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11048• Les conséquences immenses de ‘Ukrisis’, venant après l’immense dépression paranoïaque ressemblant paradoxalement plus à un épisode maniaque du Covid19, – lequel a tant disparu qu’on se demande s’il existât jamais malgré ses millions de morts, comme si nous dévorions les crises les unes après les autres autant qu’elles nous dévorent nous-mêmes..., – ces conséquences montrent une sorte de rébellion des pays que nous rassemblons temporairement sous le sigle de “Sud-Profond”, une sémantique beaucoup plus symbolique que géographique... • Quelques signes et exemples, – l’Inde, le Mexique, l’Iran, l’Afrique, l’Arabie, et même la Serbie en Europe (on voit que ce “Sud”-là est vaste), bien sûr autour de l’axes Xi-Poutine. • ‘Ukrisis’ n’est pas pour eux une source de préoccupation ou de regroupement solidaire contre l’“agression” contre un ordre international dont se fichent bien ceux qui dénoncent cette agression. • Face à l’Ouest, au bloc-BAO extraordinairement aveugle et arrogant, monte une exaspération qui d’ores et déjà produit ses effets : comme une marée au galop...
16 mars 2022 (04H55) – Dans une brillante vidéo (sur ‘Antiwar.com’ le 4 mars 2022) faisant dialoguer les non moins brillants John Mearsheimer et Ray McGovern qui sont deux des meilleurs parmi les commentateurs stratégiques “dissidents”, le second observe (autour de 49’45”), presque d’une façon impromptue et en élaborant fort peu, comme si l’aspect symbolique disait tout .
« Maintenant, on voit que la Chine soutient Poutine, ce qui a surpris non seulement les experts russes mais même les experts chinois, du fait [que dans l’affaire ukrainienne] était violé le principe cardinal de la politique étrangère chinoise de la non-intervention dans les affaires intérieures d’un autre pays. Eh bien, il s’avère qu’il y a la rhétorique d’une part, l’action politique elle-même d’autre part ; la Chine a changé d’avis pour cette dernière... Mais non seulement la Chine, l’Inde également !... Alors je me suis posé la question : quelle différence y a-t-il entre l’Ouest et les USA d’une part, et l’Inde et la Chine de l’autre ? Eh bien, il y a une différence évidente : d’un côté, il n’y a que des Blancs, de l’autre que des non-Blancs... »
• Justement, voyons notre commentateur indien favori, M.K. Bhadrakumar, sagesse exemplaire, perdre un peu de son calme à plusieurs reprises. Nous mettions en exergue, dans son texte du 28 février 2022, ce passage :
« Les journalistes occidentaux ont soutenu avec passion que ces réfugiés ne sont pas comme ces sous-hommes des pays musulmans qui frappent aux portes de l'Europe pour demander l'asile, mais que ces réfugiés ukrainiens sont des chrétiens, – et cela aussi, avec des cheveux blonds et des yeux clairs ! [...]
» Pas un seul pays musulman n’a exprimé son soutien à Washington dans sa confrontation avec la Russie. Bien qu'ils soient parties prenantes d'une troisième guerre mondiale, ils préfèrent ne pas y penser. Le fond du problème est qu’ils pensent qu’il s’agit d’une nouvelle croisade des pays chrétiens, – sous couvert de valeurs et d'un “ordre fondé sur des règles” – de la sorte qu’ils connaissent bien. Ils voient que les pays occidentaux sont de retour avec leurs guerres bestiales endémiques de l’histoire européenne à travers les siècles. »
Puis, le lendemain 1er mars 2022, colère plus grande encore, dans un texte qui n’était fait que d’emprunts à divers médias occidentaux (BBC, CBS, Al Jazeera [« pas vraiment occidental, mais aligné »], BFM TV deux fois, ‘Daily Telegraph’, ITV [UK], NBC). Le titre et le sous-titre de l’article suffisent :
« Nous sommes des Européens, des chrétiens, des Blancs !
» Couverture raciste de l'Ukraine dans les grands médias occidentaux. Remarquez les connotations racistes. »
• Passons au Mexique qu’on a déjà rencontré dans cette vasque fresque le 2 mars 2022, cette fois avec une lettre qu’il a pris soin d’écrire lui-même, du président du président Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) adressée le 10 mars au Parlement Européen après son vote d’une motion condamnant son pays pour son action supposée et affirmée contre des journalistes. La lettre est écrite dans des termes particulièrement violents, qui expriment cette même colère que celle que nous signalons de la part de Bhadrakumar et qui ne manquent pas de dire quelques mots tranchés sur ‘Ukrisis’.
