“Trump, il faut virer le président Bolton !”

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“Trump, il faut virer le président Bolton !”

Il s’agit d’une intervention tout à fait hors-norme pour notre époque catastrophique où servilité et “politiquement correct” en bois d’ébène sont la règle ; une intervention qui tranche sur la terrorisation par les USA de la diplomatie occidentale (du bloc-BAO), surtout depuis 9/11, et particulièrement et au-delà de tout depuis l’arrivée de Trump. Nous parlons ici de l’UE, qui n’a aucune politique étrangère comme chacun sait, mais qui a encore quelques êtres humains en fonction, avec le sens des responsabilités. Pour ce cas, la direction de la politique extérieure de l’UE s’est manifestée par un coup d’éclat, par le canal de la conseillère spéciale de Federica Mogherini, Nathalie Tocci, qui parle ès qualitéc’est-à-dire selon ce que nous en interprétons comme une sorte de porte-parole de Mogherini. Qui plus est et pour ajouter l’insulte à l’injure, le coup d’éclat se fait par l’intermédiaire du réseau russe RT.com, au cours de l’émission Sophie & Co, de Sophie Chevardnadze, mise en ligne le 17 juin 2019. Pour cette fois il faudra donc rengainer l’argument du Fakenewsisme qui sert aux larbins du Système pour cirer les bottes des chevaliers de la servilité qui les dirigent.

(Les déclarations les plus fracassantes sur la crise iranienne, essentiellement sur la nécessité de “virer Bolton”, ont été reprise dans une synthèse sur le site général de RT.Com.)

Ci-dessous, nous donnons le passage de cette longue interview qui concerne l’attitude de l’Iran, notamment les menaces de quitter l’accord JCPOA, que Tocci comprend parfaitement, et, en fin de citation, les deux questions avec les réponses explosives de Tocci concernant Bolton et les rapports entre Trump et Bolton.

Sophie Chevardnadze : « La grande question est donc de savoir si vous pouvez agir seul ou non, et la principale affaire à ce propos c’est le traité avec l’Iran. Donc en ce moment, comme vous le savez, Rouhani dit quelque chose comme “Je vais me retirer de la JCPOA si vous n’êtes pas plus ferme et ne faites pas preuve de courage”. Pensez-vous que c'est le dernier avertissement à l'UE ? Pensez-vous que Téhéran est vraiment sérieux à propos de cette rupture de l'accord ? »

Nathalie Tocci : « Je pense, et c’est tout ce que je peux dire à ce sujet, que si j'étais un décideur iranien et que si j’adoptais leur point de vue, j’agiterais ces menaces et j’aurais raison. Je veux dire qu’il est clair que si l'une des parties à un contrat, c’est-à-dire l’Iran, respecte ses engagements et l’autre pas, c'est-à-dire les autres membres des E3+3 dont évidemment la Russie, il est juste que la partie qui respecte l’accord dise : “Attendez, vous savez si vous continuez comme ça, je vais sortir de l’accord”. Cela dit, je pense aussi qu'il serait en fait assez irrationnel que l’Iran quitte le JCPOA avant 2020 simplement parce qu’il s’écoulera essentiellement un an et quelques mois qui peuvent amener du changement aux États-Unis... »

Sophie Chevardnadze : « ... ou pas. »

Nathalie Tocci : « Ou pas, c’est juste. En effet, si la situation ne change pas[dans ces délais], alors si j’étais l’Iran je ne me considérerais plus comme lié par le JCPOA car, comme je l’ai dit, un contrat ne tient si tous les signataires respectent l’accord. »

Sophie Chevardnadze : « De nombreux analystes disent que Rouhani se comporte de cette façon parce qu'il veut exercer une certaine pression sur l'UE. Pensez-vous que les attentes de Téhéran à cet égard sont légitimes ? »

Nathalie Tocci : « Absolument. »

Sophie Chevardnadze : « Rouhani peut-il faire quelque chose pour vous inciter à agir ? »

Nathalie Tocci : « Vous savez, il y a eu du mouvement. Le fait est que nous parlons de quelque chose qui est très compliqué sur le plan technique et politique. Je veux dire que ce n'est pas seulement une affaire européenne, que lorsque l’UE tente de mettre en place un mécanisme INSTEX, ce n’est pas seulement pour permettre le commerce entre l’UE et l’Iran sans faire l'objet de sanctions extraterritoriales, c'est aussi pour permettre à d'autres acteurs de faire de même sans être touchés par des sanctions extraterritoriales américaines. Et cela inclut également la Russie et la Chine. À mon avis, cela fait donc partie d'une situation beaucoup plus vaste qui va bien au-delà de l’Iran, du Moyen-Orient et de la non-prolifération et qui ne concerne pas seulement les Européens ; cela concerne tous les acteurs internationaux puisque nous parlons aujourd’hui dans les termes de sanctions extraterritoriales américaines contre l’Iran. Qu’est-ce qui arriverait si la lutte, la rivalité, la concurrence, la compétition, l’affrontement entre les États-Unis et la Chine parvenaient au point où les États-Unis décideraient d'imposer des sanctions extraterritoriales à la Chine ? »

