Transmutation des BRICS

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Transmutation des BRICS

• Sommet des BRICS à Johannesbourge les 22-24 août : grand éènement avant même qu’il ait lieu, et même pour d’autres raisons que ce qui sera précisément discuté. • Les BRICS sont l’objet des préoccupation du bloc-BAO transformé en Occident-compulsif. • Ils se sont même payés le luxe élégant de mettre Macron à la porte. • Aujourd’hui, les BRICS sont sur le chemin de la politisation, les américanistes-occidentalistes les y forcent. • L’ancien diplomate indien M.K. Bhadrakumar nous donne une analyse bienvenue de l’évènement.

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Le sommet des BRICS, les 22-24 août, va se dérouler dans une de ces ambiances surchauffées qui annoncent un événement historique : le passage involontaire de cette organisation de la seule dimension économique (déjà considéré politiquement depuis longtemps) à une dimension ouvertement politique se greffant avec insistance sur la première. Nul ne l’affirme mais les évènements parlent d’eux-mêmes, comme des seigneurs du destin du monde.

Nous disons “involontaire” car il est assez évident qu’aucun de ses actuels partenaires ne veut officiellement une “politisation”, – les arrières-pensées politiques étant une autre affaire dont nous croyons fermement qu’elle apparaîtra peu à peu. (Et encore : “peu à peu” dans notre époque d’accélération de l’histoire signifie une dynamique à peine tempérée.) Si la dimension éonomique n’a cessé d’être réaffirmée par tous, et notamment par les Sud-Africains hôtes bien entendu, les diverses polémiques qui ont accompagné la préparation de ce sommet, et qui vont continuer sinon s’amplifier ces jours proochains imposent ce que nous percevons comme la dimension politique.

Le texte ci-dessous de M.K. Bhadrakumar est particulièrement intéressant en raison de la position d’indépendance critique de l’auteur vis-à-vis de la politique de son pays qu’il ne se prive pas de critiquer quand il le juge nécessaire. M.K. met particulièrement en évidence l’insistance vertueuse de l’Inde à lutter, de concert avec l’Afrique du Sud dans ce cas, contre les rumeurs présentant l’Indien Modi comme largement en retrait dans la dynamique d’expansion et l’affirmation des BRICS. Ce soutien de M.K. à la position indienne implique, selon notre perception, qu’il s’agit là du reflet d’une volonté manifeste de l’Inde de rester fortement inscrite dans la dynamique des BRICS, y compris selon l’hypothèse aceptable que cette position devrait servir à apaiser le différent Chine-Inde alors que la propagande anglosaxonne fait tout pour donner du crédit à la thèse inverse. Tout cela, évidemment, est politique autant sinon bien plus qu’économique.

Même la stupide sortie de Macron réclamant une invitation pour se la voir refusée par l’Afrique du Sud, malgré le peu de poids du personnage, constitue un élément de politisation du BRICS contre l’Occident-compulsif qu’est devenu le bloc-BAO. En d’autres termes, et en comptant la manœuvre finalement stupide de l’inculpation de Poutine par le TPI qui lui interdit de venir à Johannesbourg, – elle met d’autant en valeur, même virtuellement, le poids politique là aussi considérable de la Russie, – les adersaires américanistes-occidentalistes des BRICS qui veulent abattre l’organisation voulue comme seulement économique, ne parviennent qu’à la renforcer économiquement en la forçant à se situer politiquement, donc à acquérir la dimension politique.

