Tsunami au Moyen-Orient

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Tsunami au Moyen-Orient


8 février 2005 — Les événements se succèdent, s’accumulent au Moyen-Orient, pour changer la situation et la réorienter décisivement. Il faut se garder de l’apprécier selon une vision déterministe, ou “linéariste”, qui conviendrait aux partisans de la politique US. Entre autres choses, cela supposerait, grave erreur, qu’il y a une politique US.

Il faut se garder de voir dans la succession générale des événements une marche bienheureuse vers la paix démocratique et de concorde générale. Il est préférable de l’apprécier comme un déplacement général, comme celui qu’engendre le mouvement de plaques tectoniques, à la suite du choc déclencheur initial que fut l’intervention US. Il ne s’agit pas de passer du règlement réalisé de certains problèmes pour poursuivre en nous préparant à en régler d’autres. Les problèmes évoluent de façon importante dans cette fin de période, à peu près depuis la mort d’Arafat, mais ils subsistent. Tout cela nous conduit à une nouvelle situation, un nouveau schéma.

Quatre événements sont à considérer.

• Les élections en Irak n’ont rien réglé fondamentalement du problème irakien mais elles l’ont fait évidemment évoluer. En un sens, il s’est sensiblement “dés-américanisé” pour se régionaliser. Il n’en reste pas moins un problème, un problème grave, et, peut-être, un problème encore plus grave qu’il n’était. Les éléments suivants sont à considérer : la majorité chiite est en train de prendre le pouvoir, qui sera fortement marqué par sa dimension religieuse ; la guérilla continue, plus forte que jamais, et reste un très grave abcès de fixation pour les forces US. Le paradoxe de cette séquence est que cette évolution capitale n’a nullement libéré les Américains de l’hypothèque militaire irakienne tout en installant un pouvoir dont la fidélité aux Américains est sujette à très forte caution.

• Pour autant, Washington (insistons sur cette spécificité régionale et psychologique de la capitale des USA) a, lui, sauté le pas. Washington, qui vit dans son monde virtuel, a proclamé que le problème irakien était résolu pour lui et complètement à son avantage, — point final. Cette illusion psychologique est néanmoins un fait politique, puisque nous vivons dans une époque virtualiste où la représentation pèse d’un poids plus fort que la réalité dans les prises de décision des directions qui y sont soumises. L’illusion devient donc fait politique et, pour le très, très court terme (comme d’habitude), dans le cas irakien, la combinaison arrange Washington. Par contre, lorsqu’on en reviendra à la réalité, elle pourrait réserver de bien vilaines surprises, notamment aux forces US en Irak parce que la rébellion est plus que jamais active, mais aussi dans le domaine de la politique US à cause de l’évolution de la situation politique dans ce même Irak. Les certitudes américaines sur le contrôle qu’ils se jugent capable d’assurer sur l’évolution du futur gouvernement chiite (il n’y aura pas une nouvelle république islamique, dit Cheney) font craindre le pire : les Américains se trompent en général complètement dans cette sorte d’évaluation et leur assurance risque bien de détourner leur attention d’une évolution effectivement religieuse, qui en serait alors grandement facilitée.

• Les perspectives de raccommodement entre Israël et les Palestiniens sont brusquement formidables. Elles montrent que l’antagonisme depuis 4 ans était d’abord une question d’homme (la haine de l’équipe Sharon pour Arafat, l’intransigeance d’Arafat). En supposant que les choses aillent le mieux possible, nous aurons des concerts de louange pour la bénédiction de la paix, mais il y aura surtout, là aussi comme en Irak, ce phénomène d’une “re-régionalisation” du problème israélo-palestinien : son intensité baissant notablement, la polarisation d’une situation d’affrontement le cédera à la complexité d’une situation de négociations et d’arrangement. Le principal aiguillon politique et une des principales justifications de la politique agressive de GW Bush au Moyen-Orient, et même contre la terreur, auront tendance à s’estomper ; le soutien de la puissante communauté juive aura moins d’alacrité. Tout cela est essentiel parce qu’il indique que la mobilisation maximale qui existait jusqu’alors va tendre à se diluer si l’accord Israël-Palestiniens se concrétise, alors que GW a plus que jamais besoin d’une mobilisation générale, — pour le quatrième point.

• Le quatrième point, c’est l’essentiel désormais : l’Iran. Plus que jamais, l’Iran est la crise à venir. Les Américains sont fermement embarqués dans ce qu’ils nomment une “collision course” impliquant une frappe. L’establishment washingtonien est bien plus uni sur cette question qu’il n’était sur l’attaque contre l’Irak, alors que le programme nucléaire de l’Iran est bien plus une réalité pour tous que ne l’était celui de l’Irak. Ce même establishment washingtonien suppose donc, — virtualisme pour virtualisme, — que le soutien à Washington sera bien plus fort qu’il a été pour l’Irak. De ce point de vue, l’initiative des Européens en faveur d’une issue négociée agace d’autant plus. Peu d’experts et de dirigeants US croient que les Européens pourront résister longtemps aux pressions de Washington pour le soutien “actif” d’une attaque. Ils se trompent notablement. D’autre part, les Américains pensent qu’ils vont pouvoir obtenir d’Israël la même mobilisation de soutien que celle qu’ils ont eue pour l’Irak, — ce en quoi ils se trompent encore, parce que Israël devrait plutôt être démobilisé avec le rapprochement avec les Palestiniens, et parce qu’Israël, contrairement à ce proclament les Américains, n’a pas vraiment envie de frapper ou qu’on frappe l’Irak (les militaires israéliens ne croient pas qu’on puisse résoudre le problème par une attaque). Les Américains espèrent également le soutien des Irakiens, qu’ils jugent désormais acquis à leur camp, — alors qu’on comprend évidemment qu’un pouvoir chiite pourrait bien être conduit à choisir le contraire (le soutien, plus ou moins discret à l’Iran).

La situation actuelle est clairement intermédiaire entre deux époques, celle qui se termine s’étant ouverte le 19 mars 2003 (ou, peut-être, le 11 septembre 2001?). Celle qui s’ouvre, qui sera essentiellement iranienne, sera encore plus incertaine et chaotique.