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593En complément de l’activité diplomatique de la phase politique très active qu’ont inauguré la Turquie et son Premier ministre Erdogan, il existe sans aucun doute un aspect factuel qui concerne la situation fondamentalement antagoniste entre la Turquie et Israël. Cette situation s’est très fortement marquée, effectivement, par des faits concrets qui confirment cet antagonisme. Le fait politico-militaire principal est l’annonce par la Turquie que la marine turque interviendrai si la marine israélienne opérait hors de ses eaux territoriales, pour assurer le blocus de Gaza que la Turquie considère comme illégal. La marine turque a donné des détails techniques très précis («If Turkish warships encounter an Israeli military ship outside Israel's 12-mile territorial waters, they will advance up to 100 meters from the ship and disable its weapon system»).
De ce point de vue des mesures annoncées par les Turcs concernant cette situation navale, des commentateurs arabes jugent qu’elle sont à la fois audacieuses et risquées, qu’elles substantivent effectivement la nouvelle politique turque mais posent la question de savoir si et comment elles peuvent être suivies d’effets. Le risque est évidemment qu'une mesure aussi importante, annoncée et éventuellement non suivie d’effets dans certaines circonstances, constituerait un énorme revers diplomatique pour la Turquie. Cet extrait d’Arab.News, une publication proche des pays du Golfe, résume cet aspect de la question (le 143 septembre 2011).
«Arab opinion applauds the fact that at last an important outside country, a member of NATO, with close ties to both the EU and the United States, is finally getting tough with the Israelis. It is good to hear such language, and one wishes that the US or the EU would resort to a small proportion of this tough talk. Nonetheless the exhilaration at this spectacle cannot blind anyone, not least Erdogan himself, to the considerable challenges involved in his increasingly powerful line toward the Netanyahu government.
»The bottom line is that a threat is only meaningful if there is a readiness to carry it through. Is Erdogan ready to see his navy fighting it out with the Israelis in the eastern Mediterranean? Has he thought through the consequences, not least where such a firefight could lead politically and militarily and of no less importance, the impact to Turkey’s standing in NATO and with Europe?»
Sur ce point particulier des aspects militaires des relations désormais antagonistes entre Israël et la Turquie, des nouvelles concernant les armements respectifs montrent qu’une activité spécifique marque le domaine, qui reflètent effectivement cet antagonisme. Elles caractérisent des actions des deux côtés, avec des interférences US majeures marquant l’implication considérable des USA dans ce domaine de l’équipement militaire, pour les deux pays.
• Il y a l’annonce, du côté turc, venue d’un journal d’Ankara (le Star Gazete), que les avions de combat turcs, notamment les F-16, reçoivent un nouveau radar de fabrication turque qui leur permet l’acquisition d’objectifs israéliens lors d’éventuelles missions de combat. Originellement, les F-16 sont livrés par les USA avec une programmation électronique d’origine USA, et verrouillée par les USA, impliquant une répartition des cibles entre “amis et ennemis” (“Identification Friend and Foes” [IFF]), avec une classification d’Israël dans les “amis” qui interdit l’intervention armée turque contre Israël. Le site israélien Ynet.News développe la nouvelle le 13 septembre 2011, en insistant sur le fait que ce nouvel équipement turc a été développé sur instruction directe d’Erdogan. (Il faut aussi insister sur le fait que cet équipement IFF implique des missions défensives, les missions offensives pouvant difficilement être verrouillées dans ce sens par le constructeur initial, – les USA). (Une question complémentaire intéressante serait de savoir si les avions israéliens d’origine US sont tributaires des mêmes limitations, avec un IFF interdisant l’acquisition électronique de cibles turques classées “amies”. Ce serait bien étonnant et le contraire, – Turquie hors de la classification “amies”, éventuellement sur intervention technique des Israéliens sur leurs propres avions, est bien plus probable.)
«The new radar system – Identification Friend or Foe (IFF) – is a defensive command and control system developed by Turkey's Military Electronics Industry (ASELSAN) for the nation's air force and navy. It is slated to replace a similar US version which is in use today…»
• Le 13 septembre 2011, DEBKAFiles écrit que les USA ont refusé une demande de la Turquie pour l’acquisition ou la disposition de systèmes aériens sans pilotes (UCAV) Predator, tant que la Turquie “menacera” militairement Israël (l’affaire de la présence navale turque contre l’embargo israélien). Selon DEBKAFiles, ce refus US paralyse en partie l’action turque contre les rebelles de l’organisation kurde PKK, notamment à cause de problèmes pour utiliser des UCACV israéliens Heron, – vendus par Israël à la Turquie…, – qui ont des problèmes techniques d’emploi. Conformément à son habitude, DEBKAFiles est très pessimiste et belliciste et considère que l’“affrontement armé” entre la Turquie et Israël a d’ores et déjà “discrètement” commencé.
