Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
2304Le refus migratoire incarné par Trump n’a rien de neuf. Les races refusées ont changé mais on a toujours refusé des immigrés en Amérique, même européens, surtout à partir de la fin du XIXème siècle, même si on n’a jamais su les arrêter…
Les grands hommes s’en sont mêlés, comme Kipling qui se plaint à Boston de la baisse tendancielle du nombre de Wasps. Dans son journal, Henry James s’avère fasciné et effaré par le dynamisme de la jeune population juive fraîchement débarquée. Dans une nouvelle nommée la Rue, Lovecraft diabolise à sa manière géniale l’arrivée de nouveaux venus dans sa rue. Il dénonce leur physique répugnant et leurs idées politiques subversives ! Puis il pleure les temps anciens des pionniers blonds comme l’or.
Mais rien ne vaut – pour comprendre ce mal du siècle – une page oubliée d’un roman très connu :
– La civilisation s’en va par morceaux, éclata Tom avec violence. Je suis devenu terriblement pessimiste. As-tu lu l’Ascension des Empires de gens de couleur, par un type nommé Goddard ?
– Ma foi, non, répondis-je, assez surpris du ton dont il avait parlé.
– Eh bien, c’est un bouquin très fort que tout le monde devrait lire. L’idée qu’il y développe est que si nous ne faisons pas attention, la race blanche finira par être complètement submergée.
– Mais ces livres, c’est de la science, insista Tom, en lui jetant un regard d’impatience. Ce type-là, il a étudié le sujet à fond. C’est à nous, qui sommes la race dominante, à nous méfier, sinon les autres races prendront la tête.
« L’idée de l’auteur est que nous sommes des Nordiques. Moi, vous, toi, et… (après une infinitésimale hésitation il comprit Daisy dans le dénombrement par une légère inclination de tête ; ma cousine cligna l’œil de nouveau à mon intention.) Et c’est nous qui avons produit tout ce qui fait la civilisation – Oh ! la science, et l’art, tout cela, quoi. Vous comprenez ? »
La page est écrite sur un ton un peu satirique. Mais Scott Fitzgerald (c’est de lui qu’il s’agit), comme tous les grands auteurs, se moque toujours un peu de son porte-parole ; c’est ce que fait Dostoïevski dans l’Idiot par exemple. L’extrait vient de Gatsby et il est bien sûr soigneusement gommé des adaptations cinématographiques du chef d’œuvre de Fitzgerald. Nous avons rappelé que Trump adore Fitzgerald, sans doute pour des raisons esthétiques (mais comme on sait les raisons esthétiques deviennent vite raciales – voyez le culte des belles femmes de The Donald, voyez Porsche, Ferrari, BMW et la famille Quandt…).
On est au tout début du livre et notre auteur va même en rajouter un peu :
« J’obtins mes diplômes à Yale en 1915, tout juste un quart de siècle après mon père, et un peu plus tard affrontai cette émigration teutonique qu’on réussit à endiguer, temporairement du moins, et qu’on a nommée la Grande Guerre. »
A qui Scott Fitzgerald fait-il allusion ? Aux Juifs ou aux Allemands ? Il est souvent dur avec les uns comme avec les autres. Mais les Allemands immigraient moins depuis 1900, tandis que les Juifs, fuyant l’Autriche et la Russie, débarquaient par millions (le polémiste anglais Belloc parle d’une invasion des USA). L’agressivité antisémite se retrouve dans plusieurs de ses romans, et Fitzgerald s’en prend d’ailleurs souvent à leur physique.
Dans notre extrait, le personnage fait allusion aux deux best-sellers racistes de l’époque, que Kevin McDonald a bien recensés, et dont Paul Johnson s’est moqué raisonnablement dans son Histoire du vingtième siècle (son chapitre sur la dernière Arcadie, l’Amérique encore Wasp et surtout déjantée des années 20, est une merveille).