« “Sachez, Membres du Parlement européen, que le Mexique n'est plus une terre de conquête”, indique la lettre publiée jeudi par le gouvernement mexicain, en référence au passé colonial du pays. Cette déclaration, qui compare les députés européens à des “moutons”, a rejeté les critiques de l’UE sur le bilan du pays d'Amérique centrale en matière de droits de l'homme.
» “Personne ici n’est opprimé, la liberté d’expression et le travail des journalistes sont respectés. L’État ne viole pas les droits de l’homme, comme l’a fait le gouvernement précédent, lorsque vous, d'ailleurs, vous étiez restés silencieux."
» Le Mexique a justifié sa position sur l’attaque russe en Ukraine. “Le Mexique est un pays pacifiste qui a fait le choix de la non-violence, et nous sommes en faveur du dialogue, pas de la guerre ; nous n'envoyons d'armes à aucun pays, en aucune circonstance, comme vous le faites actuellement”. [...][...L]e président Lopez Obrador avait annoncé au début du mois que le Mexique n’imposerait pas de sanctions à la Russie et n'enverrait pas d'armes à l’Ukraine.
» Lopez Obrador a déclaré aux médias mexicains qu'il avait écrit la lettre lui-même, accusant le Parlement européen de “calomnie”. »
• Il y a aussi l’activisme soudain de l’Iran, avec plusieurs frappes à Erbil et en Irak, extrêmement précises et efficaces. E.J. Magnier et le Jerusalem ‘Post’ notamment, développent des commentaires sur ces attaques, certaines concernant des intérêts américanistes, sans riposte de Washington jusqu’ici. Un poste de commandement et de coordination du Mossad israélien a également été durement touché.
Les deux commentaires s’attachent longuement aux causes et aux circonstances de ces attaques, que l’Iran a lancé comme des “messages” d’avertissement, ignorant volontairement les effets négatifs qu’elles pourraient ou auraient pu avoir sur les négociations finales du JCPOA. Le plus intéressant, spécifiquement pour notre propos, est qu’on peut apprécier les actions iraniennes directement en fonction et en parallèle dans la stratégie de l’action de la Russie en Ukraine, selon une thèse développée par le quotidien de Jerusalem.
Il faut, dans cette logique, l’apprécier comme un acte d’émancipation agressive de l’Iran contre ses adversaires occidentaux ou occidentalisés du théâtre (malgré la position particulière et paradoxale d’Israël, ici adversaire de l’Iran, et là proche de la Russie dans le cas de l’Ukraine) ; en élargissant le propos à l’analyse que nous développons, l’“émancipation agressive”, défi lancé à l’hégémonie du bloc-BAO, s’inscrit dans l’affirmation des pays du Grand Sud, – ou disons “Sud-Profond” en référence doublement ironique à “l’État profond” (et à la Guerre de Sécession !), avec la géographie (Sud) prise symboliquent mais permettant d’éviter les expressions classiques du type “non-engagés”, “non-alignés”, qui sont beaucoup trop passives pour notre propos... L’attitude iranienne selon le JP est tout ce qu’on veut sauf passive !
« L’attaque de l’Iran contre Erbil à l’aide d’une douzaine de gros missiles balistiques constitue une escalade majeure. Les missiles visent des zones clef, comme le nouveau consulat américain en cours de construction. Ils sont un message que l’Iran peut faire beaucoup plus de dégâts.[...]
Mais l’Iran se tourne également vers la Russie pour en tirer des leçons sur la manière d’engager l’Occident. L’Iran apprend que la Russie a utilisé une invasion pour démontrer qu'il existe une impunité internationale au bellicisme et aux attaques. [...]
» Tout cela est lié. L’argument selon lequel l’OTAN est responsable d’avoir poussé l'expansion au début des années 2000, ce qui a provoqué la Russie à attaquer l'Ukraine ; et qu’Israël est en quelque sorte nuisible à la politique étrangère américaine en raison de la confrontation avec l'Iran ; et même l'argument selon lequel l’Iran peut apporter la stabilité au Moyen-Orient, qui est lié à l’idée que la Russie est provoquée, montre comment l’Iran espère réaliser en Irak ce que la Russie fait en Ukraine.