«The Obama administration has turned down a Turkish request for drones or for the deployment of US Predators at Turkish bases until Ankara stops threatening Israel with armed attack, DEBKAfile's military and Washington sources report. Turkey has no functioning unmanned aerial vehicles at present. The “technical problems” grounding the Herons Israel sold Ankara have crippled the Turkish army's campaign against the Kurdish PKK rebels – both in northern Iraq and in southeast Turkey.
»In recent days, therefore, the rebels have stepped up their raids on Turkish territory, killing nine people including army and police personnel.
»Israeli officialdom and military chiefs are doing their utmost to keep the lid on the spiraling Turkish-Israel confrontation, claiming that a military clash is not imminent because the US, NATO and Europe won't let it happen. Turkey is after all a member of the North Atlantic Treaty Organization. However, DEBKAfile's military sources report, the confrontation has already broken surface. Despite Western efforts to contain the rising tension, the armed conflict has quietly begun…»
Ces diverses informations, quoi qu’il en soit de leur exactitude, montrent dans tous les cas que l’antagonisme israélo-turc est désormais pris très au sérieux, y compris par le troisième sommet du triangle, les USA, principal fournisseur des deux pays qui s’affrontent. Mais il faut aussitôt aller bien plus loin que le seul aspect de la quincaillerie, voire que l’aspect opérationnel.
Si l’information de DEBKAFiles est confirmée, elle est extrêmement grave. Elle pèse, de la part des USA, doublement sur la souveraineté et la souveraineté nationales de la Turquie. D’une part, selon la présentation qui en est faite, l’éventuel embargo sur le Predator est lié à une décision non pas technique, mais politique et de sécurité nationale, notamment la décision d’Erdogan de faire respecter la libre circulation dans les eaux internationales face aux incursions israéliennes, – considérée dans ce cas par les USA comme une “menace” contre Israël. D’autre part, elle affecte un potentiel turc non pas “contre” Israël, mais dans le cadre d’une lutte engagée contre une guérilla, qui est considérée par l’Etat turc, – à juste raison ou pas, c’est un autre problème, – comme cruciale pour la sécurité nationale du pays. Il s’agit d’un véritable chantage portant sur l’intégrité souveraine de la Turquie, sans doute l’initiative la plus grave dans ses implications qu’on puisse imaginer dans la situation présente. (La gravité du cas est alimentée par la nouvelle que les Turcs envisagent une invasion du nord de ce pays pour lutter le PKK. Ils recherchent l’accord du gouvernement irakien, ce qui pourrait d’ailleurs conduire à d’intéressantes interférences avec les USA, toujours présents en Irak, et dont certains ont été jusqu’à soupçonner qu’ils auraient pu ne pas rechigner à la livraison de certains armements au PKK, – pour alimenter le multilatéralisme exubérant de leurs politiques fractionnées entre agences et départements concurrents.)
Dans tous les cas, il s’agit d’un durcissement notable des USA, c’est-à-dire du Pentagone dans ce cas (les modalités de la sécurité d’Israël constituent son domaine “réservé”), et cela ne passera pas inaperçu ni ne sera sans conséquence. Si l’orientation est bien celle de la décision rapportée par DEBKAFiles, il ne fait aucun doute que l’on se dirige vers une détérioration considérable des relations de la Turquie, – avec Israël, certes, quoique cela soit déjà fait pour une bonne part, – mais surtout avec les USA, avec des conséquences importantes, impossibles à prévoir, au sein de l’organisation et du climat des alliances du bloc américaniste-occidentaliste (BAO), au sein de l’OTAN et même de l’UE.
D’une façon plus général et au niveau des principes, la démonstration est faite une fois de plus des questions essentielles soulevées par les fournitures d’armements avancés. (La démonstration vaut aussi bien pour les deux cas évoqué, l’IFF des F-16 et le Predator.) Il s’agit de rien moins que du respect de la souveraineté et de l’indépendance des partenaires, qui sont en général (la souveraineté et l’indépendance) systématiquement piétinées par les USA, qui font au contraire de leurs fournitures d’armements le moyen d’un chantage le plus grossier et le plus brutal. La tradition française, dans ce cas, était d’assurer le contraire, le complet respect de la souveraineté de l’acheteur, – mais la question se pose aujourd’hui, avec l’effondrement de la politique extérieure française dans la conformité hystérique au Système, de savoir exactement ce qu’il reste de cette tradition. Les Russes sont, parmi les gros fournisseurs d’armement, les seuls à conserver à peu près ce respect de la souveraineté des autres, cela correspondant d’ailleurs à leur politique étrangère. On a déjà vu que les Turcs avaient effectué quelques achats d’armements russes et s’intéressaient à d’autres, plus importants (voir notre Faits & Commentaires du 29 avril 2011, qui parlait d’armements russes importants pour la Turquie, en même temps que des relations déjà quelque peu refroidies de la Turquie avec l’OTAN). Tout cela suggère bien entendu des évolutions possibles d’importance, selon l’évolution des évènements au Moyen-Orient.
Mis en ligne le 14 septembre 2011 à 09H04
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