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319624 janvier 2017 – J’aurais pu, arguant de mon grand âge, reprendre dans ce Journal la gâterie californienne du jour, si intéressante. Je le fais par un biais, en l’associant contradictoirement au triomphe de Trump qui vient de liquider le TPP (Trans-Pacific Partnership) avec le soutien enthousiaste (si, si) de Sanders et des syndicats US, AFL-CIO en tête. Là, évidemment, nous entrons dans un nœud gordien de contradictions que j’annexe aussitôt à notre concept commun, à dde.org et moi, de “tourbillon crisique”, où il est bien difficile de suivre la rectitude d’une idéologie implacable et vertueuse, et en plus fermement plantée dans le sable poisseux du déterminisme-narrativiste.
... Car Sanders, c’est bien connu, et les susdits syndicats, c’est très classique, sont tous démocrates ou approchant et ont tous soutenus, volens-nolens, Hillary Clinton. Bref, dans le climat actuel, ils sont censés vomir au seul nom de Trump-Hitler ; mais non, ils s’en tiennent à Trump et ne vomissent pas... La narrative chancelle. (Elle chancelle d’autant plus que si le Bien avait triomphé du Mal, et Hillary installée à la Maison-Blanche comme l’annonçait le programme, elle serait en train de pousser désespérément et sans grand espoir aux feux pour que le Sénat ratifie le fameux TPP.)
La manœuvre était évidente, mais il faut reconnaître à Trump, dans le style Stuart-Patton, son extrême rapidité à la décider et à la réaliser, et l’on sait bien que là réside le génie tactique de la référence indiquée. La liquidation du TPP est une nouvelle sensationnelle du point de vue de la communication, mais sans le moindre risque politique et sans la moindre complication procédurière. De toutes les façons et malgré les efforts désespérés d’Obama-le-Magnifique qu’ils regrettent tant, le TPP paraphé avec enthousiasme par lui-même n’aurait pas été ratifié par le Sénat, donc promis à une liquidation sans gloire. Par contre, le paraphe liquidateur de Trump, entouré dans le Bureau Ovale des principaux dirigeants syndicalistes, dont le tout-puissant président de l’AFL-CIO qui regroupe tous les syndicats de branche Rich Trumka, – l’équipe Trump-&-Trumka ; en plus avec un tel prénom, ça ne s’invente pas, – tout cela sous les appréciations enthousiastes de ses invités (« Ce fut une rencontre incroyable », disent-ils), c’est un très beau coup tactique ; tout comme, dans la même veine et pour aussitôt enchaîner, la seconde rencontre internationale prévue de Trump, après celle de Miss-Brexit Theresa May, avec les dirigeants canadiens et mexicains pour une renégociation au forceps du traité ALENA (NAFTA). Là aussi, applaudissements conjugués et quasiment extatiques de Sanders-syndicats.
Bien... Je rappellerai tout de même que, depuis deux-trois ans, ici en Europe notamment, la bataille s’est engagée, furieuse et fondamentale, contre les accords de libre-échange colossaux absolument déstructurants et même “génocidaires” TPP et TTIP (les deux vont ensemble, le premier pour la zone Pacifique, le second pour la zone atlantique, et Trump les conchie également). Il s’agit d’une bataille menée notamment par une sorte de vaste nébuleuse activiste qu’on mettrait plutôt à gauche et qu’on qualifierait plus ou moins d’“extra-parlementaire” (mais activisme pacifique, au contraire de cette catégorie durant les années 1960-1970) ; cela, avec divers satellites “citoyens” et sociétaux, restes et relais des altermondialistes et autres qui furent parmi les premiers adversaires de la globalisation de l’après-Guerre froide, dans les années 1990, ainsi qu’avec les courants souverainistes.
En d’autres mots plus brièvement dits, ce sont des anti-globalistes. Le problème, ou disons leur problème, c’est qu’en bons anti-globalistes, ils sont, dans ce domaine essentiel, complètement du parti de Trump par la logique des choses et des forces, exactement comme il existe dans la droite dure et souverainiste une faction anti-globaliste ; parce que, il faut bien le reconnaître, avec une grande tristesse que certains ne peuvent dissimuler, cet épouvantable Trump, tout Hitler qu’il soit, est aussi et d’abord un adversaire déclaré du globalisme. Dilemme et problème voyants ... Je veux bien qu’on peut dissimuler de telles convergences que les salons jugent horribles et insupportables lorsqu’on en trouve au niveau des programmes (par exemple, avec les souverainistes et populistes de droite et d’extrême-droite européens) ; la tache devient ardue sinon impossible avec une bestiole comme Trump, installé par l’Inquisiteur-en-chef du Système sur un bûcher au milieu des flammes de la diabolisation et qui pourtant trace une signature tonitruante au bas de l’acte liquidant le TPP.
Or donc, nous n’en avons pas fini, tant s’en faut.
Car là-dessus, je crois qu’il faut avancer deux remarques. La première est que tout cela ne fait en rien de Trump un parangon de vertu. Il est contre les jumeaux TPP-TTIP parce qu’il est vraiment “American-Firster” question-business, c’est-à-dire protectionniste (si si, ça existe encore, et comment, et ce n’est pas si bête), unilatéraliste et nationaliste-économique, mais il est aussi capitaliste-bulldozer jusqu’au bout des ongles. Il entend ainsi bien faire creuser partout où c’est possible, et jusque dans le Parc National de Yellowstone s’il le fallait, pour sortir jusqu’à la dernière goutte de pétrole, massacrer les forêts, faire tourner la machine jusqu’à sa surpuissance extrême, quitte à précipiter le monde dans la dévastation environnementale. Bien que je goûte ô combien son activité si souvent, et si souvent involontairement antiSystème, il n’en reste pas moins, en partie et pour ce qui est du business, un vrai machin hypercapitaliste, et donc un homme du Système. Je crois qu’il vous faut, – moi, c’est en voie d’être “déjà fait”, — vous habituer aux paradoxes et aux contrepieds comme le matelot s’habitue au tangage par auto-compensation de l’équilibre de son corps après quelques jours d’une mer difficile...