» En bref, l’Iran compte sur le fait que les États-Unis ont “peur de la guerre” et que les voix américaines blâment d’abord l’Amérique. L'Iran veut transformer l'Irak en un “étranger proche” et y inscrire également la Syrie, le Liban et le Yémen.
» La Russie veut ramener l'Ukraine dans son “étranger proche” et compte sur les isolationnistes américains, l’extrême gauche, l’extrême droite et les “réalistes” de l’Occident pour accepter les “besoins de sécurité” de la Russie. L’Iran veut prendre en marche le train russe autant qu’il le peut. »
• On rappelle ces événements vus ces derniers jours, qu’il s’agisse de l’attitude de l’Arabie Saoudite (et des EAU, dont le ministre des affaires étrangères est venu avant-hier rencontrer Lavrov à Moscou), et des coups de téléphone de Biden refusés ces derniers jours d’une façon particulièrement abrupte ; et l’on rappelle également, dans un texte d’hier, l’attitude de ce “révolutionnaire“ panafricaniste Séba par rapport à ‘Ukrisis’, avec ces affirmations particulièrement remarquables, dites précisément en fonction de l’attitude de la Russie :
« [F]ace au “globalisme” défendu selon lui par les pays occidentaux, un nouveau courant est apparu, celui “du souverainisme traditionaliste” qui serait dans une logique de “solidarisme des peuples”... [...] “Nous nous sentons près et proches de toute entité qui s'inscrit dans la logique de résister pour son identité”, poursuit-il, comparant le panafricanisme à une “idéologie révolutionnaire”. [...]
» “Si la Russie gagne cette guerre, [cette réalité] peut prendre encore plus de valeur et d'ampleur [et] c'est ce que nous, nous faisons sur le continent africain [...] dans la résistance contre le colonialisme, l'impérialisme sur toutes ses formes et si la Russie réussit cela, elle pourra en être une garante parmi d’autres”... »
• D’une façon différente, mais avec un effet similaire de déconstruction du système général occidental, il y a l’annonce hier sur l’Arabie à nouveau, s’engageant dans une démarche de déni destructeur d’une des pierres angulaires de ce système, – le pétrodollar. Ce ne sont pas de seules questions financières qui guident MbS, mais pour une bonne part non négligeable de ce que Bhadrakumar nomme, comme on va le voir, “la guerre sainte contre l’Occident”.
« Un jour après avoir rapporté que “le Royaume-Uni demande plus de pétrole aux Saoudiens alors même que MBS invite Xi Jinping à Riyad pour renforcer les liens”, le WSJ publie un rapport retentissant, indiquant que “l’Arabie saoudite est en pourparlers actifs avec Pékin pour fixer le prix d'une partie de ses ventes de pétrole à la Chine en yuan“. Une telle démarche pourrait non seulement ébranler la domination du pétrodollar sur le marché mondial du pétrole - ce que Zoltan Pozsar avait prédit dans sa dernière note - et marquer une nouvelle réorientation du premier exportateur mondial de brut vers l'Asie, mais aussi viser directement le cœur du système financier américain qui a profité du statut de réserve du dollar en imprimant autant de dollars que nécessaire pour financer les dépenses publiques au cours de la dernière décennie. »
Pour terminer cette revue de différentes circonstances que nous rassemblons pour étayer notre analyse, nous revenons à Bhadrakumar, à un propos qui semble rompre avec ces références des pays “Sud-Profond”. Ce n’est qu’une apparence géographique évoquée symboliquement et effectivement en profondeur, que l’on réconcilie avec le reste en proposant cette évidence que par “Sud-Profond”, “pays du Sud”, “non-Blancs” hostiles aux “Blancs”, nous entendons en fait antiSystème par rapport à un Système qui se déploie actuellement d’une façon absolument unitaire et irrésistible, et absolument aveuglément, sur l’ensemble d’un bloc-BAO (américaniste-occidentaliste) complètement recomposé par l’hystérie belliciste & humanitariste tout ensemble et chaque part très serrée contre les autres, par le simulacre à la fois paroxystique & cathartique du concept de type-vaudou en mode incantatoire d’appartenance au ‘Camp du Bien’. On ne raisonne pas une telle folle marée, on la regarde déferler à peu près à la vitesse du galop du fameux cheval au pied du fameux Mont Saint-Michel. Il n’empêche qu’il se trouve que les autres, ceux qui ne sont pas de cette folie, montrent désormais qu’ils en ont assez alors qu’en d’autres circonstances, ils avaient tendance à laisser faire selon ce qu’ils jugeaient être leur impuissance soumise.
