Trump, l’homme des BRICS

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Trump, l’homme des BRICS

• Suivez donc les incroyables zigzag de l’esprit de Donald Trumpo, qui semble poursuivre trois, quatre, cinq stratégies à la fois, qui s’entrechoquent, s’entremêlent et se contredisent. • En attaquant principalement la Chine avec ses tarifs, il rapproche ce pays de la Russie plus qu’il ne les séparent, tandis que ses menaces contre l’Iran rapproche l’Iran de la Russie. • Cette Russie dont Trump juge avoir reconquis l’estime alors qu’il se trouve bloqué dans sa “stratégie” ukrainienne, ce terrain où la Russie ne cédera rien. • Trump a révolutionné le monde mais que fait-il de sa révolution ?

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10 avril 2025 à 18H30 – Que se passe-t-il dans la tête de Donald Trump ? Bien habile devin, celui qui pourrait répondre d’une façon simple et directe, quelle que soit la dose de coke absorbée. On dirait qu’il y a dans l’esprit de Trump, plusieurs Trump, chacun avec une stratégie bien définie et solide, mais toutes ses stratégies se croisant, s’interférant et, – bien souvent, trop souvent, – se contredisant avec une extrême violence. Ce président, élu triomphalement avec une équipe exceptionnelle(qui doit commencer à fantasmer) mais entouré de forces diverses et puissantes qui guettent un faux-pas et entretiennent le désordre, dispose d’une puissance extrême et formidable installée sur un sol glissant, mouvant, aussi solide que du sable. On a vu hier le développement de cette catégorie étrange et folle nommée “culture de l’assassinat”, rassemblant tant de milieux intellectuels et influents...

Mais arrêtons-nous sur sa formidable décision de lancer une “guerre tarifaire“, dont on a vu la vertu principal et paradoxale de marquer la fin de la globalisation. Interrogé sur ce point, Jacques Sapir a noté que les diverses et en apparence énormes chiffres annoncés par Trump, lorsqu’ils sont pondérés, nous ramènent en fait à une économie de bonne qualité, telle qu’elle existait dans les années 1950 et1960, – avant la globalisation lancée comme une folle dans les années1980 par le couple Reagan-Thatcher.

Alors, dira-t-on, il faut donc se féliciter de cette décision de Trump ? Sur le terme , et plutôt hors de toute considération géopolitique partielle, on répondrait par l’affirmative. Mais pour le court terme et l’imbrication des conséquences politiques sur des zones régionales, ce n’est pas le cas. A preuve (de quoi ?), la décision de Trump de faire une pause de 90 jours en annulant temporairement les augmentations tarifaires... euh, sauf pour la Chine.

La Chine, justement. C’est l’argument essentiel du texte de Larry S. Johnson que l’on reprend ci-dessous : le sort et les conséquences d’une guerre tarifaire qui est d’abord faite contre la Chine, et aussi contre l’alliance de la Russie et de la Chine. Johnson est plus que sceptique, jugeant que l’effet de l’attaque contre la Chine aura l’effet contraire et donnera un coup de fouet aux BRICS comme instrument de dédollarisation :

« Trump et ses conseillers semblent également parier que cette décision contribuera à convaincre la Russie que la Chine n'est pas un partenaire économique fiable et qu'elle abandonnera la Chine. Je pense que la diatribe de Trump sur les tarifs douaniers aura l'effet inverse : elle consolidera les relations russo-chinoises sur tous les fronts et les incitera à accélérer la transformation des BRICS en une alternative solide à un système financier basé sur le dollar américain. »

La stratégie de Trump est assez étrange, outre qu’elle rend compte de l’ignorance abyssale des USA des comportements psychologiques russe et chinois. Elle est lancée alors que le rapprochement des USA avec la Russie est loin d’être acquis, lorsqu’on constate les hésitations catastrophiques des USA dans la question ukrainienne, face à la résolution des Russes.

