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2744Nous avons pu voir hier une émission de CNN parmi d’autres sur le discours annoncé comme très important de Trump en Arabie Saoudite, concernant le terrorisme (et éventuellement l’Islam), sur un écran dont le titre général était « Crisis at the White House ». La meneuse de jeu avait deux interlocuteurs en ligne, l’un à Ankara, l’autre à New York. On s’intéressa un peu, vraiment du bout des lèvres, au contenu du discours et à son retentissement éventuel, et beaucoup, énormément, aux effets attendus sur la situation intérieure de Trump. Julian Zelizer, analyste de CNN parlant de New York, jugea que les effets du discours à Washington D.C. seraient négligeables « à cause de la gravité du scandale [Russiagate] » qui est l’unique réoccupation de Washington D.C. ; puis on passa au sujet suivant, beaucoup plus long, sur la poursuite des auditions, à la Chambre, de la commission sur le renseignement qui enquête sur Russiagate. Autre exemple, cette fois d’un média qui n’est pas hostile à Trump, cela pour signifier que nous n’exposons pas une critique d’une orientation mais que nous énonçons le constat d’un état de fait sur l’orientation de la communication... Hier 21 mai 2017, ZeroHedge.com consacrait deux nouvelles au discours de Trump en Arabie et neuf sur la situation intérieure de Trump par rapport au Russiagate et aux attaques lancées en faveur de sa destitution. On voit où se situe l’importance des affaires...
Parmi ces neuf nouvelles de ZeroHedge.com, l’une d’elles était la reprise d’un court texte de Gary Evans de Global Macro Monitor faisant un parallèle entre la situation de Trump dans l’actuelle crise et celle de Nixon dans le Watergate du point de vue des répercussions sur la situation extérieure et la politique US en fonction de l’état du président à conduire cette politique.
« We just found this tidbit of history from Politico of how during the Watergate scandal the Nixon administration was melting down and the President retreated to self-medication:
» “The Nixon administration began disintegrating—the president unable to play his role as the leader of the nation and the free world—at 7:55 p.m. on October 11, 1973. The newly appointed secretary of state, Henry Kissinger, picked up his telephone. His trusted aide at the National Security Council, Brent Scowcroft, was on the line from the White House. The Arab-Israeli war of 1973 was in its fifth day, escalating toward a global crisis and a potential nuclear conflict.
» “Scowcroft: ‘The switchboard just got a call from 10 Downing Street to inquire whether the president would be available for a call within 30 minutes from the prime minister. The subject would be the Middle East.’
» “Kissinger: ‘Can we tell them no? When I talked to the president he was loaded.’
» President Richard Nixon—ravaged by more than four years of war in Vietnam, 15 months of Watergate investigations and countless nights of intense insomnia—was incapacitated...” »
Ce compte-rendu est encore extrêmement vague et optimiste quant à la réalité du pouvoir de Nixon durant le Watergate. On trouve beaucoup plus de précisions dans les mémoires (On Watch, 1976) de l’amiral Elmo R. Zumwalt, qui fut de 1970 à 1974 Chief of Naval Operations (CNO, équivalent du chef d’état-major pour l’U.S. Navy). Zumwalt fut l’un des esprits les plus vifs et les plus intéressés par la politique (quoique s’abstenant complètement de s’y impliquer) de la période. Il était tenu comme une belle intelligence, donc un homme très dangereux, par Kissinger qui ne souffrait aucune concurrence éventuelle. Son livre est certainement la meilleure source interne objective pour la conduite du pouvoir US dans ces années, parce qu’il mêle la précision des réunions, des concertations de la sécurité nationale au niveau le plus haut auxquelles Zumwalt participait en tant que CNO (avec ses notes personnelles prises en temps réel), et la connaissance des intrigues du pouvoir pendant cette période sans implication partisane.
