Tsipras et l’UE, ou la crise à contrepied

Faits et commentaires

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1493

Tsipras et l’UE, ou la crise à contrepied

29 janvier 2015 – Les commentateurs, ceux qui savent, ceux qu’on rencontre dans les couloirs des institutions de l’UE et dans les salles de conférence de presse où l’on dévore les communiqués, ceux qui ont les “bonnes sources” dans le chef de fonctionnaires européens qui savent ce qu’il faut confier à ces journalistes “qui savent”, tous ceux-là vous le répètent depuis deux jours : l’on savait bien (tout le monde le savait) que le premier choc entre l’UE et la Grèce de Tsipras concernerait les affaires étrangères et la crise avec la Russie. “Tout le monde le savait” ? Eh bien, nous pas, et nous n’en avions entendu parler nulle part, ni lu là-dessus encore moins, d’une façon aussi assurée. D’ailleurs, ceux qui vous disent que “tout le monde le savait” se sont bien gardé d’écrire là-dessus avant la victoire de Tsipras, et ceux “qui savaient” dans les institutions d’en faire le thème de conférences internes, – histoire d’envisager ce qu’on devrait faire si survenait ce qui s’est effectivement passé. (On verra plus loin que nous mettons à part ZeroHedge.com, mais essentiellement parce qu’il relayait il y a une dizaine de jours une nouvelle de Moscou, – car là, à Moscou, l’“on savait” effectivement...)

... Savoir, que la Grèce de Tsipras a inauguré ses relations avec l’UE par une crise de grande et belle allure à propos des relations avec la Russie, et de la quasi-dictature que le Polonais Donald Tusk entend imposer à la politique de l’UE en tant que président... Savoir également qu’en ouvrant cette crise, Tsipras et sa Grèce new-look en ouvre une autre de crise, entre Tusk qui s’arroge tous les pouvoirs, y compris ceux de Mogherini, et la susdite Mogherini qui se trouve prise dans un tourbillon dont elle n’est en rien la cause, sans parler (mais est-il utile d’en parler ?) des divers États-membres qui suivent comme des moutons qui ne bêlent pas, de peur de perdre leur étoile polaire (“l’Europe ! l’Europe ! l’Europe  !”)... Savoir enfin, comme font toutes les feuilles authentiquement européennes, que se pose aussitôt la question finale, en passant avec brio d’une obsession à l’autre au sein de la scintillante bureaucratie européenne : au lieu de s’inquiéter du bolchévique intérieur et antieuropéen qu’on craindrait qu’il soit, ne serait-ce pas plutôt que le nouveau Premier grec, Tsipras, serait “l’œil de Moscou” au sein de la vertueuse Europe ?

EUObserver d’abord, ce 28 janvier 2015, dans un paragraphe surmonté de l’aguichant intertitre «Fellow traveller?» (soit “compagnon de route”, expression donnée aux non-communistes qui, pendant l’époque stalinienne, – car l’expression est bien de cette époque, – firent le jeu de Moscou en s’en faisant les meilleurs alliés, – ce que Staline, extrêmement aimables pour les critiques anticommunistes, traduisait par “les idiots utiles”, – ce qui vous en dit long à la fois sur la place qu’occupent Tsipras et Poutine dans l’esprit de ces commentateurs de 2015, en général anglo-saxons, bruxellois et parfaitement rodés-Système dans l’art du commentaire pavloviens...) Le dossier du trouble jeu de Tsipras est aussitôt transféré du rayon “crise intérieure de l’UE” à propos d’une Grèce récalcitrante devant la mort lente que lui assure la troïka comme remède radical à son mal-être, au rayon “Russie expansionniste menaçant la civilisation en étouffant la gentille Ukraine qui ne demande qu’à s’inscrire dans la concert civilisationnel de l’Europe authentique”. Et nous-mêmes d’en apprendre de belles...

«Tsipras had earlier attracted comment for meeting with the Russian ambassador to Greece on Monday, just a few hours after being named PM. The diplomat hand-delivered a telegram from Russian leader Vladimir Putin, saying Putin “is confident that Russia and Greece will continue to develop their traditionally constructive co-operation in all areas”. It is normal protocol, with China following suit on Tuesday.

»But the EU bombshell and the Russian meeting come in the context of Tsipras’ pro-Russia track record. He visited Moscow last May to meet with Russian MPs and Putin associates. He voiced support, at the time, for Crimea’s “referendum” on independence. He said the EU “is shooting itself in the foot” by imposing sanctions and complained that the pro-EU government in Kiev contains “neo-Nazis”. His MEPs have also voted against almost every Russia-critical act or resolution in the European Parliament. The list includes EP ratification of the EU-Ukraine association pact, criticism of Russia’s crackdown on Memorial (an NGO), and criticism of the annexation of Crimea.»