Il est certain qu’aucun des membres actuels des BRICS ne veut cette politisation, comme on l’a dit et dans les conditions qu’on a dit. Il est également certain que, au-dessus de cette volonté, les évènements disposent comme ils l’entendent. Même s’ils se présentent, pour les plus aimables d’entre eux (Afrique du Sud, Brésil, Inde), comme non-adversaires du système américaniste-occidentaliste représentant le Système en place, ils ne devraient pas ignorer, et nous nous gardons bien de l’ignorer, que le plus puissant accélérateur de leur politisation antiSystème est l’action des américanistes-occidentalistes. L’exclusivisme de ces derniers, leur psychologie à la fois simulacre et sucidaire, – la psychologie de l’américanisme, – conduisent inéluctablement à s’opposer en prédateur au regroupement des BRICS. Cette dimension, même si elle n’est expliquée qu’économiquement (ce qui n’est même plus le cas), débouche nécessairemet sur l’agression politique, et nous dirions même, du fait de l’ampleur catastrophique de la GrandeCrise, sur le défi métahistorique.

Les BRICS ne pourront pas ignorer longtemps ce qui nous paraît désormais une évidence et une inéluctabilité de l’évolution des affaires. L’ampleur de la GrandeCrise, sa puissance et son extrême rapidité, la façon dont les évènements se déroulent selon eur propre logique d’au-delà des volontés humaines, rendent compte pour les BRICS de cette inéluctabilité. Qu’il y ait demain 10, 15 ou 20 “BRICards” de plus ne fera que renforcer encore cette tendance, car le Système verra dans chacun d’eux un traître qui a choisi un camp ennemi, et les paisibles BRICS de l’origine, – malgré le but initial de la “dédollarisation”, – seront de plus en plus classés dans cette catégorie.

La “force tranquille” du texte de M.K. Bhadrakumar, qui reflète celle de l’Inde, est absolument rassurante sur la politique de ce pays mais elle est un peu trompeuse pour ce qui concerne la force et la couleur de l’avenir-immédiat. (Après tout, M.K. fut un brillant diplomate et il a gardé son instinct de diplomate, du temps où les pays de la civilisation en-cours avait encore une diplomatie. A cet égard, ses excellentes analyses peuvent être mises en échec par la folie des temps et la puissance des évènements d’au-dessus de nous.)

Quoi qu’il en soit,, le “diplomate” ne manque pas de rappeler la félonie des intrigues américanistes-occidentalistes, ce qui en soi suffit à nous rassurer sur l’avenir : les BRICS seront nécessairement une “organisatin de combat”. Ils y seront forcés, notamment et pour être encore plus net et tranchant, par la « paranoïa de l’Occident » comme le titre lui-même du texte de M.K. l’indique [« West is paranoid about BRICS summit »].

(Texte de M.K. Bhadrakumar sur son site ‘Indian Punchline’. Traduction du ‘Sakerfrancophone’.)

dde.org

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Les BRICS, leur sommet et la paranoïa de l'Occident

La semaine dernière, Reuters a publié un rapport spéculatif disant que le Premier ministre indien Narendra Modi pourrait ne pas assister en personne au sommet des BRICS à Johannesburg et, en outre, que l’Inde n’était pas favorable à un élargissement du groupe. En dépit de la longue histoire de Reuters en matière de manipulation genre guerre froide, les médias indiens crédules sont tombés dans le piège de cette rumeur.

Cela a créé une certaine confusion, mais seulement momentanément. L’Afrique du Sud est consciente qu’avec l’état actuel de ses relations bilatérales avec les États-Unis, les excellentes relations personnelles du président Cyril Rampaphosa avec le président russe Vladimir Poutine, le séjour des BRICS sur la voie de la “dédollarisation” et ses projets d’expansion, on attend beaucoup du rôle constructif de Modi pour faire de l’événement à Johannesburg un jalon historique dans la politique mondiale du 21e siècle.

Les propos du ministre sud-africain des affaires étrangères, Naledi Pandor, à propos de l’article de Reuters sont tout à fait pertinents. Pandor a déclaré : “J’ai parlé à plusieurs collègues au sein du gouvernement et à l’extérieur, et tout le monde a été stupéfait par cette rumeur. Je pense que quelqu’un qui essaie de gâcher notre sommet crée toutes sortes d’histoires qui suggèrent qu’il ne sera pas couronné de succès. Le premier ministre indien n’a jamais dit qu’il ne participerait pas au sommet. Je suis en contact permanent avec le ministre des affaires étrangères Jaishankar. Il n’a jamais dit cela. Nos sherpas sont en contact et ils ne l’ont jamais dit. Nous avons donc tous essayé de chercher l’aiguille dans la botte de foin qui est à l’origine de cette rumeur“.