Sophie Chevardnadze : « Oh, on pourrait en arriver là. »

Nathalie Tocci : « Précisément ! Et qu'est-ce que cela signifierait pour notre commerce, pour le vôtre, pour celui de tout le monde ? »

Sophie Chevardnadze : « Eh bien, vous savez, la Russie ne s’en préoccupe guère. Vous le savez, elle continue de commercer avec l'Iran et heureusement, la Russie a son propre pétrole, donc elle n'a pas besoin de... »

Nathalie Tocci : « Elle ne l’a pas fait autant que les Iraniens l’espéraient. »

Sophie Chevardnadze : « C’est vrai. Tout le monde est prudent, mais quoiqu’il en soit [les Russes] ne suivent pas la ligne américaine. Mais les Européens, comme vous, beaucoup d’entre eux étaient outrés, comme s’ils disaient “ce n'est pas dans notre intérêt d'annuler cet accord, alors nous allons continuer nos relations avec l'Iran”. Mais alors, n’est-ce pas, lorsque les Américains imposent des sanctions, d’après ce que je comprends, la plupart des grandes entreprises arrêtent leurs échanges avec l’Iran et quittent ce marché. »

Nathalie Tocci : « C’est ce que je veux dire. La question est de savoir comment créer un climat d'investissement mondial qui incite les entreprises à faire ces investissements même en cas de sanctions extraterritoriales américaines. Donc, évidemment, vous avez tout à fait raison. Il y a plus d'entreprises européennes dans cette situation que d'entreprises russes, mais cela concerne tout le monde. Et, vous savez, bien sûr, les gouvernements ne peuvent pas obliger les dirigeants des entreprises à faire ce qu’il ne veulent plus faire. Ce que nous devons essayer de créer, c’est un environnement international d’investissement et de commerce qui permette aux entreprises de s'engager librement et de faire du commerce sans être indûment punies pour cela. »

Sophie Chevardnadze : « Je sais que vous avez dit que les États-Unis et l'Europe ont des objectifs très différents vis-à-vis de l'Iran : L’UE cherche en quelque sorte à contenir le programme nucléaire iranien et l'Amérique veut un changement de régime en Iran. Et puis voilà que Trump, qui change très souvent d'avis, dit maintenant que l'Iran pourrait être une grande économie sous Rouhani et qu'il ne veut pas d'un changement de régime là-bas. Pourquoi ne lui faites-vous pas confiance ? »

Nathalie Tocci : « Eh bien, parce qu'il devrait peut-être essayer de changer son conseiller à la sécurité nationale qui a clairement une position très différente sur ce point. »

Sophie Chevardnadze : « Je dirais qu'il y a beaucoup de désaccords entre beaucoup de gens au sein de l'administration. Mais en fin de compte, il faut bien admettre que Trump a sa politique, qu’il la mène comme il l’entend. »

Nathalie Tocci : « Je pense, malheureusement, qu'en ce qui concerne l'Iran, il a été conduit à suivre une direction très différente [de celle qu’il proclame]. Comme je l'ai dit, c’est en particulier le fait de John Bolton, dont les positions sur l'Iran remontent très loin dans le temps, au moins à l'époque de l'administration Bush et même avant cette époque. Malheureusement, pour le moment, il me semble que la politique des États-Unis à l'égard de l'Iran a très clairement un inspirateur et que cet inspirateur n'est pas le président des États-Unis. »

... Et l’on passe après ces deux questions-réponses à un sujet un peu différent, sans relever ce que les deux réponses ont de tranchant, de décisif, donc d’extraordinaire. Manifestement, ni l’une ni l’autre des deux protagonistes de cette conversation éclairante ne veulent frapper trop fort sur le clou, mais ce qui est dit est dit, même sur RT.com.

Bien entendu, ces déclarations appellent de notre part plusieurs commentaires et spéculations. Il faut les considérer ces commentaires-spéculations comme complètement indépendants, sans autre information sur l’interview et sur les réactions à l’interview, s’il y en a, et accepter la possibilité de modifier complètement telle ou telle observation, telle ou telle orientation, selon ce qui viendra. Ces réserves faites et bien faites, voici ce que nous pouvons observer pour notre compte en partant de ce qui nous semble évident : si Tocci parle comme elle l’a fait, c’est qu’elle a évidemment l’aval de Mogherini, donc c’est Mogherini, Haute Représentante de l’UE, qui parle ici à voix à peine cryptée.