La seconde remarque est que ces anti-Trump anti-globalistes qui applaudissent à la liquidation du TPP par Trump se trouvent ainsi, et très vertueusement pour mon compte, en complet désaccord avec leurs amis de la coalition anti-Trump, du côté de la déstructuration progressiste-sociétale. Sanders et les syndicats se sont bien battus contre Trump aux côtés des globalistes de Hollywood, de Silicon Valley et de Wall Street, de l’Internationale arc-en-ciel qui va de Soros aux salons Rive-Gauche de BHL, aux eurocrates-moralistes de la Commission et aux oligarques de Kiev. Pour l’instant, tout ce troupeau des vrais globalistes anti-Trump n’a guère qu’un Xi-à-Davos à se mettre sous la dent, ce qui fait désordre si l’on songe à Tien An-men, tandis qu’il aura du mal à ne pas changer de trottoir pour aller vomir en paix la prochaine fois qu’il verra Sanders approcher, le cheveu en bataille.
Car rien n’est simple, les amis...
Car Trump n’est rien d’autre qu’un “tourbillon crisique”, un de ces monstres sortis des ors et des paillettes de la postmodernité pour mieux étaler, par la représentation qu’il en fait à la manière d’un saltimbanque de génie, toutes les contradictions, apories, dissonances, antilogies, antinomies, paradoxes, absurdités, non-sens, contrepieds et j’en passe autant qu’il vous plaira, que le Système a installés comme autant de crises tourbillonnant vers un trou noir dans l’univers soumis à ses lois, par simple besoin de satisfaire à sa seule logique qui est celle de l’enchaînement déstructuration-dissolution-entropisation. Il devrait y avoir certes nombre de ces “monstres” en attente, mais lui seul, avec son génie-saltimbanque, il a réussi à occuper le devant de la scène pour énoncer ses propres exigences et leurs nécessités sans souci de la moindre cohérence, ni de la dévastation qui s’ensuit pour la logique régnante qui est celle du Système. Il nous place tous, – y compris lui-même mais si peu lui importe, – devant nos propres inconséquences et irresponsabilités.
Trump est un piège où la plupart des zombies-Système, et nombre de soi-disant antiSystème avec eux, se précipitent, cornes baissées. Il n’y a qu’une façon d’éviter ça, croyez-moi, c’est de sauter par-dessus, de “sortir par le haut“, d’entretenir la souplesse de l’esprit qui permet d’identifier aussi vite qu’il est permis ce qui est Système et ce qui ne l’est pas, et de s’installer en conséquence pour riposter à mesure, en pratiquant l’art martial du “faire aïkido”. Inutile de prendre un parti, de croire à une idéologie, de chercher des complots et des intrigants, de faire ses incantations démocratiques comme l’on va à Lourdes et de croire pouvoir distinguer de la clarté dans l’incroyable désert dialectique de leurs discours politiques. Il faut avoir l’agilité jaillissante des sinuosités royales du dauphin fendant l’onde à une vitesse stupéfiante et la lucidité impériale du regard de l’aigle tournant dans les cieux avant de fondre vers là où il faut.
Si vous faites comme cela, vous mesurerez vite l’utilité peu ordinaire du saltimbanque-Trump et vous comprendrez qu’il a une mission, et que c’est naturellement de mettre à jour le désordre le plus complet qui est la vérité-de-situation dissimulée du rangement paradoxal et contre-nature que le Système nous a imposés. Le désordre qu’il y apporte lui-même est la bonne et juste voie : jamais un candidat devenu président aussi hors-normes et aussi décrié, aussi plein de désordre lui-même, aura mis dans une lumière aussi crue le désordre extraordinaire qui habite ceux qui se sont aussitôt institués comme ses adversaires à mort, y compris quand il promettait, et réalise désormais, ce que certains d’entre eux réclament depuis tant de temps. La campagne présidentielle puis l’élection et l’installation de Trump nous ont montré qu’on pouvait élire un bien étrange président mais, encore plus, que ceux qui luttèrent contre lui sont envahis d’une bien plus étrange démence... Je crois que nous n’en avons pas fini de ce côté, de la part de la coalition-bordel des démocrates et divers satellites.
Le saltimbanque-Trump est là pour nous annoncer la Bonne Nouvelle : le monde-Système est un cirque de désordres multiples et à l’infini. Il le prouve par démonstration rigoureuse par l’absurde de la sorte de gouvernement qu’il installe et des réactions automatiques et irréfragables qu’il provoque, doublement absurdes et absurdes ad nauseam. Il le dit lorsqu’il dit Make America Great Again à des foules si enthousiastes, mais également si décontenancées et si désorientées, et tourbillonnantes là-dessus, que l’on sent bien que, pour arriver à être Great Again, une seule voie reste et s’offre à l’Amérique : enfin disparaître et emporter le Système avec elle, dans son tourbillon crisique et final...
Nous attendons avec une patience pleine d’espérance et de compassion, voire de cette magnanimité qui est la vertu des plus grands, le clou et le bouquet du spectacle.
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