Le premier livre cité par le personnage de Scott Fitzgerald est le best-seller de Madison Grant, Le Passage d’une grande race. Ce livre inspira le raciste sénateur Bilbo (auteur de Faites-votre choix : séparation ou créolisation) et surtout les lois anti-immigration des Américains en 1920 et 1924. C’est l’époque où DW Griffith évoque la « race aryenne » et la menace noire dans Naissance d’une nation, l’époque où le KKK déploie avec faste ses trois millions de militants sur les trottoirs des grandes villes. Un journaliste affole l’opinion anticommuniste en décrivant une Europe qui quitte son « home ». C’est John Foster Frazer. Et Chesterton dénonce dans son essai très critique sur les États-Unis les contrôles aux frontières.
Grant rappelle sur un ton doctoral - à la limite de la parodie - combien l’humanité est divisée en races, combien elle est hiérarchisée en races, combien surtout elle est inégale en races ! Il célèbre la race nordique, puis tolère la race alpine (surtout les Français), enfin considère avec commisération la race méditerranéenne, qui est pourtant très bonne en construction !
Ami et correspondant de Vacher de Lapouge (qui redoutait lui l’avènement d’un gros empire brachycéphale russe !!!), Madison Grant est un pessimiste comme tous les grands racistes depuis Gobineau. Le nordique risque de s’effacer. En France dit-il, la taille a perdu quatre pouces après les guerres napoléoniennes ; la France, jadis terre des Francs et de civilisation, a perdu ses élites pendant les guerres de religion et la révolution ; car le racistes américains vouent un culte aux huguenots français (voyez Allsworth Ross, qui reproche aux Juifs de vouloir ouvrir les frontières américaines). La Grande Guerre aussi réduit les effectifs des « races supérieures » en Europe. Grant remarque ensuite que l’immigration non désirée fait s’effondrer le taux de natalité des belles populations de souche (car pour lui les indiens ne sont bien sûr que des aborigènes). Et dans un dernier élan déprimé, Grant annonce un natif américain qui sera aussi oublié chez lui que le normand Rollon ou le citoyen Périclès. Tout périclite…
L’autre auteur dont Fitzgerald écorne intentionnellement le nom (Goddard) est Lothrop Stoddard, PHD comme Grant, ancien d’Harvard, conférencier auprès de l’US Navy, essayiste qui finira inscrit sur la liste de sécurité de Roosevelt. Son livre d’entretiens avec les chefs nazis (disponible sur Gutenberg.org) est passionnant. Il est publié juste avant la guerre germano-américaine. Stoddard dénonce lui la montée des races de couleur, montée facilitée par nos guerres fratricides qu’il nomme guerres du Péloponnèse. Il en prévoit une nouvelle en 1922. Stoddard est comme Grant un nostalgique du type colonial, illustré en littérature par Melville, Hawthorne ou bien sûr le très réactionnaire Edgar Poe (qui hait la démocratie moderne et sa « canaille » autant que Madison Grant). Lothrop Stoddard écrit même que c’est le plus beau type créée depuis la Grèce antique ! La guerre de Sécession met fin au beau modèle racial américain, amène des immigrés européens tolérables dans un premier temps, puis intolérables. Dans le même esprit le fascisant Yockey écrira que l’immigration n’ pas eu pour but d’augmenter la population en Amérique, mais de la changer. Le légendaire documentariste Flaherty, pourtant peu suspect de racisme se fera censurer son film sur la terre, car on l’accuse de montrer le remplacement des petits fermiers blancs par les mexicains dans le sud du pays ! C’est à cette époque, dans les années vingt donc, que les bolcheviques inventent le mot de raciste. D’une certaine manière le sort du monde s’est joué ce jour-là.
Dans sa « Montée de la couleur », Stoddard s’en prend aux juifs, qu’il juge dangereusement politisés, aux balkaniques, aux italiens. Il passe de mode avec l’arrivée au pouvoir de Roosevelt, comme d’ailleurs madison Grant et Scott Fitzgerald. C’est le résultat de ce que l’on a appelé la « révolution américaine » de 1933, dont les effets secondaires seront ressentis même par de Gaulle dans ses splendides et oubliés mémoires de Guerre (« Décolonisez, général ; car les jours de la race blanche sont comptés en Asie ! » - Roosevelt).