Résultat assuré dans ce cas, décrit par le journaliste Dereje Yiemeru, basé à Addis Abeba, en Éthiopie, au terme d’un article où il détaille l’importance grandissante des BRICS dans des matières absolument stratégiques :

« La contribution des BRICS+ à l'économie mondiale ne cesse de croître. De plus, les secteurs dans lesquels l'alliance occupe une position forte sont tous cruciaux, de l'agriculture et de la production alimentaire à l'énergie. Cela crée une base solide pour une croissance constante du rôle politique du groupe, tout en approfondissant les liens entre ses membres et ses États partenaires. »

Là-dessus, et pour faire un décompte complet des crises en cours et des positions radicales de Trump dans tous les domaines et dans toutes les contradictions possibles, il est bon de rappeler les menaces grandissantes d’attaque directe des USA contre l’Iran, – menaces d’“attaques directes” qui, au reste, fêtent leur vingtième anniversaire cette année. Ce brutal développement d’une stratégie de plus contre un pays qui vient de signer un accord de coopération stratégique, – avec la Russie justement, avec laquelle Trump veut justement établir des relations d’extrême confiance et de grande coopération, jusque-là en ratant complètement son opération de règlement de la guerre ukrainienne.

Cela donne des idées de  rapprochement décisif de la Russie avec l’Iran, à Douguine par exemple, qui est pourtant un partisan enthousiaste de Trump aux USA lorsqu’il s’agit du retour à des principes de la Tradition. Douguine ne propose rien de moins  que de créer une vaste fédération rassemblant la Biélorussie, la Russie et l’Iran, à l’image de celle qui existe entre la Russie et la Biélorussie justement :

« La question est de savoir sur qui l'Iran peut compter dans une telle situation? Bien sûr, cela changerait beaucoup si l'Iran acceptait l'idée de créer un État fédéral avec la Russie selon le modèle de notre union avec la Biélorussie. Mais les autorités iraniennes ne sont pas encore prêtes pour cela, bien que ce soit peut-être le seul moyen d'éviter la guerre. Dans tous les cas, dans cette situation, il faut agir de manière avant-gardiste. Et celui qui agit de manière moins avant-gardiste perdra probablement.

» C'est pourquoi, à la place de l'Iran, je prendrais très au sérieux la menace qui pèse sur ce pays. La guerre est tout à fait probable et pourrait éclater très bientôt. Et donc, il ne s'agit pas seulement d'un accord stratégique, récemment signé entre la Russie et l'Iran, mais bien de l'idée de créer un vaste État fédéral. C'est cette idée qui pourrait représenter un pas salvateur. Il faut agir proactivement. »

... Quel curieux embrouillement de desseins, qui conduit certains des plus chauds partisans étrangers de Trump à brusquement et nécessairement dénoncer telle ou telle stratégie qui interfère sur telle autre. Effectivement, il devient de plus en plus l’homme des BRICS, auquel l’Iran vient d’ailleurs d’adhérer.

Ainsi Trump est-il, pour Johnson, “l’homme des BRICS”.

dedefensa

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Donald Trump plaide en faveur des BRICS

Les investisseurs de Wall Street ont affiché un grand soulagement aujourd'hui, la bourse enregistrant des gains historiques, un répit bienvenu après les pertes des jours précédents, lorsque Donald Trump a annoncé une pause de 90 jours dans les droits de douane draconiens, optant pour une imposition généralisée de seulement 10 %. Enfin, pas pour tout le monde. Trump a augmenté les droits de douane sur la Chine, et la Chine a répliqué en conséquence.

Hier soir, lors d'une collecte de fonds républicaine à New York, Trump a tenu un commentaire vulgaire, grossier et impolitique à propos des 70 pays qui ont contacté son administration pour plaider en faveur d'un accord sur les droits de douane. Trump a déclaré :

« Je vous le dis, ces pays nous appellent et me lèchent le cul », a-t-il déclaré lors du dîner du Comité national républicain du Congrès mardi soir, quelques heures seulement avant l'entrée en vigueur des droits de douane.

« Ils le font. Ils meurent d'envie de conclure un accord. “S'il vous plaît, s'il vous plaît, Monsieur, concluez un accord. Je ferai tout. Je ferai tout, Monsieur !” », a-t-il dit d'un ton moqueur. Même si c'est vrai, c'est une affirmation stupide. Je ne pense pas que beaucoup de pays ayant contacté l'administration Trump soient en harmonie avec lui. Humilier des partenaires commerciaux est, au mieux, contre-productif. Si Trump, ainsi que nombre de ses fervents partisans, célèbrent cela comme un signe de domination américaine, je soupçonne que nombre des pays qui cherchent à obtenir un allègement tarifaire se demandent s'ils souhaitent continuer à dépendre du dollar américain. Qu'il le reconnaisse ou non, Trump a démontré avec brio pourquoi les nations devraient s'aligner sur les BRICS plutôt que d'être les otages économiques d'une hégémonie inconstante.