• Tsipras est donc un garnement, nullement parce qu’il veut la peau des banksters et qu’il peinerait à rembourser une dette dont le remboursement est l’honneur même de son pays en même temps que sa sauvegarde mais parce qu’il est un agent de Poutine. Voyons ce qu’en disent d’autres mauvais sujets... Le premier d’entre eux est Srdja Trifkovic, citoyen Serbo-Américain, ami des Serbes, accusé d’islamophobie et d’antisémitisme à la fois, chef des informations étrangères du magazine paléo-conservateur Chronicle, des libertariens US (type-Ron Paul), proche d’Antiwar.com et ainsi de suite. Trifkovic est interviewé par Russia Today le 28 janvier 2015. Parlant de son refus du communiqué machiné par Tusk de la condamnation de la Russie dans l’affaire de Marioupol, avec promesse de nouvelles sanctions, Trifkovic croit que Tsipras a allumé la mèche d’une drôle de bombe intra-européenne.

Russia Today : «How come the EU issued this strong statement without the consent of all the members?»

Srdja Trifkovic : «Because it is very difficult in the EU to be the first country to break ranks. Now that the Greeks have made the move I confidently expect that, the Hungarians in particular, but perhaps also Slovakia and Cyprus, will find it easier to have courage and say “no” to the dictate from Brussels. I believe that the move such as announced by the government in Athens today can have momentum. Once you have the first voice countering the dictates and ‘faits accomplis’ from Brussels then maybe some other countries will follow suit. In particular Budapest, Bratislava and Nicosia are to be watched in this respect.»

Russia Today : «Is this the first time the Council of the EU has issued a statement like this without seeking consent?»

Srdja Trifkovic : «To my knowledge this is the first such occasion. It reflects above all the ideological commitment of the Polish President of the EU, Donald Tusk, who has been well known during the 7 years of his prime ministership of Poland as an enemy of Russia, to impose these sanctions against [Russia]… Obviously in order to do so because of his deep commitment he is prepared to cut corners. But I believe that Greeks and maybe some others will call him to task for that.»

Russia Today : «Is this the beginning of strained relations between Greece and the rest of the EU?»

Srdja Trifkovic : «The real test will come on Thursday when several countries, including the UK in particular, will be asking for additional sanctions against Russia in the wake of the Mariupol deaths. If the Greeks decidedly act against this then it will herald a crisis, because in March there will be a need for unanimity when the first package of sanctions against Russia comes up for renewal, and then in June and July - the second package.»

ZeroHedge.com avait, au contraire des “commentateurs anglo-saxons, bruxellois et parfaitement rodés-Système” écrit il y a un peu plus d’une décade à propos de la possibilité d’un réalignement de la Grèce plutôt vers l’Est et la Russie, en mentionnant une proposition russe qui fut totalement ignorée à Bruxelles où les informations venues de Russie sont, soit faussaires, soit ignorées. Pour ce site, les derniers événements des dernières 48 heures annoncent purement et simplement “le début du grand tournant de la Grèce vers la Russie”... Le 28 janvier 2015, ZeroHedge.com écrit, avant de s’étendre avec nombre de détails et de citations sur le cas :

«Ten days ago, before the smashing success of Greece's anti-austerity party, Syriza, we noted that Russia gave Greece a modest proposal: turn your back on Europe, whom you despise so much anyway, and we will assist your farmers by lifting the food import ban. And, sure enough, Greece's new premier Tsipras did hint with his initial actions that Greece may indeed pivot quite aggressively away from Europe and toward Russia in general and the Eurasian Economic Union in particular (as a tangent recall “Russia's ‘Startling’ Proposal To Europe: Dump The US, Join The Eurasian Economic Union”...»

L’Europe au risque de sa vertu intérieure

Ce qui est remarquable dans ce nouvel épisode de la crise grecque déjà vieille de près de cinq ans, épisode ouvert avec la victoire du Tsipras aux élections de dimanche, c’est l’extraordinaire contrepied qu’il nous impose, et la rapidité avec laquelle il nous l’impose. En effet, ce que signifient les dernières péripéties, qui sont les premiers actes internationaux du gouvernement Tsipras, c’est un complet changement de domaine.

