Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
4812• Faut-il y aller ou ne faut-il pas y aller ? • Tout ce que l’Amérique compte de faucons hystériques et mystiques maudit ce lien fatal que sa puissance nucléaire lui impose, face à une autre puissance nucléaire dont la capacité fait peur. • Après tout, tant pis ! Puisqu’on y est, allons-y, exhorte le super-neocon Robert Kagan, mari de Victoria Nuland. • Kagan va jusqu’à reconnaître, bien volontiers madame, que si les Russes sont en Ukraine, c’est à cause de la politique américanistotanienne. • Enfin ! L’Amérique a un destin, qu’il s’accomplisse. • On verra.
Nous le constations hier, il semble bien que l’Europe (l’UE mais aussi certains pays-membres en tant que tels) ait aujourd’hui “plus d’appétit” pour la guerre en Ukraine que les USA. Après tout, là où les USA n’ont pas osé envoyer leur président-sommeillant Joe Biden, lui préférant une visite pourtant très animée à Varsovie, l’Europe envoie ses éminences sans hésiter : une solide cohorte-UE (la présidente de la Commission van der Layen, le Haut-Représentant Borrell, un groupe de dirigeants de trois pays d’Europe de l’Est, le Premier ministre britannique, dans ce cas plus “européanisé” qu’accroché aux basques des USA, etc.). Cela conduisait notre réflexion sur cette voie d’accorder plus de force à la pression guerrière de l’UE qu’à celle des USA :
« ...Ce qui nous conduit à un autre constat : l’Ukraine est d’une certaine façon prioritairement une “préoccupation européenne” de l’UE. [...] Quel que soit le rôle des USA avec les conceptions brzezinskiennes qui est bien entendu évident avec les sympathiques manigances de Victoria Nuland depuis 2014, il y a une démarche spécifique de l’UE vis-à-vis de l’Ukraine, démarche évidemment expansionniste et annexionniste, antirusse, etc.
» ... En fait, une sorte de “politiqueSystème” gonflée aux stéroïdes, qui tend à aller plus loin et plus vite que les USA, par rapport au calendrier implicite, – mais certes, sans aucune récrimination des USA qui ne voient que ce que leur vision très cloisonnée leur permet de voir... »
Alors, que font les USA à cet égard ? Eh bien, ils sont en train de mesurer les entraves pour un engagement guerrier important que leur impose leur statut de superpuissance nucléaire, avec l’autre superpuissance nucléaire directement engagée. Il est également possible que les militaires US, – et spécifiquement au plus haut sommet, au Pentagone, et pas toujours dans les postes régionaux, – mâchonnent et réalisent le fait que la Russie (avec ses chefs militaires toujours aux “abonnés absents”) est devenue une “superpuissance nucléaire hypersonique”, avec en plus une défense antimissile très puissante (S-400 et S-500). Ceci et cela assurent à la Russie une certitude de frappe stratégique (contre les USA) très puissante et très rapide dans toutes les circonstances, que les USA n’ont plus aujourd’hui à cause de leur retard considérable (+/- 5 ans) dans l’hypersonique, et de leur faiblesse chronique dans l’antimissile.
Cette perception des militaires US, – si elle existe dans cette intensité opérationnelle, répétons-le, – n’est dans tous les cas pas partagée par le monde des “experts”, des parlementaires-boutefeux, de la presseSystème, etc., qui en restent à l’univers fabriqué du mensonge-simulacre, d’autant plus que la perception de l’avance hypersonique russe est totalement brouillée par les écarts furieux de la communication. Ce n’est pas aujourd’hui que la vérité-de-situationà cet égard sera redressée, à l’heure où tout ce qui est russe est méchant, mauvais et rétrograde. Le débat devient alors plus polémique, devant cet incroyable constat, vite fait par nombre d’observateurs, que c’est véritablement la puissance (nucléaire) des USA qui freine son intervention.
Le moment à cet égard est si intense que le débat prend des allures à la fois furieuses et paradoxalement génératrices d’arguments retrouvant cette vérité-de-situation que la communicationSystème exècre. C’est le cas avec cet extrait d’un article de Robert Kagan, neoconnotoire et mari de la non moins belliciste Victoria Nuland, architecte du coup d’État de Kiev de février 2014 ; l’article, dans ‘Foreign Affairs’ nous avise du “prix de l’hégémonie” (‘The Price of Hegemony’), la facture étant envoyée aux USA qui prétendent à cette hégémonie sous l’éclairée conduite du système de l’américanisme ; et Kagan précise, pulvérisant du même coup les partisans de l’explication manichéenne du diabolisme intégral des Russes et de la politique d’agression délibérée et sans aucune raison sinon le satanisme avéré du président de la Fédération de Russie :
« Bien qu'il soit obscène de blâmer les États-Unis pour l’attaque inhumaine de Poutine contre l'Ukraine, insister sur le fait que l'invasion n'a pas été provoquée est trompeur.
