Trump dépasse l’hollywoodisme

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Trump dépasse l’hollywoodisme

Mark Twain, américaniste enthousiaste et bien rétribué par un culte national sans un pli, mais ensuite ou bien parallèlement américaniste réticent et bientôt amer, et secret puisqu’il ne révéla ce sentiment et ses jugements profonds sur l’Amérique que dans des écrits posthumes auxquels il n’a été fait que fort peu de publicité, – Mark Twain disait donc que « la seule différence entre la fiction et la réalité, c’est que la fiction doit être crédible ». Et, bien entendu, la seule différence entre l’américanisme, la modernité et le Système, c’est le point de vue d’où l’on observe leurs similitudes. Donald Trump constitue pour l’instant (peut-être y aura-t-il mieux) l’extrême de l’enfantement de ces monstrueuses entités, lorsque le fils prodigue, monstre lui-même acquérant des vertus paradoxales par antinomie, se retourne contre le Père, par bravache, pour le fun, jusqu’à ce que l’on découvrirait que tout cela n’est pas un jeu et, – pour l’instant proposition hypothétique, – que la conviction pourrait éventuellement vous attendre au coin du bois... On verra pour The Donald.

... En attendant, voici une enquête qui nous informe que même Hollywood, qui a pourtant la réputation de tout oser du moment que les $millions sont là, n’aurait jamais osé imaginer un scénario mettant en scène une campagne présidentielle semblable à celle de 2016 ; et cette limite de l’audace de pensée étant essentiellement le fait de la présence de Donald Trump dans la campagne, dans la position où il se trouve, c’est-à-dire en position de l’emporter. C’est tout le sens du texte de David Goldstein, sur le site McClatchyDC.com du groupe McClatchy : une enquête auprès des scénaristes et concepteurs des films hollywoodiens, avec comme question de base : “Auriez-vous imaginé un scénario comme celui des présidentielles-2016, spécialement avec ce candidat Donald Trump” ?

« S’il était un caractère de fiction, le personnage de Donald Trump serait-il concevable ? Les scénaristes et les auteurs [de Hollywood] répondent que le candidat républicain est trop grotesque. » (« If he were a fictional character, would Donald Trump be believable? Screenwriters, novelists say GOP presidential contender is too outrageous » : le qualificatif employé, “outrageous”, signifie aussi bien “outrancier”, “scandaleux”.) « La fiction imite la réalité, – mais que se passe-t-il quand il arrive soudain que la réalité est si folle qu’elle serait incroyable sous forme de fiction ? C’est ce que le producteur et scénariste Elie Attie dit à propos de Donald Trump. Comme scénariste de nombreux épisodes de ‘The West Wing’, Attie sait bien ce qui fait qu’une fiction est croyable ou ne l’est pas. »

L’intérêt de ce texte est certes de nous ramener à une vérité-de-situation qu’on oublie trop souvent dans l’habitude des choses exceptionnelles, dans une époque exceptionnelle où les évènements exceptionnels défilent à une vitesse exceptionnelle, ce qui induit une mémoire exceptionnellement courte : le phénomène Trump, dans les conditions où on le voit, est lui-même exceptionnel, c’est-à-dire sans précédent ni équivalent... D’autre part, le confronter à ce que l’auteur américain Neil Graber nomme hollywoodisme pour en prendre la mesure est parfaitement éclairant, dans la mesure où nous sommes complètement dans le domaine du système de la communication ; dans une époque où la communication domine tout, où elle est faite à la fois de virtualisme et de narrative, avec absence de réalité parce que la réalité est congédiée pour incompétence et jugement d’être inappropriée, une époque faite de false flag et de montages, de confusions grotesques, de complots vrais ou faux racontés comme des récits épiques ; surtout, dans une époque qui est un moment de l’Histoire où l’on en est arrivé en vérité (!) à ce constat que la réalité n’existe plus et où la seule issue qu’il nous reste est d’enquêter pour tenter de découvrir des vérités-de-situation qui nous éclaireraient.

