de suite trouvé le président Obama ... Son intervention est en effet une accumulation d’erreurs d’appréciation, tant en ce qui concerne le soutien international à son action, que, surtout, le soutien intérieur, tant du public que du Congrès. (Selon Tim Wall, c’est lors du G20, dans la soirée du 5 septembre, qu’Obama a réalisé que le soutien du Congrès était très problématique, ce qui représente un décalage remarquable par rapport à la réalité puisque dès le 3-4 septembre, il apparaissait que l’opposition s’avérait sérieuse, grandissante, peut-être déjà irrésistible.)
Tim Wall fait porter, de façon assez justifiée selon nous, une part importante de la responsabilité de cette position sur le caractère du président US, sur son incapacité à se décider, qui conduit à des demies-mesures, à des décisions reportées, etc., et entraîne la perception d’une absence de conviction qui impressionne très défavorablement les autres acteurs. C’est son côté Hamlet déjà bien connu ... Obama se laisse ainsi entraîner dans des labyrinthes qui le conduisent à des pièges d’où il ne peut se sortir. Dans le cas syrien, le labyrinthe commence à l’affirmation de la fameuse “ligne rouge”, qu’il n’a jamais faite que pour des motifs de communication, qu’il n’a jamais vraiment eu l’intention de respecter, etc. Les Russes ont donc manœuvré selon le but d’écarter une attaque qu’Obama aurait été contraint de lancer pour ne pas perdre la face, en lui ménageant, avec la coopération de l’administration US, une issue lui permettant de se sortir de ce piège, également sans perdre la face. Le travail des Russes a donc été de “gérer” la position du président des USA, de façon à l’amener à cette position où il pourrait accepter un développement qui était depuis longtemps évoqué, voire même détaillé par les deux partenaires. Voici des extraits du texte de Wall qui est une bonne analyse de la crise, fondée sur le caractère shakespearien, côté cour, du POTUS ... «On the face of it, Barack Obama’s agonized “To bomb or not to bomb?” speech to the American people looked a class act, lacking only Hamlet’s skull and a Shakespearean costume. The reality? He’s lost the argument for strikes on Syria, and he knows it...» (Dans Russia Today, le 14 septembre 2013.)
»Contrary to White House and State Department spin, Obama’s decision to postpone the Congress vote on cruise missile strikes (at least for now) and “focus on diplomacy” was necessitated by Machiavellian realpolitik, not the “moral argument” against Assad. And Kerry’s so-called “off-the-cuff” comments about giving Assad time to decommission chemical weapons were nothing of the sort – they were merely a face-saving exercise for Obama.
»It’s not clear exactly when Obama realized the ruse was called for, but it seems it was sometime after he flew into St. Petersburg for the G8 summit. The penny may have dropped when he turned up for dinner with the other G20 leaders an hour late, after fielding presumably difficult calls with members of Congress. Then, realizing that domestic support for a strike could not be relied upon, during the dinner and further into a long night of discussions, he also realized that no effective coalition for military action could be cobbled together internationally... [...]
»Whatever the intention, the impression given was a typical “omnishambles,” as fictional spin doctor Malcolm Tucker’s character would have had it, perhaps in a more splenetic way, in the British TV comedy, “The Thick of It.” (Perhaps in this case, “Obama-shambles” would more accurately describe the angry reaction of the Washington elite to each new climb-down from the White House.)
»The idea that somehow Russian Foreign Minister Sergey Lavrov could have “seized upon” Kerry’s comments, and – within a few hours – come up with a brand new plan for Assad to turn over Syria’s chemical weapons stockpiles to international control was itself “seized upon” by the Western media. They seemed to swallow the idea hook, line and sinker – at least until after Obama’s speech Tuesday, and confirmation from Putin’s spokesman, Dmitry Peskov, that the plan had in fact been discussed in some depth between Putin and Obama in St. Petersburg.
»Then, as some of the US media started checking out the story, it became clear that the plan had been considered for a while – New York Times columnist Bill Keller wrote that a senior Obama administration official told him the plan was discussed by Kerry and Lavrov as far back as this spring. And in Russia, Dmitry Trenin, director of the Moscow Carnegie Center, said that the plan had in fact originated with former US Senator Richard Lugar, who was involved in the Nunn-Lugar program to dismantle WMD in post-Soviet countries.
»So in fact, the “Russian” plan currently being discussed in Geneva (if, in fact, we should call it a purely “Russian” plan) came about as a result of diplomatic discussions between Russia and the US. It may well be that, as a favor to be cashed in later, Putin allowed Obama to pass it off as a Kremlin idea, so that Obama wouldn't have to suffer the humiliation of unilaterally admitting that his strikes plan wouldn't get through Congress anyway...»