Il n’y a pas si longtemps, l’Occident se moquait des BRICS comme d’un papillon inefficace battant des ailes dans le vide d’un ordre mondial dominé par le G7. Mais l'”effet papillon” se fait sentir aujourd’hui dans la refonte de l’ordre mondial.

En termes simples, le flot torrentiel d’événements survenus l’année dernière autour de l’Ukraine a fait remonter à la surface la lutte existentielle de la Russie contre les États-Unis, ce qui a déclenché un changement tectonique dans le paysage international, dont l’un des aspects transformateurs est la montée du Sud global et son rôle de plus en plus important dans la politique internationale.

L’administration Biden ne s’attendait pas à ce qu’une polarisation visant à isoler la Russie et la Chine aboutisse à une telle situation. Paradoxalement, le “double endiguement” de la Russie et de la Chine par Washington, tel qu’il est inscrit dans la stratégie de sécurité nationale de l’administration Biden, a marqué le début de la révolte des pays du Sud contre le contrôle des grandes puissances, du repositionnement de leur statut et de leur rôle sur la scène internationale, et de la recherche d’une confiance en soi et d’une autonomie sur le plan stratégique.

L’Arabie saoudite en est un exemple frappant : elle a adopté une trajectoire indépendante dans des points chauds régionaux tels que le Soudan ou la Syrie, elle a calibré le marché mondial du pétrole dans le cadre de l’OPEP + plutôt que d’obéir aux diktats de Washington, et elle cherche à devenir membre des BRICS.

Les pays en développement gagnent en marge de manœuvre dans le jeu des grandes puissances et leur influence politique s’accroît rapidement. Leur indépendance diplomatique et leur autonomie stratégique dans le contexte de la crise ukrainienne ont accéléré leur ascension en tant que force émergente dans la politique mondiale en un laps de temps remarquablement court.

Ce qui incite les 23 pays non occidentaux à demander officiellement leur adhésion aux BRICS – bien que le groupe n’ait même pas de secrétariat – c’est que le groupe est perçu aujourd’hui comme la principale plateforme du Sud global pour prôner un ordre mondial plus équitable et qui, par conséquent, a un rôle à jouer dans le destin de l’humanité.

Dès leur création, les BRICS ont été suffisamment avisés pour ne pas injecter d'”antioccidentalisme” dans leur programme – en fait, aucun de leurs membres fondateurs n’a de “mentalité de bloc“. Mais cela n’a pas empêché l’Occident de se sentir menacé. En réalité, cette perception de la menace émane d’une peur morbide de l’extinction de la domination occidentale sur l’ordre politique et économique et sur le système international, vieille de quatre siècles, qui touche à sa fin.

Le néo-mercantilisme, qui est essentiel pour enrayer le déclin des économies occidentales, est remis en question de manière frontale, comme nous le constatons en temps réel au Niger. Sans le transfert massif de ressources en provenance d’Afrique, l’Occident est confronté à un avenir sombre. Le responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell, a déclaré dans un moment de faiblesse que l’Occident, un jardin bien entretenu, était menacé par la jungle extérieure. Les peurs ataviques et les instincts implicites dans la métaphore de Borrell sont tout simplement stupéfiants.

D’où une telle frénésie à détruire les BRICS, à affaiblir leur détermination, à ternir leur image et leur réputation, et à les empêcher de prendre de l’élan. Hélas, le même vieil état d’esprit colonial “diviser pour mieux régner” est à l’œuvre pour amplifier les différences et les désaccords entre les États membres des BRICS.