Stoddard aussi défend le rôle primordial de la race nordique. Cependant il cloue au pilori ceux qui comme Chamberlain voit dans les slaves des sous-hommes (on sait quel usage sinistre et catastrophique les nazis tireront de celui dont le cousin leur déclara la guerre !) et il rappelle que pour lui les allemands son essentiellement alpins. Les contre-vérités comportées par Chamberlain et les nazis sont selon lui « des absurdités monstrueuses. » Dans son livre aussi, Stoddard dénonce la capacité de travail des « jaunes » et il rappelle les solides positions racistes d’un certain candidat à la présidence nommé… Woodrow Wilson !
Tout cela prêterait à sourire, mais un autre personnage parle alors dans sa prison de la race non pas nordique mais aryenne, à qui il prête les mêmes qualités :
« Tout ce que nous avons aujourd'hui devant nous de civilisation humaine, de produits de l'art, de la science et de la technique est presque exclusivement le fruit de l'activité créatrice des Aryens. Ce fait permet de conclure par réciproque, et non sans raison, qu'ils ont été seuls les fondateurs d'une humanité supérieure et, par suite, qu'ils représentent le type primitif de ce que nous entendons sous le nom d' « homme ». L'Aryen est le Prométhée de l'humanité ; l'étincelle divine du génie a de tout temps jailli de son front lumineux ; il a toujours allumé à nouveau ce feu qui, sous la forme de la connaissance, éclairait la nuit recouvrant les mystères obstinément muets et montrait ainsi à l'homme le chemin qu'il devait gravir pour devenir le maître des autres êtres vivants sur cette terre. »
Hitler – c’est de lui qu’il s’agit – va applaudir aux réformes américaines de l’immigration et de la politique raciale et eugénique. Il va même assez loin dans son soutien au zèle racial-réformiste de la grande démocratie américaine :
« Il y a, à notre époque, un pays où l'on peut observer au moins de timides tentatives inspirées par une meilleure conception du rôle de l'État. Ce n'est pas, naturellement, notre république allemande modèle ; ce sont les États-Unis d'Amérique qui s'efforcent d'obéir, du moins en partie, aux conseils de la raison. En refusant l'accès de leur territoire aux immigrants dont la santé est mauvaise, en excluant du droit à la naturalisation les représentants de certaines races, ils se rapprochent un peu de la conception raciste du rôle de l'État. »
Toute cette école raciste américaine, qui est si proche dans son expression du nazisme, sera balayée au cours des années Roosevelt, notamment par l’école d’anthropologie dirigée par Franz Boaz qui imposera ses canons en matière anthropologique et sociologique. McDonald en a très bien parlé dans sa Critique de la Culture, qui explique en fait les origines intellectuelles de la société multiculturelle.
Dans Mein Kampf le führer établit aussi cette vérité reconnue par tous les mouvements racistes, populistes et xénophobes en Europe et ailleurs :
« Car, en ce qui concerne les droits individuels et la liberté personnelle, l'étranger jouit de la même protection, et même souvent d'une protection plus efficace ; c'est, en tous cas, ce qui arrive dans la république allemande actuelle. »
Les Allemands d’abord !
Le redouté libelliste ajoute d’une plume révoltée :
« La marche à suivre pour acquérir le droit de cité dans un Etat n'est pas très différente de celle qu'on doit observer pour être admis, par exemple, dans un club d'automobilistes. Le candidat présente sa requête, qui est examinée et sur laquelle on donne avis favorable ; puis il reçoit un jour un billet l'avisant qu'il est devenu citoyen. »
Étonnez-vous après que l’on traite Donald Trump ou les partis hostiles à l’immigration ou aux réfugiés de racistes !
La qualité intellectuelle des intervenants des années vingt – Fitzgerald, Lovecraft, Grant, Stoddard, Griffith – méritait que l’on s’y arrêtât. On peut aussi rappeler l’engagement très politiquement incorrect de John Buchan dans les trente-neuf marches, dont la teneur n’est évidemment pas reprise dans le film d’Hitchcock. Et on soulignera que d’une manière prophétique Lovecraft annonce – toujours dans sa nouvelle apocalyptique The Street - le risque d’attentats terroristes dans sa rue bien-aimée ; et que cela sonnera le glas de la douce liberté anglo-saxonne…
Chapitre 8 de notre livre sur Donald Trump (deux éditions : Dualpha et Amazon.fr)
Forum — Charger les commentaires