Aussi Bhadrakumar observe-t-il que, pour n’être ni Africains ni de peau sombre, les Serbes, en bons Slaves, sont, avec les Biélorusses, les seuls Européens à se trouver du côté des Russes, exaspérés par les rodomontades haineuses et geignardes qui jaillissent sans cesse des restes aux abois de cette triste civilisation en décomposition. Par conséquent, ils sont du côté de ceux qui, peaux plus ou moins sombres, se reconnaissent au moins dans la stature et les convictions culturelles, voire traditionnalistes et certainement identitaires, des Russes. Ce n’est rien d’autre, comme l’exprime si justement Séba, que du « souverainisme traditionaliste » ; et tous, ils sont évidemment conduits à déterminer leur position vis-à-vis de l’‘Ukrisis’ en fonction de ces jugements catégoriques.
C’est la raison pour laquelle, terminant sur le cas des Serbes qui n’ont pas oublié les interminables et cruels autant qu’illégaux bombardements sur Belgrade de 1999, l’Indien Bhadrakumar présente (ce 14 mars 2022) la notion de « guerre sainte contre l’Occident » pour déterminer et identifier l’espèce de bataille profondément complexe, asymétrique ou hybride, traversée par le “brouillard de la guerre” et le “brouillage de la communication”.
« Le fait que les Serbes des Balkans se rallient à la lutte pour la Russie en dit long. Le démembrement de la Yougoslavie par l'OTAN en 1999 est encore un souvenir vivace. N'est-ce pas pour cette raison que les Serbes sont venus se battre dans le Donbass en 2014-2015 ? L'Occident entretien une terrible illusion en imaginant que Poutine opère dans un vide politique. La politique de Poutine est toujours tributaire du soutien dont il bénéficie de la part du peuple russe. Si l'histoire est un guide, le peuple russe s’adaptera à la “nouvelle normalité” dans la vie de tous les jours.
» Pour les peuples slaves dans leur ensemble, ce qui se passe a des allures de “guerre sainte” contre l'Occident. Et les guerres saintes n'ont pas de calendrier. Elles sont aussi sans rupture. À Belgrade, des milliers de personnes se sont rassemblées pour soutenir la Russie, en scandant "Les Serbes sont avec les Russes !". Ils ont brandi le drapeau russe tsariste, ainsi que celui de la Serbie.
» Le président serbe Aleksandar Vucic a récemment déclaré qu'"environ quatre-vingt-cinq pour cent des gens seront toujours du côté de la Russie, quoi qu'il arrive. Ce sont les faits auxquels je suis confronté en tant que président du pays".
» Bien sûr, les volontaires des Balkans finiront par rentrer chez eux en tant que vétérans de guerre. Le nationalisme serbe peut saper l'indépendance du Kosovo et d'autres États des Balkans occidentaux et de nouveaux champs de bataille peuvent apparaître en Europe.
» En l'état actuel des choses, la Bosnie-Herzégovine doit faire face aux conséquences du manque de clairvoyance stratégique qui a présidé aux accords de Dayton, l'accord qui a donné naissance à la présidence tripartite du pays entre les Serbes de Bosnie orthodoxes, les Bosniaques musulmans et les Croates catholiques. En outre, un certain nombre de revendications de sphères d'influence se chevauchent dans les Balkans occidentaux.
» Mercredi, le président serbe Vucic a une nouvelle fois prévenu que les hostilités en Ukraine avaient un impact dramatique sur son pays. Avec le Belarus, la Serbie est le seul pays d'Europe à refuser d'imposer des sanctions à la Russie, alors que l'on attend d'elle, en tant que pays candidat à l'adhésion à l'UE, qu'elle aligne sa politique étrangère sur celle de l'Union. »
Avant-hier, dans le texte déjà cité, avec cette notion de « souverainisme traditionaliste » de l’Africain Sébar, nous annoncions cette analyse d’aujourd’hui sur la courant qui se formait et s’affirmait clairement contre les prétentions hégémoniques d’une civilisation en cours de désintégration, et qui se débat fort brutalement à cet égard. Nous parlons bien, à cet égard, non de la guerre de l’Ukraine mais de la brutalité terrifiante du bloc-BAO/de la civilisation en cours de désintégration, bien plus brutale que la seule guerre en Ukraine mais exposée par elle...