» Tout comme Pearl Harbor a été la conséquence des efforts déployés par les États-Unis pour freiner l'expansion japonaise sur le continent asiatique, et tout comme les attentats du 11 septembre ont été en partie une réponse à la présence dominante des États-Unis au Moyen-Orient après la première guerre du Golfe, les décisions russes ont été une réponse à l’expansion de l’hégémonie post-guerre froide des États-Unis et de leurs alliés en Europe. »
C’est le grinçant et sarcastique Matt Taibbi qui présente l’article de Kagan sous le titre évocateur comme une chanson des années soixante de « Give War a Chance », en même temps qu’il nous informe du débat en cours aux USA. Kagan utilise effectivement, comme l’indique Taibbi, l’argument tout droit sorti du ‘Dr. Strangelove’, de Kubrick. La situation du film présente une attaque nucléaire de l’URSS “par erreur”, le président du comité des chefs d’état-major (Général Turgidson, joué par George C. Scott et copie inspirée de Curtiss LeMay) suggérant d’“exploiter” l’“erreur” en renforçant l’attaque du dernier B-52 fonçant vers son objectif parce que coupé de toute communication de rappel, en lançant une frappe nucléaire massive, – puisqu’on y est !
Ainsi Kagan arrive-t-il au bout de son raisonnement parfaitement elliptique, donc “révolution” revenant à son point de départ, comme une folie s’imposant enfin comme le “nouveau normal” en se payant le luxe d’accepter comme tout à fait fondés les arguments de l’“ancien normal” type vérité-de-situation. C’est lui, Kagan, et toute la bande de neocondont sa chère épouse, inspirateurs et opérateurs des divers “regime change” comme celui de Kiev en plus des divers élargissements vers l’Est de l’OTAN, qui ont poussé la Russie à bout jusqu’à lui faire déclencher cette attaque de l’Ukraine. Et Kagan de poursuivre, fort logiquement : “Mais puisque nous y sommes, et même si ce n’est pas fondamentalement la faute de la Russie, alors il faut y aller !”...
Et cela est bâti sur l’ironique et suprême utopie : ainsi seront oubliées toutes les crises internes « existentielles » des États-Unis ; ainsi est-il implicite qu’on ne cherche nullement à dissimuler ces crises internes derrière la crise extérieure, mais qu’au contraire on les exalte presque et on les transcende en affirmant que leur résolution se trouve dans l’intervention suprême :
« De plus en plus, écrit Taibbi, on nous dit que la guerre totale n'est pas seulement nécessaire et juste, mais qu’elle est la solution aux problèmes existentiels de l'Amérique... »
Ainsi Taibbi cite Kagan comme nous l’avons fait plus haut, et décrit-il la logique presque rédemptrice du neocon redevenu soudain loyal avec l’histoire, après l’avoir détournée et entrainée dans le gouffre du simulacre noir.
« Kagan poursuit en avançant un argument tout droit sorti de ‘Dr Strangelove’. Au lieu de faire ce que certains critiques souhaitent et de se concentrer sur “l'amélioration du bien-être des Américains”, le gouvernement américain doit reconnaître comme il se doit la responsabilité qui découle de son statut de superpuissance. Ainsi, bien que l’invasion de l’Ukraine peut effectivement avoir été une conséquence prévisible d’une décision d’étendre notre portée hégémonique, maintenant que nous sommes là il ne reste qu’une seule option : l’engagement total !
» “Il est préférable pour les États-Unis de risquer la confrontation avec des puissances belligérantes lorsqu’elles en sont aux premiers stades de leur ambition et de leur expansion, et non après qu’elles aient déjà consolidé des gains substantiels. La Russie possède peut-être un arsenal nucléaire redoutable, mais le risque que Moscou l'utilise n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’aurait été en 2008 ou en 2014, si l’Occident était alors intervenu. Et il a toujours été extraordinairement faible.” »
Taibbi a pris Kagan comme exemple et nullement comme exception, comme on le comprend. Le débat “bouillonne” aux USA, autour de la question d’un engagement direct des USA, en Ukraine avec le constat souvent furieux que la puissance nucléaire devient un embarrassant facteur de freinage sinon d’interdiction d’agir. « L’ancien commandant de l’OTAN [le va-t-en-guerre général Breedlove] dit que les craintes occidentales d'une guerre nucléaire empêchent une réponse appropriée à Poutine », nous apprend Radio Free-Europe ; Sean Hannity, de FoxNews observe pour son compte que « les pays qui ont des armes nucléaires peuvent rester intimidés par la perspective de devoir les utiliser, et nous le voyons maintenant avec notre propre pays ». Les politiciens, volontiers faucons et fauteurs de guerre, sont également de la partie, comme le député républicain Adam Kinzinger, colonel dans la Garde Nationale de son État de l’Illinois, avec ce commentaire récent :
« Nombreux sont ceux qui disent que la Russie essaie de nous entraîner dans la guerre et que l’Amérique est presque “héroïque” dans sa retenue. Absurde. Si la Russie veut provoquer, elle le fera. Mais Poutine craint l'OTAN.