Le véritable objectif de Trump en imposant ces droits de douane sans précédent est de punir la Chine. Il part du principe que l'économie chinoise est faible et que les États-Unis ont l'avantage. Selon le gouvernement chinois, environ 14,7% des exportations chinoises totales étaient destinées aux États-Unis en 2024. Ce chiffre est en baisse par rapport à 2018, où les États-Unis représentaient environ 16% des exportations chinoises, pour un total de 547 milliards de dollars.

En 2024, les exportations chinoises vers les États-Unis ont représenté 13,4 % de l'ensemble des importations américaines. Les principales catégories de biens importés de Chine vers les États-Unis sont les suivantes :

Électronique grand public :

Les smartphones, les ordinateurs et les tablettes dominent cette catégorie, la Chine représentant 78 % des importations américaines de smartphones et 79 % des importations américaines d'ordinateurs portables en 2023.

Les autres produits électroniques comprennent les téléviseurs, les systèmes de divertissement à domicile et les batteries lithium-ion, qui représentent une part importante des importations.

Machines et équipements industriels :

Comprend les pièces automobiles, la robotique, les équipements d'automatisation et les engins de chantier. Cette catégorie a représenté 110 milliards de dollars d'importations en 2023.

Meubles et articles ménagers :

Les meubles en bois et rembourrés, le petit électroménager (par exemple, les micro-ondes, les purificateurs d'air) et les luminaires sont des produits clés. À eux seuls, les meubles ont représenté 14 milliards de dollars d'importations.

Jouets, textiles et vêtements :

Les jouets représentent plus de 70 % des importations américaines de jouets, tandis que les textiles et les vêtements ont représenté 21 milliards de dollars d'importations en 2023.

Fournitures médicales et produits pharmaceutiques :

Ces produits comprennent les matières premières pharmaceutiques et les dispositifs médicaux, qui représentent environ 30% des importations américaines dans cette catégorie.

À moins que Trump n'exclue les produits pharmaceutiques et électroniques, les consommateurs américains vont payer des prix exorbitants pour les iPhones, les ordinateurs et les médicaments essentiels sur ordonnance. Presque rien des exportations américaines vers la Chine n'est exclusif aux États-Unis. Le soja, par exemple, est une exportation majeure des États-Unis vers la Chine. La Chine va probablement maintenant se tourner vers le Brésil pour acheter ses récoltes [note : la Chine et le Brésil ont déjà conclu un accord commercial qui contourne le dollar américain].

Trump se targue d'être un ami proche de Xi Jing Pour lui, ping. Au vu des insultes et du comportement grossier de Trump, je doute que le président Xi considère Donald comme un bon ami. Trump et son équipe semblent croire qu'ils ont l'influence nécessaire dans cette bataille et que les Chinois vont céder et chercher une solution négociée. Je pense que Trump et ses conseillers se trompent lourdement. La Chine ne se laissera pas intimider et cessera de considérer les États-Unis comme un partenaire commercial précieux. Les actions de Trump ont dissipé les derniers doutes des dirigeants chinois quant à la possibilité de maintenir une relation commerciale viable avec les États-Unis.

La Chine a un avantage sur Trump : toute souffrance infligée au peuple chinois sera facilement imputée aux États-Unis, et non à Xi. Trump, quant à lui, subira la colère des consommateurs si les prix des produits électroniques et pharmaceutiques augmentent rapidement. C'est lui qui a fait cela, pas les Chinois.

Trump et ses conseillers semblent également parier que cette décision contribuera à convaincre la Russie que la Chine n'est pas un partenaire économique fiable et qu'elle abandonnera la Chine. Je pense que la diatribe de Trump sur les tarifs douaniers aura l'effet inverse : elle consolidera les relations russo-chinoises sur tous les fronts et les incitera à accélérer la transformation des BRICS en une alternative solide à un système financier basé sur le dollar américain.

Larry S. Johnson