« Quand quelque chose s’achève, ce qui est en train de s’achever devient très violent. En polémologie, on nous a appris que les combats d’arrière-garde étaient les plus sanglants. On pressent qu’on a perdu la bataille, donc on tue », dit Michel Maffesoli dans une vidéo du 1er février 2022.
C’est donc ainsi que nous entendions présenter l’‘Ukrisis’, hors de son contexte de conflit dont toutes les manœuvres du bloc-BAO ont conduit à ce qu’il ait inévitablement lieu (identification de la responsabilité), et qui concerne ces acteurs du “Sud-Profond” dans toutes les dimensions qu’on s’emploie vainement, aujourd’hui, à occulter, y compris celle du Système-antiSystème, et finalement absolument métahistorique... Cela était dit de cette façon :
« L’important dans cette occurrence et selon ce jugement de Séba, c’est que notre ‘Ukrisis’ est sortie de son contexte pseudo-géopolitique (expansionnisme russe) ; de son axe Est-Ouest façon Guerre Froide recommencée ; de son simulacre idéologique peinturlurée de l’arc-en-ciel de nos vertus ; de sa latitude moralinesque dont le champ matriciel est le bloc-BAO dans sa situation transatlantique, croisière de luxe du type “anglosphère” exsudant le suprémacisme anglo-saxon. La ‘Ukrisis’ devient absolument un événement de son temps catastrophique, un événement pas si fou de ces temps-devenus-fous, se révoltant contre cette folie, exprimant complètement la Grande Crise.
» Or, il se trouve que Séba n’est pas un isolé, dans le sentiment qu’il exprime. On retrouve ici et là et de plus en plus, du Mexique à l’Inde, de la Chine à l’Iran, cette sorte de jugement sur ‘Ukrisis’, absolument remise dans son contexte métahistorique. Il est très intéressant de constater que ce courant, – dont on pourrait juger qu’il s’est exprimé, si les décomptes sont faits pour ce qu’ils sont et ce qu’ils disent, lors du vote de l’Assemblée Générale de l’ONU – ne faiblit pas sous les coups de l’extraordinaire offensive de communication du bloc, et des pressions qui vont avec, mais qu’au contraire il grandit selon ma perception et s’affirme tel qu’on peut le percevoir.
» C’est de loin l’aspect de l’événement le plus intéressant, le plus formidablement puissant potentiellement, parce qu’il est à la fois force et forme, qu’il n’est en rien une création de la communication comme instrument de torture postmoderne, en rien un simulacre. [...] [L’O]n reviendra très vite dans ces colonnes de notre site sur cet aspect de la chose, que l’on s’attachera à présenter de façon à la fois plus précise et plus conceptuelle. Car c’est bien là que nous est donnée l’occasion de sortir de la caverne de Platon. »
Ce que nous voulons exprimer d’une façon “plus précise et plus conceptuelle”, c’est que l’occasion de la violence de l’‘Ukrisis’ fait qu’est en train de se former, au nom de la dénonciation d’une violence infiniment plus grande du bloc-BAO, une nébuleuse franchement antiSystème, s’opposant au simulacre de civilisation qui s’éteint, – la civilisation de la modernité réduite au simulacre de son ombre qui se dissipe avec elle-même. « Ainsi est-ce que j’appelle la postmodernité, actant la fin de la modernité », explique Maffesoli.
Il est heureux que l’Indien Bhadrakumar ait évoqué ce “concept” général que nous identifions à notre tour, sous la forme d’une “guerre sainte”, bien plus métahistorique que religieuse, et qu’il l’ait évoqué à l’occasion du cas de la Serbie, une nation franchement européenne et chrétienne, pour éviter que la réduction aux autres acteurs nous fasse tomber dans le piège de la récupération par le Système des seules idéologies anticolonialiste (comme il est heureux que Séba ait largement dépassé ce concept à double tiroir [l’anticolonialisme] par celui, novateur et bien plus large, et déjoueur des pièges de récupération du système, de « souverainisme traditionaliste »).
