Truman et le procès de la CIA (décembre 1963)

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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 1877

Truman et le procès de la CIA (décembre 1963)

Le 21 décembre 1963, un mois après un inopiné accident de voiture, l’ex-président Truman, célèbre pour sa doctrine éponyme, sa Guerre Froide, sa bombe d’Hiroshima, sa guerre de Corée, sa bombe de Nagasaki, son Otan et autres merveilles rédige une maladroite lettre publiée le matin et censurée le soir-même.

Il s’interroge sur le destin de son enfant terrible, la CIA. Et sans le vouloir il nous révèle (confesse ?) plus de choses que dix imaginatifs articles conspiratifs. Cochin et Tocqueville nous le disaient déjà (lisez mon livre sur Littérature et conspiration) : pourquoi en effet avoir recours aux conspirations quand il s’agit le plus souvent de pratiquer la théorie de la constatation dans les textes officiels ? Le système est en effet sûr de lui : il ne cesse confesser ses crimes et ses erreurs, préférant se fier à notre ineptie !

Truman regrette donc le détournement et la détérioration de la CIA (pour notre ami Ralph Raico, la CIA est dès le début « comiquement inepte », inspiratrice de coups pourris et des pires scénarios hollywoodiens –voyez et revoyez le génial film germano-américain Red avec Bruce Willis). Et cela donnait ceci : Truman rappelle que l’on avait besoin d’intelligence et d’informations pour mieux agir. Son efficacité, écrit-il avec pompe, dépend de la qualité de ses informations.

Or cette information, toute cette intelligence s’entasse et devient encombrante. Il y a tant d’agences et de sous-branches qui en collectent… Truman précise alors qu’il en résulte des conclusions conflictuelles. Cela me rappelle cet ordinateur qui pronostiquait la victoire au Vietnam pour 1965. On était en 1967. Le temps passe, surtout si on ne sait pas le remonter.

Conclusions conflictuelles, Mr le président ? Les uns prônent le bombardement les autres l’extermination ?

Enfin, une belle cerise sur le gâteau : l’ex-mandataire de la plus grande puissance du monde (et de tous les temps d’ailleurs) rappelle que l’on accumulerait des rapports orientés pour renforcer des décisions déjà prises (l’Irak et les ADM ; la Russie et ses invasions ; la Syrie et ses armements chimiques ; l’Iran et le terrorisme).

C’est à croire que les sévices secrets travaillent comme notre presse aux ordres. Comme les courtisans du roi nu d’Andersen ils s’aveuglent pour mieux servir les desiderata du nouveau pion élu ! Iran, prends garde.

De toute manière un président ça sert d’abord (comme la géographie de notre Yves Lacoste) à faire la guerre. Que lui importe l’intelligence alors? A creuser un peu plus le déficit budgétaire alimenté par une dette immonde infinie. Mon vieux maître John Flynn se plaignait de la dette à 46 milliards, de la dette à 252 milliards, on a maintenant la dette à vingt mille milliards, demain à trois millions de milliards.

Les mécontents et les iraniens iront se faire voir sous le futur tapis persan de bombes avec la bénédiction de nos rédactions.

On continue avec notre lyrique ex-président (un ex-président est souvent converti en clown, revoyez l’émouvant film Point Break). Il voulait une organisation spéciale pour synthétiser les rapports de toute source disponible. Truman voulait une information sûre et à l’état pur (natural raw) comme le pétrole Texan.

Les années passent et le jouet coûteux et comiquement inepte s’enraye très vite : l’ex-président explique que la CIA a été détournée de ses objectifs premiers, que cela pose problème et accroît les difficultés dans des zones explosives ! Truman ajoute qu’il n’avait  pas pensé qu’un temps de paix (les USA en temps de paix ?) la CIA serait projetée dans des opérations cape et poignard (cloak and dagger) ! Revoyez les meilleurs Gary Cooper. Truman ajoute que cela ne fait pas une bonne publicité à la vieille maison. La CIA est alors considérée comme un « symbole de d’intrigue étrangère sinistre et mystérieuse, et un sujet pour la propagande ennemie de la guerre froide. »

Comme on sait tout s’est bien terminé, une grande partie des anciens bureaucrates communistes ayant fait de leur pays une « plantation coloniale » (Eric Zuesse)  pour les capitaux américains : Chine, Vietnam, la Russie sous Eltsine.

Truman se sent un peu plus en position de faiblesse : il rappelle que la propagande communiste et anticoloniale insiste beaucoup sur la violence des opérations US. Donc il faudrait éviter que la CIA  soit considérée comme opérant une influence subversive dans les affaires des autres peuples. A transmettre à Sarkozy et à Hollande.

