Trop c’est trop, mais c’est toujours la même chose

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 328

Un discours de l’amiral Mullen, président du Joint Chief of Staff (JCS) du Pentagone, à l’université de l’Etat du Kansas, a fait sensation. Mullen fait l’annonce en apparence révolutionnaire que la politique extérieure US est trop “militarisée”, avec un rôle trop important accordé aux militaires. Mais ce n’est pas pour proposer que cette politique soit réduite, donc l’engagement extérieur US réduit, mais que le département d’Etat prenne à sa charge une partie de cette politique expansionniste.

Sur Antiwar.com, le 4 mars 2010, Jason Ditz présente cette prise de position du président du JCS. Le très court texte de Jason Ditz présente plusieurs liens donnant des détails sur les déclarations de Mullen.

«…But likely the most provocative comment made by Mullen was to warn that “US foreign policy is still too dominated by the military, too dependent upon the generals and admirals who lead our major overseas commands and not enough on the State Department.”

»Mullen’s solution to this had nothing to do with the military being less proactive about overseas adventurism, of course. Rather, he urged the State Department and others to “step up” and become more “expeditionary.”

»The State Department defended its comparative lack of “expeditionary” projects by noting that its budget is a tiny fraction of the military’s. Again they didn’t view the problem as a military awash in cash and influence but rather that the State Department needed to do a better job convincing Congress to throw money at them as well.

»Cementing his support for global interventionism, however, Mullen cautioned that the military should never be thought of as a “last resort” for the government, but should instead be part of the overall policy and diplomatic efforts.»

Notre commentaire

@PAYANT On comprend très vite qu’il n’y a aucune intention pacificatrice chez l’amiral Mullen, aucune intention d’envisager de réduire l'ampleur et l'ambition de la politique extérieure militarisée des USA vers le reste du monde. Mais cette politique, justement de par l'évidence de sa “militarisation”, rencontre de très grandes difficultés à cause de l'affaiblissement extrêmement rapide de la puissance militaire US, et son étreinte sur les divers points d'appui et conflits en cours est de moins en moins serrée. La cause en est double, – la première évidente, la seconde plus vicieuse et sophistiquée…

• La pénurie grandissante des moyens militaires des USA est la première cause, absolument évidente, sinon criante. Nos lecteurs sont suffisamment informés à propos de la crise du Pentagone, qui est une crise systémique d’improductivité qui s’apparente à une logique destructrice de la gestion. Plus le Pentagone dispose de budget, moins il est productif de systèmes, de logistique suffisante, d’unités opérationnelles, etc. Il est entré dans la logique infernale de la productivité négative qui tient à un renversement du fonctionnement du système. La conséquence évidente est la raréfaction accélérée des moyens, par conséquent la raréfaction des capacités de présence outre-mer et l'affaiblissement de plus en plus notable de l'influence qui va avec. C’est là la première raison, la plus simple et la plus compréhensible.

• La seconde tient à la forme de la politique engendrée par la toute-puissance bureaucratique et budgétaire du Pentagone de ces dix dernières années, cette toute-puissance influant directement sur la politique extérieure dans le sens de la “militarisation” effective de cette politique, dans sa forme même, donc avec une réduction à mesure de l’importance de la diplomatie (y compris les moyens d’influence de la diplomatie), avec la raréfaction des budgets et des missions du département d’Etat.

Cette dernière situation est complètement à porter à charge de l’extension du Pentagone, qui a inspiré et orienté la direction “civile” des USA dans le sens de la militarisation. Jusqu’à l’époque Clinton, les secrétaires d’Etat pesaient d’un poids bien plus lourd que les secrétaires à la défense. L’exemple de l’administration Bush-père est éclairant. Le grand homme du cabinet de sécurité nationale, notamment dans les grandes crises comme celle de la fin de l'URSS et celle de la guerre du Golfe, était James Baker, secrétaire d’Etat, le secrétaire à la défense (Dick Cheney) jouant un rôle infiniment plus effacé. Cette situation correspondait aux normes, d’ailleurs acceptées et même voulues par le Pentagone jusqu’alors. Sous Reagan, le secrétaire à la défense Weinberger avait systématiquement refusé les tâches de “diplomatie” en même temps qu’il s’appuyait sur une doctrine d’engagement (la doctrine Powell, de Colin Powell, alors chef d’état-major) extrêmement prudente. (Le secrétaire d’Etat George Schultz avait également, comme Baker, une place essentielle dans la politique de sécurité nationale.)

Les choses commencèrent à changer sous Clinton, cette fois à cause des militaires plus qu’à cause des secrétaires à la défense, eux aussi assez effacés (Aspin, Perry et Cohen successivement). Ce furent les “CinC” (acronymes pour “Commander-in-Chief”, désignant les grands chefs militaires des grandes zones extérieurs comme European Command, Southern Command, Central Command, Pacific Command, qui gagnèrent le surnom significatif de “Kings” à cette époque). Très vite, leur rôle acquit une dimension diplomatique, avec des contacts constants avec les chefs d’Etat et de gouvernement des pays englobés par ces zones. Les secrétaires d’Etat de l’époque Clinton, même les plus marquants comme Madeleine Albright, prêtèrent main forte à ce mouvement en favorisant les interventions militaires qui donnaient aux militaires un poids grandissant. En 2001, Rumsfeld travailla durement à réduire le poids et l’influence des “Kings”, mais il le fit, non au bénéfice du département d’Etat mais au bénéfice de la direction civile du Pentagone, c’est-à-dire de lui-même. Le résultat fut l’institutionnalisation du poids du Pentagone dans la politique extérieure, donc du rôle des militaires et de la militarisation de la politique extérieure. A partir de Rumsfeld, le Pentagone exerça directement et institutionnellement une contrainte écrasante sur la politique extérieure US, reléguant définitivement le département d’Etat au rang de “Junior partner”.

…Aujourd’hui, Mullen voudrait que cela change, mais toujours avec la même tendance militaire que le Pentagone n’a cessé de marquer de plus en plus de son empreinte, – c’est-à-dire qu’il demande que le département d’Etat prenne à sa charge un plus grand volume de dépenses inhérentes à la politique en cours, tout en continuant à favoriser l'influence du Pentagone. L’appel au département d’Etat n’a guère de chance ni d’apporter de changement, ni d’améliorer la situation présente, le département d’Etat étant par ailleurs tributaire d’un budget extrêmement serré qui n’a guère de chance de changer. Le problème, c’est tout simplement “la situation présente” avec la militarisation générale qui la caractérise, tandis que la crise générale dévaste Washington et ses capacités. L’appel de Mullen ne sert qu’à souligner l’existence de cette politique et son poids budgétaire extrêmement sur les finances de Washington, et finalement apporte un témoignage de plus de la crise qui suscite l'effondrement de la puissance US.


Mis en ligne le 5 mars 2010 à 13H38

Donations

Nous avons récolté 1240 € sur 3000 €

faites un don