Pour tous, et malgré les certitudes de “ceux qui savent”, la crise de la Grèce est une crise doublement intérieure : une crise intérieure colossale pour la Grèce elle-même, plongeant ce pays dans une situation extraordinaire pour ce XXIème siècle qui prétend être celui de la civilisation accomplie (la postmodernité), dans un processus de recul et même d’effondrement dans la barbarie telle que notre contre-civilisation sait la ménager jusqu’à l’abomination. Jean-François Mattei parle de cette Barbarie intérieure caractérisant notre [contre-]civilisation, dans son livre de 2001 dont c’est le titre, – “intérieure” comme barbarie intérieure à nous en tant qu’individualtés dans cette [contre-]civilisation. Eh bien, l’évolution de la situation en Grèce serait comme un exemple, sinon l’archétype de ce que cette “barbarie intérieure” est capable de provoquer dans une collectivité lorsqu’elle s’extériorise, – et Dieu sait si, depuis la crise financière de l’automne 2008, le Système en mode de surpuissance s’est employé avec une force inouïe à extérioriser tout ce qu’il porte de crisique en lui, en exerçant ses capacités maléfiques sans limite à cet égard.

Le deuxième aspect “intérieur” de la crise grecque, c’est qu’il s’agit d’une crise intérieure à l’UE, où l’UE peut jouer les professeurs expérimentés, à la fois courroucé (par l’inconséquence du cancre grec) et à la fois pédagogue généreux (en lui “prêtant” des sommes colossales sous le poids desquelles le cancre pourra couler encore plus profond, tandis qu’un satisfecit est adressé en permanence aux banques couvertes de plomb transformé en or pour le rôle qu’elles ont tenu dans le désarroi mortel du cancre grec). L’UE affectionne cette sorte de rôle de “grand sage” et elle attendait fermement, – certes, parfois avec un frisson de panique mais vite réprimé, – le Grec Tsipras sur ce terrain-là. Nous aussi, nous attendions l’affrontement sur ce terrain, en ne doutant pas tout de même que nombre de chances existaient pour qu’un arrangement fût trouvé. De leur côté, une très grands partie des commentateurs-Système (“ceux qui savent”) ne doutait pas et ne doute toujours pas que l’affrontement se terminerait (se terminera) par la déroute du Grec Tsipras, la démonstration de l’inanité de son programme, et la victoire finale et à nouveau conformée des prescriptions du professeur-UE. Peut-être tout cela aura-t-il lieu ou pas, c’est à voir, mais ce qui est tout vu c’est que rien n’a commencé de cette façon...

Car entretemps, un troisième aspect “intérieur” s’est révélé, mais cette fois sous forme d’une crise interne à la direction de l’UE elle-même ... L’ironie du destin, c’est bien entendu que cette crise interne à l’UE permet le contrepied de la situation, faisant passer la crise grecque-UE du domaine “intérieur” où le professeur-UE peut dispenser sa sagesse complète, au domaine “extérieur” de la grande crise avec la Russie, où le professeur-UE est beaucoup, beaucoup, beaucoup moins à l’aise, où il est même dans le plus complet désarroi à l’image du cancre grec, et même bien plus que lui. Cette crise-là, nous l’avons nommé “coup d’État” (voir le 27 janvier 2015), ou putsch si l’on veut faire plus dans les mœurs courantes d’une institution qui n’a strictement rien d’un État avec le sens des responsabilités qui va avec. (“Putsch”, comme il y a eu putsch américaniste-néonazi à Kiev, le 22 février 2014.)

Effectivement, ce sont les agissements du nouveau président Donald Tusk, prenant sur lui d’imposer un communiqué de l’UE engageant les 28 Etats-membres et condamnant fort arbitrairement et sans le moindre commencement de preuve sinon la parole de Porochenko la Russie pour le bombardement de Marioupol, qui a achevé de mettre le feu aux poudres. (Comme d’habitude, ce qui pourrait tenir lieu de preuves iraient plutôt dans le sens contraire, avec un parfait timing avec les réunions de l’UE.) Tusk a pris la chose sur lui, c’est-à-dire qu’il a “brûlé” Mogherini, et il a engagé les 28 Etats-membres sans vraiment consulter grand’monde, et dans tous les cas pas la Grèce de Tsipras qui a dénoncé sèchement ce communiqué en annonçant qu’elle le refusait pour son compte. Ainsi la crise toute-intérieure de l’UE devient-elle, cette fois dans le chef de Tsipras et de ses réactions vis-à-vis des pratiques actuelles de la situation putschiste de la direction de l’UE, une crise extérieure rejoignant la grande crise centrale de l’effondrement du Système.