• Mogherini est arrivée à son poste décidée à dynamiser la politique étrangère de l’UE, à abandonner certaines orientations absurdes, etc., à secouer l’incroyable inertie installée par Lady Ashton sous l’impulsion des Britanniques Elle a très vite déchanté, non pas sous des pressions spécifiques, mais devant la quasi-impossibilité de déplacer la colossale gangue bureaucratique qui pèse sur les institutions européennes et empêche de modifier les politiques fondamentales même si celles-ci sont absurdes ou le sont devenues. Aujourd’hui, on pourrait considérer qu’elle fait un coup d’éclat par personne interposée parce que sa frustration n’a pas cessé, – nous le savons d’exemples fort récents, – et puis parce qu’elle s’en va, au terme de son mandat, dans quelques petits mois. Disons, si l’on veut, que c’est son cadeau d’adieu.

• Quelle sera l’effet de cette intervention ? Il y a trop d’inconnues pour pouvoir soutenir sérieusement une hypothèse... L’initiative est-elle le fait de la seule pseudo-Mogherini, ou y a-t-il eu concertation ou accord passif, soit avec d’autres forces institutionnelles, soit avec l’un ou l’autre État-membre, etc. (l’Allemagne, par exemple, qui est en de si mauvais termes avec l’administration Trump que les observations de Pompeo sur le ministre allemand des affaires étrangères frisent l’insulte dans l’incroyable désinvolture d’un propos qui ne s’embarrasse d’aucune subtilité dans le mépris de la vérité : « Le secrétaire d’État a donné une réponse similaire lorsqu’on l’a interrogé sur CBS au sujet des commentaires du ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas selon lesquels la vidéo n’était “pas suffisante”[pour conclure à la responsabilité des Iraniens]. Pompeo a déclaré calmement que Maas avait vu “beaucoup plus que la simple vidéo” mais il n’a pas donné de détails. Dans un geste pas très subtil à l’égard de l’Allemagne, il a ajouté qu’“il y a des pays qui souhaitent simplement que [ces “preuves” disparaissent] et ils veulent agir d’une manière contre-factuelle.” »)

• L’interview intervient bien entendu au moment où la tension monteentre les USA et l’Iran, malgré l’incroyable mascarade qui a tenu lieu de “provocation iranienne”, et un mécontentement manifeste dans nombre de pays “amis” des USA. (Le même texte référencé rapporte notamment la réaction du Japon, contredisant toutes les affirmations US, – mais là aussi, Pompeo s’en fout, avec sa dextérité d’ancien directeur de la CIA [ « I was the CIA director. We lied, we cheated, we stole »].) Le système de la communication est actuellement orienté vers une dramatisation massive de la situationavec annonce d’attaques US possibles comme on le lit dans ce commentaire de WSWS.org, reprenant une information de Maariv.Onlineconcernant une attaque aérienne massive contre un seul objectif lié au programme nucléaire. Dans ce cas où cette dramatisation aurait un fondement opérationnel, l’interview concourrait fortement à installer au sein du bloc-BAO des divisions extrêmement significatives, sans doute comme jamais vues auparavant. L’exemple le plus vite venu à l’esprit et le plus retentissant est celui de l’opposition franco-belgo-allemandes à la guerre contre l’Irak de 2003, où l’on vit que cette opposition portait d’abord et seulement sur des questions de procédures, de légalité de l’attaque, etc., mais s’abstenait d’affirmer un désaccord complet ; dans le cas actuel, et lorsqu’on lit l’interview de Tocci, sur RT.com en plus, on se dit que les positions des uns et des autres pourraient aisément évoluer vers de réels désaccords et affrontements entre alliés.

• Reste à savoir si le président Bolton est informé de la tenue du G20 la semaine prochaine, justement à Osaka, au Japon ; et si le président Trump est au courant de possibles projets d’attaque, et qu’il est en fait président des États-Unis d’Amérique...

• Reste (suite) à se souvenir de la prophétie d’un leader néo-sécessionniste du Vermont, que recueillait Chris Hedges en 2010 : « “Il y a trois ou quatre scénarios possibles de la chute de l’Empire”, dit Naylor. “Une possibilité est une guerre avec l'Iran. Une autre, ce serait que les Chinois laissent tomber leurs bons du Trésor. Même si ce n'est pas le cas, l'infrastructure du pays se dégrade. C'est un processus plus lent. Et ils n’ont pas remis l’économie en état, ils n’ont fait que de la poudre aux yeux. C'est pourquoi le prix de l'or est si élevé. L'économie et l'incapacité d'arrêter les guerres suffiront à elles seules à nous faire tomber. Il n'y a plus moyen d'échapper à notre sur-extension impériale.” »

... Beaucoup de ces choses restent tout à fait d’actualité, et le président Bolton est le personnage idoine pour craquer l’allumette.