Je serais devenu bien d’accord avec la vieille propagande communiste et antiimpérialiste de l’époque : le capitalisme exploiteur, les fauteurs de guerre (war-monger), les monopoles, l’impérialisme yankee, tout cela ne me semble pas du tout un non-sens…

Après cette confession au Grand Architecte de cet Univers, le vœu pieux, toujours dans un anglais d’opérette : il faut restaurer la CIA dans ses objectifs originaux de bras de l’intelligence du président.

Tu parles comme ils t’ont écouté, Harry. Le soir-même l’article de l’ancien président était censuré partout. On le retrouve aujourd’hui, mais comme nous sommes peu à le lire, et peu à lire !

Une autre cerise sur le gâteau : nous avons grandi comme une nation respectée pour ses institutions libres et notre capacité à maintenir une société libre et ouverte (free and open society).

Open society, notre société ouverte ? On croyait que c’était Soros. Il faudra d’ailleurs qu’un jour j’explique ce que cela veut dire à la lumière de Bergson.

En tout cas on n’est pas sortis de leur auberge américaine !

Terminons ; sur la Cia et l’intelligence, on oublie le pauvre Jean et on rappellera ces fortes paroles de Job, 28 : se retirer du mal, c’est l’intelligence.

 

Bibliographie

Bergson – Les deux sources de la morale et de la religion

La Bible – Job, 28

Nicolas Bonnal – Littérature et conspiration ; les grands auteurs à l’âge des complots (Dualpha)

John T. Flynn – Forgotten lessons (Mises.org)

Ralph Raico – Great leaders, a libertarian rebuttal (Mises.org)

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Texte original de la lettre de Truman

INDEPENDENCE, MO., Dec. 21, 1963 — I think it has become necessary to take another look at the purpose and operations of our Central Intelligence Agency—CIA. At least, I would like to submit here the original reason why I thought it necessary to organize this Agency during my Administration, what I expected it to do and how it was to operate as an arm of the President.

I think it is fairly obvious that by and large a President's performance in office is as effective as the information he has and the information he gets. That is to say, that assuming the President himself possesses a knowledge of our history, a sensitive understanding of our institutions, and an insight into the needs and aspirations of the people, he needs to have available to him the most accurate and up-to-the-minute information on what is going on everywhere in the world, and particularly of the trends and developments in all the danger spots in the contest between East and West. This is an immense task and requires a special kind of an intelligence facility.

Of course, every President has available to him all the information gathered by the many intelligence agencies already in existence. The Departments of State, Defence, Commerce, Interior and others are constantly engaged in extensive information gathering and have done excellent work.

But their collective information reached the President all too frequently in conflicting conclusions. At times, the intelligence reports tended to be slanted to conform to established positions of a given department. This becomes confusing and what's worse, such intelligence is of little use to a President in reaching the right decisions.

Therefore, I decided to set up a special organization charged with the collection of all intelligence reports from every available source, and to have those reports reach me as President without department "treatment" or interpretations.

I wanted and needed the information in its "natural raw" state and in as comprehensive a volume as it was practical for me to make full use of it. But the most important thing about this move was to guard against the chance of intelligence being used to influence or to lead the President into unwise decisions—and I thought it was necessary that the President do his own thinking and evaluating.

Since the responsibility for decision making was his—then he had to be sure that no information is kept from him for whatever reason at the discretion of any one department or agency, or that unpleasant facts be kept from him. There are always those who would want to shield a President from bad news or misjudgements to spare him from being "upset."

For some time I have been disturbed by the way CIA has been diverted from its original assignment. It has become an operational and at times a policy-making arm of the Government. This has led to trouble and may have compounded our difficulties in several explosive areas.

I never had any thought that when I set up the CIA that it would be injected into peacetime cloak and dagger operations. Some of the complications and embarrassment I think we have experienced are in part attributable to the fact that this quiet intelligence arm of the President has been so removed from its intended role that it is being interpreted as a symbol of sinister and mysterious foreign intrigue—and a subject for cold war enemy propaganda.

With all the nonsense put out by Communist propaganda about "Yankee imperialism," "exploitive capitalism," "war-mongering," "monopolists," in their name-calling assault on the West, the last thing we needed was for the CIA to be seized upon as something akin to a subverting influence in the affairs of other people.

I well knew the first temporary director of the CIA, Adm. Souers, and the later permanent directors of the CIA, Gen. Hoyt Vandenberg and Allen Dulles. These were men of the highest character, patriotism and integrity—and I assume this is true of all those who continue in charge.

But there are now some searching questions that need to be answered. I, therefore, would like to see the CIA be restored to its original assignment as the intelligence arm of the President, and that whatever else it can properly perform in that special field—and that its operational duties be terminated or properly used elsewhere.

We have grown up as a nation, respected for our free institutions and for our ability to maintain a free and open society. There is something about the way the CIA has been functioning that is casting a shadow over our historic position and I feel that we need to correct it.

Harry S. Truman