Pour Zumwalt, Nixon contrôla la politique US jusqu’aux démissions de Ehrlichman et Haldeman, ses deux conseillers les plus proches, à cause du Watergate, début mai 1973. Encore, ce contrôle était-il déjà erratique, et Zumwalt décrit un homme plus affecté encore par une tension nerveuse permanente et incroyablement forte que par sa tendance à boire qui en était devenue le symptôme le plus popularisé. C’est lors d'une réunion de juin 1973 du Conseil National de Sécurité (NSC) que Zumwalt note pour la première fois le décrochage complet du président ... Alors que l’on discute de l’état des négociations stratégiques (SALT), sujet d'une importnce fondamentale :
« ... [L]’accord SALT sera réalisé avant que les chefs d’état-major et le secrétaire à la défense puissent [réellement être impliqués dans la négociation] ... le président n’est pas vraiment intéressé [par ces problèmes], toutes ses pensées vont au Watergate... personne ne parvient plus à le voir [à avoir une audience] ... quelques-uns de ses plus vieux conseillers politiques ont tenté de le rencontrer mais il refuse de les recevoir... à l’intérieur de la Maison-Blanche, il y a cinq tentatives de “coup d’État” par jour parce que les différents centres de pouvoir tentent d’acquérir la prééminence... »
Durant la crise du 25 octobre 1973 (l’URSS envisageant une intervention en Égypte suite à une rupture israélienne du cessez-le feu au terme de la “guerre d’Octobre”, les USA mirent leurs forces armées en DefCon-3 [préparation à l’état de guerre] pendant 18 heures), Zumwalt détaille sur quatre pages la nuée de rencontres, de réunions, de messages, de décisions, etc. Pas une fois n’apparaît le nom de Nixon (la décision de mise en alerte avait été prise par Kissinger, puis ensuite contestée par le secrétaire à la défense Schlesinger, – les deux hommes s’opposant constamment). Les seules fois où Nixon eut quelque répit et parut reprendre conscience des grands enjeux fut dans certaines occasions de politique étrangère, notamment lors de son voyage en URSS de la fin du printemps 1974, lorsque Brejnev l’invita à passer deux jours dans sa résidence de Crimée. Les Soviétiques soutinrent Nixon jusqu’au bout, se gardant bien de tenter de profiter de cette vacance du pouvoir à Washington, – circonstance où l’on retrouve le goût russe permanent pour la stabilité. Le 4 février 2013, nous écrivions :
« En plein Watergate (1973-1974), suite directe d’un “coup d’État” bureaucratique des chefs militaires camouflé, dans son issue, en monument à la gloire libérale et médiatique de la Grande Amérique, Nixon se tourna vers Brejnev, qui le soutenait de toutes ses forces de l’extérieur. (Cette interprétation de l’affaire du Watergate lumineuse par son enchaînement, et par conséquent systématiquement ignorée, est signalée dans un texte du 3 février 2010 et analysée dans dde.crisis du 25 janvier 2010.) L’ambassadeur de l’URSS à Washington Dobrynine a témoigné dans ses mémoires que les deux hommes ont travaillé conjointement pour tenter de trouver une solution commune décisive à l’affrontement de la guerre froide ; il fait lui-même allusion à l’action du président du Joint Chiefs of Staff (l’amiral Moorer) contre Nixon, que le KGB avait suivi de près. Dobrynine signale justement qu’une entente entre les deux hommes aurait pu déboucher sur une opération type-glasnost liquidant la puissance de leurs CMI respectifs. »
Bien entendu, les situations structurelles respectives de Nixon et de Trump sont fondamentalement différentes. Il est vrai que le Watergate introduisit un élément d’affaiblissement de la politique extérieure US, mais dans le sens qu’on a vu dans l’extrait ci-dessus, en coupant court à des initiatives révolutionnaires qui auraient pu être lancées par Nixon et Brejnev. D’un point de vue structurel, l’exécutif autour de Nixon était puissamment constitué et fonctionnait de lui-même en suivant une ligne de sécurité nationale assez bien définie selon les normes de la bureaucratie de la Guerre Froide (mais absolument contre les intuitions nixoniennes, certes), avec quelques manipulateurs remarquables, dont Kissinger en premier. Cela évitait tout désordre significatif du fonctionnement de la machine même si cela entravait décisivement une certaine forme de politique envisagée par le président.