La controverse concernant la position de l’Inde sur l’expansion des BRICS ne peut être perçue que de cette manière. La semaine dernière, à la suite de la rumeur lancée par Reuters, le porte-parole du ministère indien des affaires étrangères s’est senti obligé de clarifier à nouveau la situation : “Permettez-moi de le répéter encore une fois. Nous avons déjà clarifié notre position par le passé. Comme les dirigeants l’ont demandé l’année dernière, les membres des BRICS discutent en interne des principes directeurs, des normes, des critères et des procédures pour le processus d’expansion des BRICS sur la base d’une consultation et d’un consensus complets. Comme l’a indiqué notre ministre des affaires étrangères, nous abordons cette question avec un esprit ouvert et une perspective positive. Nous avons assisté à des spéculations sans fondement… selon lesquelles l’Inde aurait des réserves à l’égard de l’élargissement. Ce n’est tout simplement pas vrai. Permettez-moi donc d’être très clair à ce sujet.”

En ce qui concerne l’affirmation selon laquelle Modi prévoyait de ne pas se rendre à Johannesburg, le porte-parole indien a réagi en ces termes : “Je vous invite à ne pas vous fier aux informations spéculatives des médias. Lorsque nous serons en mesure de parler, d’annoncer de telles visites de haut niveau, nous le ferons certainement, et vous saurez que c’est notre pratique. Pour l’instant, je vous demande à tous d’être patients et de nous laisser l’annoncer au bon moment.”

De même, la conspiration anglo-américaine derrière le mandat d’arrêt de la CPI contre Poutine est évidente. La Russie a été l’un des pionniers des BRIC et le premier sommet du groupe a eu lieu à Ekaterinbourg en 2008 [qui, soit dit en passant, s’est terminé par une déclaration commune mettant en garde contre la domination mondiale du dollar américain en tant que monnaie de réserve standard].

Poutine fait campagne sans relâche pour la “dédollarisation” et est aujourd’hui la voix qui résonne le plus sur cette question sur la scène internationale. Le pronostic de Poutine a été largement accepté dans le Sud, comme le montre l’exode des pays qui optent pour des monnaies nationales pour régler leurs paiements mutuels. Washington est de plus en plus préoccupé par le fait qu’un processus de “dédollarisation” gagne du terrain dans le système financier international à la suite de l’utilisation excessive des sanctions et de la saisie arbitraire des réserves de dollars des pays considérés comme récalcitrants.

Il est intéressant de noter que Bloomberg a publié un article sur le sommet des BRICS intitulé “Ce club n’est pas assez grand pour la Chine et l’Inde“. Sa thèse est que “les tensions entre les rivaux asiatiques empêcheront probablement le bloc des BRICS de poser un défi cohérent à l’Occident“. Il s’agit d’une tentative éculée de s’attarder sur les contradictions qui existent entre la Chine et l’Inde pour creuser un fossé et saper l’unité des BRICS.

Il est vrai que l’Inde peut s’inquiéter de la domination de la Chine sur le groupe des BRICS. Mais la Chine est également un fervent défenseur de l’expansion des BRICS et d’une représentation accrue des pays en développement. N’y a-t-il pas là une convergence stratégique ?

Fondamentalement, malgré leur différend frontalier non résolu, l’Inde et la Chine partagent la même vision selon laquelle les BRICS jouent un rôle essentiel sur la scène multilatérale mondiale. Les deux pays considèrent également les BRICS comme une plateforme leur permettant d’améliorer leur statut et leur influence au niveau international. C’est cette communauté d’intérêts qui inquiète l’Occident.

Pour l’Inde, les BRICS constituent une plateforme instrumentale favorable à la réalisation de son aspiration à une plus grande représentation sur la scène internationale. Par conséquent, le succès des BRICS ne peut que renforcer la politique étrangère de l’Inde – et pourrait même créer une énergie et une ambiance positives dans ses relations avec la Chine.

M.K. Bhadrakumar