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19 août 2005 — Désormais, le Pentagone bruisse d’un seul mot (acronyme, en fait): UAS (Unmanned Aerial Systems), qui a remplacé UAV (Unmanned aerial Vehicle), « a change that […] is designed to stress the idea that the aircraft are just one facet in a complex network of systems ». Il s’agit d’une innovation sémantique qui accompagne cette nouveauté considérable: “UAS Road Map”. (“Road Map”, terme désormais fameux pour nos petites cervelles américanisées, puisqu’on retrouve ce terme sur chaque rapport que sort aujourd’hui la Commission européenne : Road Map pour “feuille de route”, évidemment.)
Tout cela pour signifier que le Pentagone a découvert l’avion (pardon : le ‘système’) sans pilote. Peu importe qu’il existe depuis 45 ans (c’était alors le RPV, ou Remotely Piloted Vehicle) et qu’on l’ait “découvert” déjà à deux reprises (au début des années 1970 et au début des années 1980). Aujourd’hui, c’est à nouveau tout nouveau. Et c’est sensationnel.
(C’est aussi complètement américaniste, jusque dans le choix de l’acronyme… Certains observent que l’acronyme UAS rejoint les initiales de la Grande République, à part l’ordre des lettres. Dans le domaine du symbolique, la remarque est à retenir, surtout lorsqu’on constate les perspectives grandioses qu’on veut donner aux UAS et lorsqu’on sait l’état où se trouve le Pentagone, qui est la principale puissance au service des USA.)
Les UAS pourront tout faire, absolument tout. Par exemple, le Joint Unmanned Combat Air System, ou J-UCAS, qui fait partie de “UAS Road Map”. Dyke Weatherington, deputy of the Pentagon’s Unmanned Aerial Vehicle (System) planning task force, a présenté la chose le 17 août, — et il ne lésine pas sur les perspectives:
« The “number one goal” of the [“UAS Road Map”] program is development of the Joint Unmanned Combat Air System, or J-UCAS, Weatherington said.
» The aircraft would perform a range of missions now flown by human crews in rapidly aging but critical airframes. This includes close-in electronic suppression of enemy air defenses, a dangerous task now flown by EA-6B Prowler aircraft. The roadmap envisions this mission being handled by unmanned craft by the end of this decade.
» By 2020, unmanned combat planes could take over high-risk penetrating strike missions now handled by the F-117 Stealth fighter, as well as some integrated strike missions now flown by F-16s.
» Also by 2020, another family of unmanned aircraft could begin midair refueling operations, taking the stress off rapidly aging KC-135s, KC-10s and KC-130s.
» Weatherington said unmanned aircraft could be ideal for performing missions deemed too tedious for piloted planes, such as long-range surveillance and patrols. »
Ces perspectives extraordinaires sont donc sorties du “UAS Road Map”, plan lui-même sorti comme un lapin d’un chapeau par les cerveaux de la QDR-2005, — mais une QDR-2005 qui marcherait et pas celle qui s’en va en quenouilles. “UAS Road Map” a été approuvé par les plus hautes autorités du Pentagone le 4 août. Il fait 213 pages et nous présente l’avenir à partir des prévisions pour la période 2006-2030 pour les systèmes volants sans pilote.
Ce qui frappe par-dessus tout, c’est le radicalisme de ces prévisions, comme on a pu les lire. On dirait que tous les avions pilotés devront avoir disparu ou seront mis sur une voie de garage à partir de 2020, à l’image de ce que devaient être les avions “stealth” dès 1990, lorsque cette technologie fut rendue publique en 1980.
Incontestablement, c’est une fuite en avant, la dernière riposte de Rumsfeld pour sauvegarder ce qui peut l’être de sa volonté de transformation radicale du Pentagone. Quand tout va mal, quand tout se bloque, il faut plus que jamais une stratégie de rupture totale. UAS fait l’affaire. C’est du Foch classique (“ma droite recule, ma gauche piétine, mon centre est enfoncé, j’attaque”).
Les réactions des spécialistes sont réservées. C’est assez normal : même pour ces américanistes à tous crins, la pilule est un peu difficile à gober quand on connaît les habitudes du Pentagone. Le scepticisme est non seulement permis, il est recommandé, il est impératif.
• Dans un long article au titre qui exprime ce scepticisme (« Unmanned Unknows »), l’hebdomadaire Aviation Week & Space Technology observe: « These optimistic projections are part of the Pentagon's newly completed “Unmanned Aircraft Systems Roadmap for 2005-30.” They are being buoyed by the prevailing notion that the greater use of unmanned aircraft is an avenue to containing defense spending. However, there are also some major impediments. »
• Manifestement interloqué par la grandeur des ambitions soudain mises dans les UAS, Defense News observe timidement: « An unmanned craft relies a great deal on communications links to operate. Once it’s off on an electronic attack mission and starts jamming enemy signals, those links could be lost and the operators would be unable to change or call off the attack. »
• Loren Thompson du Lexington Institute estime que « the assumption that J-UCAS will perform as expected is belied by history; most major weapons fall short of their initial cost, schedule and performance expectations. »
D’accord, scepticisme justifié. D’autre part, il y a cette interprétation nécessaire: “UAS Road Map” est la dernière riposte en date de ce formidable bagarreur qu’est Rumsfeld, qui ne veut pas lâcher son objectif de réforme radicale, qui contre-attaque par une blitzkrieg bureaucratique elle-même de plus en plus radicale. Inutile de dire qu’il n’a aucune chance, — mais, dans un sens, humainement veut-on dire, c’est d’autant plus beau que c’est inutile.
Il n’a aucune chance parce que la voie qu’il prend est l’inverse de celle que le bon sens et l’expérience des événements lui dictent : de plus en plus d’automatisme, de plus en plus de technologies, alors que l’Irak montre l’échec abyssal de cette combinaison face à la fameuse guerre de quatrième génération dont le stratège William S. Lind s’est fait le chantre. Pour comprendre cette erreur complète, il faut admettre que Rumsfeld ne se bat pas contre la résistance irakienne mais contre la bureaucratie du Pentagone. Ce combat n’est pas nouveau et il est louable, sinon admirable. Mais l’issue de la bataille est écrite d’avance, passant par une confusion plus grande encore dans une programmation surendettée, bloquée par des budgets pléthoriques et pourtant exsangues, débouchant sur de nouveaux programmes d’UAS dont les coûts vont s’envoler, aggravant encore le cycle destructeur, etc. On peut concevoir une secrète estime pour l’alacrité de Rumsfeld sans pour autant perdre sa lucidité de jugement et conclure que la “UAS Road Map” ne va faire qu’accentuer encore le désordre destructeur qui dévore l’outil principal de la première puissance du monde.
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