UK “brexité” ? Engueulade 5G Trump-Johnson

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UK “brexité” ? Engueulade 5G Trump-Johnson

Un article du  Financial Times cité et commenté par ZeroHedge.com rapporte les circonstances d’une discussion téléphonique explosive, sinon nucléaire, entre Trump et Johnson que pourtant tout le monde salue comme les meilleurs amis du monde, – deux Anglo-Saxons liés par les Special Relationships, deux populistes de droite, deux nationalistes anti-globalistes, deux eurosceptiques. Eh bien, ce fut bien “nucléaire” et personne selon FT, dans l’entourage des deux hommes, n’en revient encore de l’incroyable violence des propos que Trump a balancés à Johnson, – car, bien entendu, c’est dans ce sens que le nucléaire s’est manifesté.

En cause : le choix de la construction des éléments essentiels du réseau G5 britannique confié à la société chinoise Huawei. La réaction de Trump a été une totale surprise, autant pour son administration que pour les Britanniques. Certes, l’annonce probable du choix britannique ne satisfaisait pas du tout la partie US, mais plusieurs échanges et situations avaient tendu à détendre l’atmosphère, dans tous les cas à engager une explication sinon une négociation.

• Dès l’annonce du choix probable des Britanniques, le vice-président Pense déclarait que l’administration Trump avait « très clairement » fait part de sa déception aux Britanniques.

• Dernièrement, le secrétaire d’État est passé à Londres et a vu Johnson pour tenter de la faire changer d’avis, sans succès. Pompeo prit tout de même soin et tout sourire, après cette rencontre, de ne pas trop dramatiser ce désaccord (« Les amis ne sont pas toujours d’accord sur tout »).

• ZeroHedge.com : « En privé, les Britanniques s'irritaient des exigences des États-Unis, d'autant plus que ces derniers n'avaient pas de produit supérieur à proposer pour remplacer Huawei.
» Sentant cela, le ministre de la justice US William Barr était allé jusqu'à suggérer que les États-Unis prennent des participations dans Ericsson et Nokia, les deux géants scandinaves des télécommunications, pour permettre aux États-Unis d'avoir quelque chose à offrir à leurs alliés au lieu de leur demander simplement de se passer des équipements de télécommunications de pointe de Huawei pour leurs déploiements 5G. »

• Même si le côté US avait l’impression d’avoir fortement fait savoir sa préoccupation, au contraire du côté britannique qui jugeait que la chose n’était pas essentielle pour Washington, personne, des deux côtés, ne s’attendait à l’extraordinaire comportement de Trump au téléphone. Pour les membres de l’administration Trump, la position officielle US s’était adoucie, avec l’autorisation de vente par Washington de certains éléments de Huawei. L’entourage de Trump ignorait que le président jugeait toujours « très dangereuse » pour la sécurité nationale des USA la société chinoise ; il ne réalisait pas, surtout, combien ce président-là qui devrait être avec nous pour quatre années de plus, ne supporte pas qu’on passe outre à ses recommandations et préfèrent les vassaux aux alliés, même “very special”. 

Ainsi l’appel de Trump à Johnston a-t-il pris tout le monde de court...

« Au cours d'un appel téléphonique tenu la semaine dernière peu après la publication de la décision de Johnson, un assistant a déclaré que Trump était dans une “rage apoplectique” et qu’il avait stupéfié Johnson en utilisant un langage qui, de la même façon, a laissé beaucoup de gens au courant de cette communication complètement abasourdis.
» Un deuxième fonctionnaire a confirmé que l'appel Trump-Johnson était “très difficile”. Les fonctionnaires britanniques ayant eu connaissance de l'échange ont déclaré avoir été stupéfaits par la force du langage du président envers M. Johnson. 
» Downing Street, le département d'État américain, le Conseil national de sécurité américain et la Maison Blanche ont refusé de commenter l’appel. La Maison Blanche n’a publié qu’un bref communique (“...Les deux dirigeants ont discuté de questions régionales et bilatérales cruciales, notamment la sécurité des télécommunications”). Celui de Downing Street a laissé entrevoir des tensions : “Le premier ministre a souligné l'importance pour des pays partageant les mêmes idées de travailler ensemble pour diversifier le marché et briser la domination d'un petit nombre d'entreprises.” »

L’épisode est certainement caractéristique de Trump, mais il est peut-être également caractéristiques de l’orientation politique d’un Royaume-Uni libéré (c’est bien le mot) des contraintes de l’UE. Bien entendu, il n’est pas question ici de rupture avec les USA, et l’on s’est aussitôt empressé, à partir des confidences des “sources officielles” habituelles côté US et côté UK, de nous préciser, la bouche en cœur, que tout cela n’entrave en rien la bonne marche des négociations pour un accord de libre-échange USA-UK, – à moins, té, d’un coup de gueule de Trump au moment de signer l’accord, du type, – “Vous laissez tomber Huawei ou bien je ne signe pas”...

... Il n’est pas question de rupture, certes, mais il est question d’appréhender l’extrême difficulté de conserver des relations (les “spéciales”, celles de UK avec USA) qui mariaient un minimum de considération tendant à entretenir l’illusion d’une égalité de traitement de chacun des deux pays pour l’autre, avec une politique britannique parée du manteau de l’indépendance et pour autant totalement orientée vers les intérêts US et soumise aux inflexions washingtoniennes. Trump n’est pas homme à jouer ce jeu subtil et il n’est pas sûr que Johnson soit prêt à accepter la brutalité du président US. La cause de l’accrochage, – la société Huawei avec son 5G, c’est-à-dire une entité chinoise, – suggère qu’il y a d’autres pistes que le sentier de la guerre-sans-fin des USA.

C’est un peu, c’est certainement dans le même sens qu’il faut accueillir l’annonce que le Royaume-Uni a  décidé de lever (effectif en 2021) certaines sanctions contre la Russie, instituées par l’UE pour tous ses membres. Certains y verront une sorte de bras d’honneur fait à la bureaucratie de l’UE, bien que les Britanniques aient été parmi les plus ardents partisans de ces sanctions, – mais ils savent manœuvrer rapidement, excellents marins qu’ils sont. Quant à nous, nous y verrions également, – et pourquoi pas “d’abord”, comme vont le penser certains fonctionnaires US ? – un autre bras d’honneur indirect mais bien dressé, à l’intention des USA cette fois, qui sont derrière toutes les sanctions-manigances antirusses.

En vérité, le Royaume-Uni ne pense que secondairement à tout cela. Simplement, il considère que la Russie (comme la Chine, of course) peut être un partenaire économique important et il agit en conséquence, sans s’embarrasser de la lourdeur bureaucratico-idéologique de l’UE ni de la démence de “D.C.-la-folle”. Il n’empêche que le résultat, pour les puristes et les maîtres en diabolisation, vaut le détour, – surtout lorsqu’on se rappelle combien les Britanniques furent les premiers à souffler sur la flamme vertueuse de la diabolisation de la Russie.

Qu’importent les morales diverses et si fluctuantes de toutes ces contorsions de toutes ces contradictions. Il reste que le Royaume-Uni tout de neuf “brexité”, plus “perfide-Albion” que jamais, agit dans le sens de ses intérêts, – “Right or wrong, my country”. Il se trouve que “le sens de ses intérêts” peut aisément avoir une forte connotation antiSystème au sein du bloc-BAO, passant, l’ironie en sus, par des relations de nouvelle facture, devenues acceptables, avec Pékin et Moscou (et demain, avec Téhéran ?).

 

Mis en ligne le 8 février 2020 à 15H35