... D'autre part, le côté Hamlet d'Obama n'a, dans cette circonstance, fait que substantiver une position US marquée effectivement par la faiblesse des moyens et, surtout, la dissolution accélérée de la résolution de figurer au plus haut statut possible selon les conceptions américanistes dans cette crise. Hamlet convenait parfaitement à la situation. Ainsi le “triomphe russe“ est-il moins un “coup” diplomatique spectaculaire que le résultat d’un renforcement constant de la position russe, en même temps qu’une dissolution tout aussi constante de la position US, notamment et singulièrement à l’occasion de cette crise syrienne considérée dans la durée. Nous parlons en effet du terme moyen, au moins depuis le printemps 2012 et la ferme définition de la ligne russe par Poutine redevenu président, et cette “ferme définition” se faisant principalement dans le cadre de cette crise syrienne comme exercice pratique. Encore une fois, comme nous le répétons constamment et à chaque occasion où cela s’avère nécessaire, la puissance de la ligne russe est celle du principe et non celle de la force, et son but le renforcement ou l'établissement de l'ordre et non la conquête. Elle tient beaucoup moins, dans ce cas, au soutien à Assad qu’à l’acquiescement constant à quelques principes fondamentaux, dont l’un est la souveraineté nationale et, par conséquent, le soutien à Assad qui est le président légitime de la Syrie. Que cette position principielle rencontre les intérêts russes est une circonstance conjoncturelle qui est du domaine de la bonne diplomatie encore plus que d’une diplomatie “machiavélique”, et qui renvoie d’ailleurs à une remarque du général de Gaulle sortie de ses Mémoires de guerre que nous ne manquons jamais de rappeler, qui pourrait bien figurer comme principe (justement !) de cette sorte de politique principielle, qui est elle-même également de l’essence du gaullisme. («Tout peut, un jour arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique.»).
Il est, par conséquent, tout à fait logique, de voir Poutine directement enchaîner l’affaire syrienne sur une visite à Téhéran, à l’invitation du nouveau président iranien Rouhani, qui assistait en tant qu’observateur au sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai, où bien sûr se trouvait Poutine. Cette visite peut être évidemment, voire nécessairement placée dans la logique de l’accord obtenu par la Russie sur le chimique syrien, qui a beaucoup impressionné les Iraniens. On observera alors que le nouveau président iranien est peut-être désormais plus intéressé par un rapprochement avec la Russie, qu’avec les USA. (Les relations de la Russie avec l’Iran du temps du président Ahmadinejad ont été assez difficiles malgré la convergence stratégique, notamment avec l’affaire d’un contingent de missiles S-300, dont la vente fut annulée par la Russie, ce qui entraîna une action en justice où l’Iran réclame $4 milliards à la Russie.) Au reste, la Russie comptera pour beaucoup dans la très probable présence de l’Iran à la possible future conférence Genève-II sur la Syrie, sans doute en octobre prochain. Ni les USA, ni les comparses du bloc BAO, type-Hollande-Fabius, ne sont désormais en position de bloquer une présence de l’Iran à cette conférence.
Quelques mots de la visite prochaine de Poutine en Iran, qui est perçue comme propice à des “conversations stratégiques” par Reza Kahlili, transfuge iranien des Gardiens de la Révolution réfugié aux USA, sur The Daily Caller le 14 septembre 2013.
«Russian President Vladimir Putin has accepted Iran’s invitation to visit Tehran to work out a strategy for the Islamic regime’s nuclear program, Fars News Agency reported Saturday. [...] Fars, the media outlet run by Iran’s Revolutionary Guards, said Putin will soon travel to Tehran, although details of the trip have yet to be announced. Fars said Iranian President Hassan Rowhani issued the invitation to Putin on Friday while both leaders were attending the Shanghai Cooperation Organization summit in Bishkek, Kyrgyzstan. Putin’s spokesman, Dmitry Peskov, said the Russian president accepted.
»“Russia could possibly take new steps in solving the Iranian nuclear dossier,” Rowhani said. “The Russian initiative in relation to the Syrian chemical weapons and the steps taken by the Syrian officials provide this hope that a new war can be averted in the region.” “Russia looks at Iran like a good neighbor,” Putin was quoted as saying. “I am very happy meeting the new Iranian president and personally congratulate him for his [recent presidential] victory. … We are aware of the opinions on the world’s stage in relation with Iran’s nuclear program; however, we have to also consider that Iran is our neighbor, a good neighbor.”»
Il est à noter complémentairement qu’on annonce (le Guardian du 15 septembre 2013) une rencontre Rouhani-Obama dans les couloirs de la réunion générale de l’ONU, à New York, à la fin de ce mois. D’une façon très involontairement (ou bien volontairement ?) significative de la vérité de la situation, l’article est illustré d’une photo montrant une poignée de mains entre Poutine et Rouhani au sommet de l’OCS. L’annonce de cette rencontre est accompagnée, dans le chef d’une déclaration de type pavlovien d'Obama, par celle que les USA préparent toujours “une action militaire contre l’Iran” (voir le même Guardian, le même 15 septembre 2013). La grossièreté et l’usure du propos, autant que son caractère grotesque après la déculottée que les USA viennent d’essuyer, avec l’exposition de ce qui est en vérité leur impuissance à agir militairement malgré leur ivresse de menaces à ce propos, éclairent l’habileté proverbiale des USA en matière de diplomatie. Rouhani en fera ce qu’il voudra, mais notre religion est faite quant à l’avenir de ces relations USA-Iran dans ce cadre nouveau, – aussi improductives et paralysées que ce qui a précédé, par contraste avec l’évolution des relations entre l’Iran et la Russie.
Mis en ligne le 16 septembre 2013 à 05H56
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