» C'est la première guerre où une alliance peut l’arrêter en quelques jours, mais craint un ennemi plus faible. » [...]
« Si nous laissons les armes nucléaires nous empêcher d’agir, alors attendez-vous littéralement à ce que chaque pays essaie d’obtenir des armes nucléaires dans les prochaines années. »
Ainsi Taibbi poursuit-il son commentaire, en rappelant des précédents fameux pour ce qui est de l’hystérie guerrière & collective, comme ce fut le cas après le 11-septembre. (Précédent justement rappelé par Kagan comme étant la conséquence de l’activité impériale & hégémonique des USA depuis la première guerre du Golfe.) Cette fois, l’enjeu est bien plus haut : alors que, dans le cas du 11-septembre, l’action aussitôt envisagée concernait des pays de faible puissance, évidemment sans crainte ni nécessité d’avoir à utiliser le nucléaire, cette fois c’est tout le contraire, – ce qui fait que l’hystérie se trouve confrontée à un tournant radical du destin, – celui des USA et éventuellement le nôtre.
« La plupart d’entre nous se remémorent le 11 septembre et regrettent que nous n'ayons pas essayé de réduire l’ampleur du problème, au lieu de l'étendre de manière grandiose et d’en faire un élément central de la vie de chaque personne sur la planète. On nous a tout de suite dit que le 11 septembre représentait bien plus qu’un problème de maintien de l'ordre, qu’au lieu de quelques fous qui passaient entre les mailles du filet, les attaques des tours jumelles par Ben Laden annonçaient une bataille finale inévitable et souhaitable entre le nouveau et l’ancien monde. Nous vivons actuellement quelque chose de similaire. L’excitation des commentateurs quant à l’affrontement final entre la “démocratie et l'autocratie” qui est peut-être à portée de main me rappelle exactement les prières réclamant les signes de l’Apocalypse que j'ai entendues un jour parmi les fidèles du pasteur des Derniers Jours, John Hagee, à San Antonio. »
On notera alors la correspondance de l’analogie choisie par Taibbi, concernant les Derniers Temps et l’Apocalypse réclamés dans l’hystérie religieuse, avec l’argument de Kagan employant la même imagerie d’aller chercher dans l’aventure extérieure, messianique et révélatrice d’un destin supérieur, accordée à la puissance nucléaire dont on sait la perception métaphysique de Fin des Temps qui en est faite, – tout cela, pour étouffer, enterrer, réduire en cendres si l’on veut une expression proche, les troubles et les déchirements qui affectent l’Amérique. On comprend de quelle humeur il s’agit, là aussi avec une potentielle dimension tragique extrême, et la bouffonnerie de tous ces arguments et ces croyances diverses parfaitement à mesure...
“Tragédie-bouffe”, toujours elle, l’Amérique semble vraiment ne vouloir rater aucun de ses rendez-vous avec le destin qu’elle a prétendu dès son origine être tracé par Dieu. Même le Kagan, au fond de lui, doit croire à cela... Comme y croyait, de manière prémonitoire, le jeune Abe, en 1839 dans son Illinois natal, avant d’entreprendre soin long chemin qui ferait de lui le grand héros des États-Unis rassemblés par le fer et par le feu, et le premier authentique dictateur-démocratique de l’histoire moderne (Lincoln fut un véritable dictateur durant les années de Guerre de Sécession, soit au deuxième mois de son premier mandat, jusqu’à son assassinat, au deuxième mois de son second mandat et six jours après que le général Grant ait reçu dans l’estime retrouvée la reddition du général Lee à Appomatox).
« Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant. » (Abraham Lincoln, 1839)
On ignore s’il faut craindre cette sorte de bouillie ou diarrhée mystique de l’Amérique devant Ukrisis, – difficile d’identifier exactement le dysfonctionnement, – mais nous dirions qu’elle est de toutes les façons inévitable, nous confirmant l’extraordinaire amplitude de cette crise et l’implication désormais de la GrandeCrise elle-même. Ainsi le sort n’en est-il nullement jeté, et l’importance apocalyptique de ce débat aux États-Unis n’est-il que l’indication quantitative de la chose ; mais à partir de là et de cela, tout peut arriver, autant une intervention catastrophique des USA, qu’une accélération catastrophique de la crise interne aux États-Unis.
Mis en ligne le 13 avril 2022 à 20H15