D’autre part, il est heureux de voir que les théories diverses, – wokenisme, indigénisme, le tout prêt-à-porter antiraciste de nos salons Rive-Gauche, – totalement corrompues et perverties lorsqu’elles s’exercent chez nous, avec tous leurs leaders et représentants institutionnels diversement colorés et parfaitement intégrés au Système dans le rayon corruption et promotion, – que ces théories stupidement subversives parce que complices du Système deviennent un remarquable outil de l’antiSystème lorsque Bhadrakumar s’en empare. Du coup, effectivement, les épouvantables malheurs des Ukrainiens qui éveillent chez nous des tonnes de compassion nous rappellent ceux des Irakiens, des Libyens, des Afghans et des autres, lorsqu’ils étaient chez eux et que nous vînmes chez eux les apprivoiser à coup de bombes sophistiquées (celle dont l’armée russe manque paraît-il, puisqu’armée de “pieds-nickelés” selon nos stratèges de plateaux si “rock’n’roll”).
Ces raccourcis ont l’air moqueur mais ils soulignent allègrement un grand tournant. Tous ces pays du “Sud-Profond” qui d’habitude, par manque de moyens et d’esprits d’à-propos ne montraient qu’impuissance, se retrouvent de plus en plus resserrés autour de l’axe Russie(Serbie)-Chine et exposent ainsi toute l’infamie du Système. Certains de leurs leaders, – AMLO, Séba, l’axe Xi-Poutine, même MbS dans ce cas devenu pertinent, – nous paraissent mieux armés (c’est une image) pour affronter les réalités de la Grande Crise que ‘Ukrisis’ découvre pour nous dans sa dimension totalitaire. C’est ainsi qu’apparaît brutalement une fracture capitale répondant aux règles essentielles, et non plus aux simulacres divers, qu’ils soient idéologiques ou transgenres. Il n’est pas assuré que tous ces acteurs considérés jusqu’alors comme secondaires et jusqu’ici cantonnés aux seconds rôles acceptent désormais de se contenter de ces ornements. Ils auront désormais leur mot à dire et ils le diront, – non, ils le disent et le clament désormais !
Après tout, et d’une façon bien inattendue dans cette tragédie qui n’oublie jamais d’être un peu bouffe, c’est l’ex-clown aux multiples facettes devenu président, Volodimir Zelenski, qui semble, dans une de ses facettes, comprendre mieux que personne la situation dont le bloc-BAO a accouché dans d’affreux geignements... Et peut-être s’avère-t-il être un grand homme lorsqu’il nous confie que « jamais l’Article 5 [l’OTAN] n’est apparu aussi faible », piètre Article 5 comme une baudruche déguisée en simulacre prenant eau de toutes parts :
« Le président ukrainien Volodimir Zelenski a condamné l’OTAN mardi, renforçant ses critiques de l’Alliance à la suite de l’assaut de la Russie, affirmant que le bloc militaire dirigé par les États-Unis n’est pas engagé envers la clause de défense collective de l’Article 5.
» S’exprimant dans une allocution vidéo, le dirigeant ukrainien a affirmé que l’article 5 de défense mutuelle n'a jamais paru “aussi faible qu’aujourd’hui”. Il a affirmé que l'OTAN ne parviendrait probablement pas à protéger ses propres membres en cas d’attaque d'un adversaire tel que la Russie. »
De ce côté des acteurs majeurs de cette tragédie-bouffe et sanglante qui se croient unis comme l’est une civilisation alors que s’éteint cette civilisation, c’est un grand événement qui honore la mémoire du réalisme stratégique et qui est pourtant aujourd’hui bien plus civilisationnel que stratégique. Ainsi de Gaulle, pour justifier sa force nucléaire stratégique et son retrait du commandement intégré de l’OTAN, confiait à qui voulait l’écouter et bien l’entendre quelque chose, dite sous forme d’hypothèse comme “Jamais l’Amérique [l’OTAN] ne risquera Chicago pour protéger Hambourg”. Formule rafraîchie et constat bien plus qu’hypothèse, cela donne : “Jamais l’Amérique ne risquera Washington [et le Pentagone] pour sauver Kiev [et Bruxelles]”.
Le bloc-BAO lui-même, en prétendant présenter une unité salvatrice, met au jour le désordre fractal de ses entrailles en processus de décomposition. Cela s'appelle la rupture du lien transatlantique, ou le tranchement brutal du nœud gordien. En d'autres termes, l'installation dans la phase finale de la Grande Crise d'Effondrement du Système.
Il faudra donc parler avec le président Poutine sous le regard entendu du “Sud-Profond”, et ce ne sera pas triste.
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