A ce point s’imposent quelques mots sur Donald Tusk, Polonais et nouveau président de l’UE, qui joue un rôle essentiel dans la pièce telle que nous la présentons. Son évolution personnelle est comme une illustration symbolique de la situation du monde plongeant dans la crise d’effondrement du Système et elle mérite d’être détaillée pour que l’on comprenne bien dans quel climat de fureur et de passion nous nous aventurons. Sur ce point du Polonais Tusk, nous contredirons complètement Trifkovic selon notre propre appréciation, en faisant l’hypothèse qu’il est sans doute conduit par une vindicte anti-polonaise un peu trop aveuglante lorsqu’il parle de “Donald Tusk, qui est bien connu pour ses sept années au poste de Premier ministre de Pologne durant lesquelles il fut un ennemi de la Russie” ( «Donald Tusk, who has been well known during the 7 years of his prime ministership of Poland as an enemy of Russia...»). Ce n’est nullement ce que nous disent nos archives.

Lorsqu’il est nommé Premier ministre, en novembre 2007, en remplacement d’un des jumeaux Kaczynski, les terribles nationalistes viscéralement antirusses (pour eux, c’est assuré), Tusk s’affirme et s’affiche justement comme l’homme de la réconciliation polono-russe. (Voir le 24 novembre 2007 : «“Vous serez agréablement surpris par la vitesse avec laquelle les rapports polono-russes s'amélioreront”, [a indiqué Tusk,] s'adressant aux journalistes. Il serait encore trop tôt d'évoquer la date de la visite du chef du gouvernement polonais à Moscou mais celle-ci “aura lieu sous peu”, a ajouté M. Tusk.») Tusk confirme cette orientation, en mettant sur pied, effectivement, et précisément avec le Premier ministre russe d’alors (son nom est Vladimir Poutine), un processus de réconciliation qui donnent des fruits prometteurs avec la réconciliation à propos du massacre de Katyn (voir le 8 avril 2010 et le 19 avril 2010). Dans cette affaire, où l’un des jumeaux Kaczynski, alors resté président de la Pologne, perd la vie dans un accident d’avion qui fut le sujet de toutes les hypothèses complotistes, l’affrontement Tusk-Kaczynski à propos de la Russie, – le premier pour la réconciliation, le second contre, – bat son plein (voir le 13 avril 2010). Et tout cela se passe deux ans après la courte guerre Géorgie-Russie, dénoncée par tous les historiens du jour (“ceux qui savent”) comme le premier acte de l’expansionnisme russe qui contribua à sonner la mobilisation antirusse au sein du bloc BAO.

Qu’est-il arrivé à Donald Tusk ? On connaît les diverses hypothèses possible à ce propos, avec notamment, face à “l’œil de Moscou” que serait devenu Tsipras, “la main de Washington”, si prompte à saisir son portefeuille pour convaincre les récalcitrants. Tout cela peut être vrai ou pas, et pour nous c’est d’une importance mineure, voire dérisoire, comme l’est cette mécanique convulsive définissant le besoin de corrompre les autres en plus de soi-même de Washington (c’est-à-dire du Système). Pour nous effectivement, il s’agit d’abord de l’évolution d’un climat vers le paroxysme qui naît et se nourrit à la fois de l’hystérie de la psychologie, et ce climat où les atavismes passionnels reprennent le dessus avec une force extraordinaire. La Pologne est, à cet égard, un véritable laboratoire de passion, et son atavisme un modèle d’“antirussime”. Cette hypothèse rencontre celle, plus large, où nous faisons de la crise ukrainienne et des relations antagonistes avec la Russie un sommet de paroxysme hystérique, de passions, d’hystérie faussaire ; il y a du côté du bloc BAO une immersion dans une complète anti-réalité (nous disons narrative), c’est-à-dire l’exercice d’une psychologie exacerbée dans la pathologie évoluant dans un paysage absolument composé d’anti-vérités de situation, de déni systématique du réel, jusqu’à l’extrême de l’abaissement de l’esprit dans une sorte de “puérilisme” (niveau de la puérilité de la pensée) suscité par le poids terrible du mensonge universalisé engendrant les plus terribles maux de cette même psychologie. Ainsi Donald Tusk s’est-il transformé en comploteur et putschiste au plus haut niveau du non-État européen.