L’hollywoodisme est tributaire de tout cela, il en est le véhicule et l’utilisateur forcené, et souvent il en est même l’inventeur. (Combien de fois la politique-Système n’imite-t-elle pas les films de Hollywood ? Au moins aussi souvent sans doute que les films d’Hollywood rendent compte avec respect de la politique-Système.) Que l’hollywoodisme s’affirme à la fois dépassée et consternée par l’aventure épique de Trump, comme quelque chose qu’il n’aurait jamais su imaginer, et qu’il n’aurait d’ailleurs jamais eu l’outrecuidance d’imaginer, situe bien l’ampleur et l’originalité du phénomène. De là à lui reconnaître une vertu antiSystème intrinsèque, il n’y a qu’un pas simplement par raisonnement antinomique et contradictoire : puisque Hollywood ne peut imaginer un Trump et qu’Hollywood c’est le Système, cela pourrait bien signifier, confirmation par les principaux intéressés, que Trump c’est l’antiSystème.

Bien entendu ces réactions de Hollywood, c’est-à-dire de l’hollywoodisme bien compris, ne vont certes pas assez loin en ce qui concerne la présidentielle-2016, parce que Hollywood est conceptuellement et viscéralement acquis au Système, dans sa fraction libérale-bonne-conscience, de gauche type “bobo”-américanisé. C’est-à-dire que pour l’hollywoodisme, ces présidentielles-2016 dépassent la fiction seulement à cause du personnage de Donald Trump, et à cause de ce que ce personnage a, selon cette conception idéologisée, de démoniaque. Curieusement ou bien d’une façon révélatrice c’est selon, tous ces intellectuels et faiseurs de fictions-imitant-la-réalité passent comme un seul sapiens à côté du phénomène que constitue Hillary Clinton. Nous ne voulons pas parler de l’éventuellement première présidente des USA (cette fois-ci, le genre est affiché), mais peut-être bien du personnage le plus shakespearien, dans le sens du maléfice, qui ait jamais figuré dans une élection présidentielle US ; et, en cela, bien plus effrayante qu’un Trump, si l’on conçoit, – l’imagination aidant, celle qu’Hollywood n’a manifestement pas, – ce qu’une âme aussi torturée et intrigante peut produire en fait de politiques diverses dans les cas les plus extravagants et les plus dangereux.

Mais cela est, comme l’on dit, une non-issue. Il est évident que, pour la majorité hollywoodienne, Clinton ne peut être appréciée dans ce sens, étant recouverte d’une large bulle de vertus indécrottables dont nul ne distingue qu’elle est une tunique de Nessus malgré les signes bien préoccupants à cet égard (l’emailgate parmi les diverses casseroles, celle-ci étant actuellement, on le concède, la plus bruyante de toutes) ; malgré, d’une façon générale, sa capacité exceptionnelle de corruption et du savoir-porter la corruption qui est la sienne (celle de Clinton), tout cela soutenu par un hybris qui est l’un de ses principaux traits de caractère. Il nous apparaît tout à fait possible que tous les jugements effarés portés à l’encontre ou au crédit de Trump c’est selon, comme personnage dépassant les normes hollywoodiennes, pourraient l’être également dans le cas d’Hillary Clinton, dans une mesure bien plus grande encore. Cela rendrait alors cette élection encore plus exceptionnelle qu’elle ne nous est décrite. Les scénaristes talentueux qui nous parlent seraient encore plus estomaqués, et Mark Twain aurait deux fois raison ; l’Amérique nous montrerait une fois de plus son exceptionnalité, cette fois dans le sens du désordre sinon du chaos dans le chef de l’affrontement de deux personnalités d’exception dans le champ de l’affrontement Système versus antiSystème.