L’environnement washingtonien était également plus apaisé et plus cohérent, là aussi loin du désordre et des excès actuels. La presse était en général et sans aucun doute anti-Nixon (avec bien entendu le Washington Post, tout de même dans un rôle plus honorable que l’actuelle démarche complètement FakeNews), mais dans cette affaire du Watergate elle s’appuyait sur des faits précis (une vérité-de-situation, même si l’on peut en discuter et l’origine et l’importance) et non sur un simulacre comme l’est le Russiagate. Le Congrès fit son travail, et même d’une façon déterminante, mais sans la hargne et la haine dépassant en intensité le McCarthysme, dans la situation qu’on voit aujourd’hui. Là aussi, le point fondamental était qu’il y avait une vérité juridique du Watergate (le cambriolage initial au siège du parti démocrate, dans l’immeuble dit-Watergate, acté par la justice), alors que le Russiagate n’est que simulacre.
D'un point de vue conjoncturel et les conditions étant ce qu’elles sont, on peut discuter avec bien des arguments que le Russiagate, que d’autres nomment déjà Trumpgate, ait une influence déterminante sur la position d’influence des USA à l’extérieur. La cause en est complètement paradoxale : il s’agit simplement du constat que cette position d’influence est au plus bas, depuis au moins deux années déjà, essentiellement depuis l’intervention soviétique en Syrie (septembre 2015), et qu’elle s’est encore abaissée avec la campagne présidentielle et la victoire de Trump, puis les conditions de l’installation de Trump à la Maison-Blanche et les attaques dont il fait l’objet. Le Russiagate/Trumpgate ne fait que confirmer et éventuellement accélérer cette tendance à l’effacement, sinon à l’influence des USA en mettant à nu et en plein jour la crise profonde où sont plongés le pouvoir et les élites-Système de Washington D.C. depuis plusieurs années, autour de 2010-2011 pour la phase actuelle. Nous sommes beaucoup plus bas, et sans un régime complètement affirmé d’une surpuissance négative qu’au temps du Watergate.
Surtout, nous sommes dans une logique complètement différente, sinon tout simplement invertie. Le Watergate est venu interrompre brutalement une dynamique de sécurité nationale prometteuse, dans le chef d’une grande politique étrangère de Nixon et, surtout, de la réalisation par ce président de la nécessité de tenter de briser l’emprise du complexe militaro-industrielle sur la politique US. Ce point, bien souvent ignoré parce que Nixon est classé définitivement dans le camp du Diable par la pensée progressiste-sociétale dominante, se trouvait symboliquement résumé par ceci, que nous observions le 28 décembre 2009 :
« Nous rappellerons cette phrase étonnante, que nous citons souvent, du metteur en scène Oliver Stone dans son film ‘Nixon’; la scène montrant Nixon allant rencontrer, impromptu, avec son chef de cabinet Haldeman et deux gardes du corps, des étudiants contestataires au Mémorial Lincoln, lors d’une soirée en 1971, à Washington D.C.; un cercle d’étudiants incrédules se formant autour du président, le pressant, l’interpellant, et soudain une jeune fille de 19 ans (l’âge est précisé) lui demandant pourquoi il ne fait pas tout de suite la paix au Vietnam, lui qui est président, qui a tous les pouvoirs et qui affirme vouloir faire la paix; Nixon répondant par des généralités qui laissent pourtant entendre une expression de sincérité, disant qu’il essaie, que c’est difficile, parlant d’une voix presque oppressée… La jeune fille s’exclame soudain : “Mais on dirait que vous parlez d’une bête que vous n’arrivez pas à dompter!” Nixon repart, s’installe dans la voiture officielle, reste songeur puis, soudain, à l’intention d’Haldeman: “Bob, c’est incroyable, cette gamine de 19 ans, bon Dieu, elle a tout compris !” »
... Au contraire du Watergate, le Russiagate/Trumpgate n’est pas une rupture, ni dans la situation interne de Washington D.C., ni dans la politique intérieure et la situation d’influence des USA. Notamment et paradoxalement, Trump n’est pas venu au pouvoir pour liquider le CMI (voir sa tournée de marchand de tapis à Ryad) mais pour éventuellement (et notamment) tenter, si l’on parle symboliquement, de réconcilier la classe moyenne massacrée des USA et le CMI. Le Watergate est un accident monstrueux (qui et quelle qu’en soient la cause), le Russiagate/Trumpgate est le fruit pourri d’une monstrueuse logique.
Mis en ligne le 22 mai 2017 à 10H15