Ce rapide a-parte sur Tusk ne prétend pas centrer le propos sur une personnalité, que l’esprit agile à sauter aux fausses conclusions chargerait de tous les maux, dont celui d’instigateur central de la crise. Ce qui nous importe avec ces quelques mots sur Tusk, c’est d’approfondir et de détailler par un exemple symbolique néanmoins placé au centre des événements le climat de passion, de paroxysme, d’anti-réalité, de déni accablant de la vérité des situations qui caractérise la crise bloc BAO (UE)/Ukraine/Russie. Ce climat est un facteur fondamental, sinon le facteur fondamental par définition. Il nous indique que 1) ce domaine de crise qu’est l’ensemble bloc BAO/Ukraine/Russie est absolument incontrôlable, alors que 2) ce domaine de crise est celui de la Crise Centrale, la crise d’effondrement du Système, et que nous sommes donc au cœur du sujet, – beaucoup plus qu’avec la crise financière et économique du duopole Grèce-UE. En même temps, au contraire, le processus et ses circonstances lient étroitement l’orientation extérieure de la crise Grèce-UE (relations avec la Russie) à son volet intérieur (crise économique et financière de la Grèce), bien sûr en transformant ce volet intérieur en en faisant un élément de la grande crise d’effondrement du Système dont la crise Ukraine/Russie est le cœur grondant. Le fractionnisme, le réductionnisme, permettant d’isoler les crises les unes des autres et d’éviter la grande question fondamentale de la mise en accusation du Système, sont ici complètement battus en brèche, complètement pulvérisés. Et ce sont la passion, le paroxysme, le climat de non-réalité et de déni caractéristiques de la crise Ukraine/Russie qui sont la cause tout aussi fondamentale de cette évolution.

Peu nous importe pour ce raisonnement de savoir si, aujourd’hui, – cet article étant rédigé ce matin du 29 janvier, – la Grèce mettra ou non son veto au nouveau train de mesures sur lesquelles les ministres des Etats-membres de l’UE vont avoir à se décider. (Trifkovic : «The real test will come on Thursday when several countries, including the UK in particular, will be asking for additional sanctions against Russia in the wake of the Mariupol deaths. If the Greeks decidedly act against this then it will herald a crisis...») Pour nous, la véritable crise est d’ores et déjà activée, qui est une crise se planquant sur les deux crises, celle de l’intérieur de l’UE et celle de l’extérieur de l’UE.

D’ores et déjà Tsipras a réussi à créer un événement nouveau, quelque chose de complètement inattendu par rapport à ce qu’on attendait de sa victoire aux élections. Il a transmuté les deux crises (intérieure et extérieure) en une crise nouvelle, qui chapeaute les deux et les lie d’une façon indissoluble. Désormais la crise intérieure de l’UE, celle dont la situation grecque était l’un des signes les plus dramatiques, s’est imbriquée dans la crise extérieure, celle qui marque l’antagonisme avec la Russie et constitue selon nous le cœur de la crise d’effondrement du Système. Désormais, l’Europe n’est plus isolée dans ses tourments intérieurs présentés comme des remous naturels pour parvenir à l’état de perfection postmoderniste, avec simplement l'appendice extérieur de la projection d’une hostilité affirmée contre la Russie ; désormais, l’Europe et ses tourments intérieurs sont directement impliqués dans sa politique extérieure d’hostilité à la Russie, et le débat européen devient nécessairement un débat portant sur tous ces aspects, sans cloisonnement, sans séparation. Cette “ouverture” sur le monde extérieur (la Russie) où l’Europe prétend néanmoins faire la loi au nom de sa vertu intérieure, pourrait amener, comme un choc en retour, à une mise en cause terrible de cette vertu intérieure devant l’évidence des contradictions, du désordre, des affirmations d’anti-vérités, du Mensonge érigé en une sorte de transcendance qui égare les esprits dans le puérilisme de l’esprit mentionné plus haut, et les psychologies dans une pathologie si remarquable par sa constance pavlovienne qu’on pourrait presque la baptiser, par reconnaissance de ses fondateurs, comme la “pathologie bruxelloise de la psychologie”. A cette aune, et devant la contraction du temps et l’accélération de l’Histoire, c’est pour la cause qu’on pourrait envisager que la crise extérieure (la Russie) porte directement au sein de l’Europe-à-la-vertu-intérieure si souvent proclamée le ferment de la division la plus terrible, les germes de l’éclatement, non plus au nom des comptabilités des bureaucraties irresponsables vaticinant autour du sort de l’euro, mais sous la pression d’événements terribles qui nous ramèneront à ce que l’Histoire nous ménage de plus tragique.