Ainsi ce texte est-il au moins aussi révélateur de l’hollywoodisme que de Trump. L’hollywoodisme peut concevoir parfaitement un personnage comme Frank Underwood (House of Cards), naviguant de sa position de chef de la majorité à la Chambre à celle de président, assassin de ses propres mains (il pousse une journaliste encombrante dont il a fait sa maîtresse sous les roues d’un métro), cynique évidemment, impitoyable briseur des hommes et des femmes qui ne le servent pas aveuglément, avec toutes ses conceptions politiques présentées selon le conformisme américaniste le plus tranquille, sans la moindre substance puisqu’attachées à ses seuls intérêts, et pourtant suffisantes pour le dédouaner finalement et en faire un personnage de l’hollywoodisme puisqu’elles forment une apparence conforme à la narrative américaniste, progressiste et moderniste. (Tout au plus pourrait-on dire que la vérité-Clinton dépasse la fiction-Underwood dans le registre de l’infamie, mais le registre est le même selon les nuances qu’on a vues, conformes à l’apparence, et l’hollywoodisme peut donc tout à fait concevoir un tel personnage qu’Hillary sans s’en émouvoir une seconde.) L’hollywoodisme peut concevoir un Underwood comme une Clinton parce qu’Underwood reste à l’intérieur du Système même s’il illustre le Système de couleurs sanglantes et sombres comme le Mordor de l’enfer ; l’hollywoodisme ne peut concevoir un The Donald, parce que Trump, en changeant de champ d’action, lui qui vient d’une carrière de milliardaire à laquelle le Système n’a rien à redire, a trouvé plus habile pour ses affaires de jouer sur le terrain de l’antiSystème.

... Mais tout cela est bien de la cuisine intérieure qu’on retrouve dans toutes les démocraties-bouffes du bloc-BAO, dont toutes les élites-Système résonne selon le même rythme et en reprenant le même refrain. Il n’y a rien pour nous étonner, avec ce spasme courant de la “diabolisation” qui renvoie à l’habituelle dérive de la démocratie-bouffe vers le totalitarisme des conceptions et des esprits. Il reste ce qui est pour notre compte l’essentiel (à nous, de notre côté, de ne pas nous perdre dans les querelles idéologiques que nous reprochons aux autres) : l’exceptionnalité du personnage de Trump, au moins, et de celui d’Hillary, pour faire bonne mesure, et, par conséquent, l’exceptionnalité de ces présidentielles-2016. De ce point de vue, l’exceptionnalité de Trump que nous décrivent tous ces petits soldats de l’hollywoodisme existe bien, mais non comme ils le décrivent, mais plutôt comme une part essentielle de ce qui fait justement l’exceptionnalité de cette élection : la participation directe du Système en tant que tel et à découvert, entre unetelle qui le défend, untel qui le dénonce, entre Système et antiSystème, apparu lui aussi pour l'occasion en tant que tel.

Voici le texte référencé du 1er juillet, de David Goldstein, de McClatchyDC.com.

dedefensa.org

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Even Hollywood writers say Trump is over the top

Even for Hollywood, which can reduce the White House to rubble with one blast from an alien spaceship, Donald Trump is too over the top.

If he were a fictional character running for president, a movie about him would likely bomb, a TV series would get the hook and a book would quickly disappear from the shelves.

Masters of make-believe from Hollywood and publishing say the real-life Trump, a flesh-and-blood character who wasn’t conceived inside a Hollywood writer’s room and didn’t spring forth from a novelist’s imagination, is running right through all the red lights of believability – and still upstaging his fictional counterparts.

“You watch the story unfold and the moment you think, ‘OK. He can’t go any farther than that,’ he goes farther than that,” said Ward Just, for whom politics is often a backdrop for his quiet novels about the human fallout of lives built around secrets and power.

And he’s getting the ratings. His rallies are standing room only. His fans are passionately devoted. And he did, after all, win the Republican primaries.

So take a bow Mr. Would-Be President Trump – although there’s probably no need to tell you to do that – you’ve eclipsed Frank Underwood, Selina Meyer, Josiah Bartlett and a host of other fictional occupants of the Oval Office. The only limitations on their behavior were what their creators thought might seem too outrageous for audiences to accept.

Indeed. In Hollywood’s hands, the president of the United States can be a conniving murderer, such as Kevin Spacey as President Underwood in “House of Cards.”

He can be a square-jawed action hero who single-handedly dispatches a team of Russian terrorists after they have hijacked Air Force One, as Harrison Ford so neatly accomplishes as President Marshall in the movie named for the plane.

The nation’s chief executive can also be its chief goofus – think of Julia Louis-Dreyfus as President Meyer in “Veep” – or a leader who so personifies liberal benevolence that you’d think there were feathered wings stuffed under his bespoke suit. We’re talking about you, President Bartlett, as portrayed by Martin Sheen in the quintessential televised political drama, “The West Wing.”

Then there’s Trump, the soon-to-be-crowned Republican presidential nominee, a boastful, serial exaggerator with no qualms about alienating pivotal voting blocs with racial and misogynistic insults. He stiff-arms his party leaders, is unfamiliar with issues and turns national tragedy into a self-congratulatory hug.

And yeah, he also bragged about the size of his male equipment, not your everyday campaign issue.

You really can’t make this stuff up.

“If I created a character like Donald Trump in one of my thrillers, my editor would throw it back to me and say, ‘No one will believe this,’ ” said best-selling author Brad Meltzer. “My one rule for fiction: Don't compete with the real world. The real world will always out-crazy you.”

You mean like Trump suggesting darkly during his primary battle against Texas Sen. Ted Cruz that Cruz’s father was connected to Lee Harvey Oswald, who assassinated President John F. Kennedy?

Or the real estate mogul’s efforts to woo – apparently with some success ‑ evangelical Christians, despite a history of philandering that he has boasted about publicly?

“Truth is stranger than fiction,” said Jon Lovett, a former Obama White House speechwriter and co-creator of “1600 Penn,” a television comedy about a dysfunctional first family. “Maybe this is a good case of that.”

Rod Lurie has written and directed several political films, including “The Contender,” about a vice presidential nominee embroiled in a scandal about her alleged sexual past.

He wrote a script a few years ago for a movie with “a big, loud, abrasive, sexist businessman based on Donald Trump, and now I read what I wrote and it was so tame,” he said. “If you simply wrote this character, it would just be deemed ridiculously unrealistic. My character didn’t have anywhere near the level of racism, misogyny and shamelessness that Trump has brought to the campaign. . . . He’s a Daddy Warbucks gone bad.”

In the land of make-believe, a strong dose of reality is necessary so audiences will accept the character and, therefore, the behavior.

“What you’re trying to do when you create a character for TV or movies is create somebody who seems authentic,” said Eli Attie, a writer for “The West Wing” and speechwriter for Vice President Al Gore before that. “It allows a suspension of disbelief so you can take flights of fancy for the plot. The character must be grounded in reality . . . so you can believe that this might have happened.”

Attie said that if he saw an idea for a Trump character, his reaction would be: “OK. We have a lot of work to do here. Let’s roll up our sleeves. . . . This is a guy who talks about how hot his daughter is? He’s crushing everyone in the field by mocking them, belittling them? First of all, everyone’s going to hate him when he comes on the screen.”

Maybe not everyone.

Robert Thompson, the director of the Bleier Center for Television and Popular Culture at Syracuse University, said he wasn’t so sure how hard it might be to accept the Trump story if he did not exist but were created out of whole cloth. After all, his rallies draw big crowds and his followers are fiercely loyal.

“This guy emerges from privilege, becomes a millionaire, hosts a reality TV show and, through the kind of fictional and bogus nature of reality TV, reinvents himself and – surprise, surprise – this joke,” Thompson said, referring to Trump’s bid for the presidency, “that everybody thought couldn’t happen, does.”

David Goldstein