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1383La particularité de cette élection est qu’à côté du torrent de dialectique sur l’espérance, la tolérance et la renaissance de l’Amérique, on trouve en contrepoint un domaine non moins vigoureux de critique de la chose. L’occasion faisant le larron, l’élection présidentielle permet de découvrir, pour ceux qui ne les connaissent pas, quelques commentateurs à la dent dure du système de l’américanisme. Nous avions la faiblesse de ne pas connaître John R. MacArthur, propriétaire et éditeur de Harper’s Magazine. Une conseillère discrète autant qu’attentive nous l’a fait découvrir.
De père US et de mère très française, une jeunesse à Chicago où il apprit à connaître “la très, très grande brutalité” de la vie politique locale, un parler français sans une ride et avec juste la pointe d’accent qu’il faut, MacArthur est un analyste impitoyable du système de l’américanisme. Son dernier livre, La caste américaine, sort en France. Vous pouvez entendre MacArthur notamment sur France 24 le 31 octobre et sur la RTBF belge le 3 novembre, dans l’émission Face à l’info. (Nettement meilleur sur la RTBF, où le journaliste qui l’interroge ne passe pas son temps, comme les présentateurs TV, à l’interrompre avec une nouvelle question interdisant d'entendre la réponse à la précédente.)
MacArthur est notamment éclairant sur le compte de Barack Obama, qu’il situe exactement dans la position et selon le comportement qu’on devrait connaître pour avoir une bonne mesure du nouveau président des USA: un homme du système, qui a grandi dans le sérail et a suivi les voies normales de “la caste américaine”. Rien pour nous étonner, d’ailleurs, car cette voie-là est la seule disponible. Il est étrange de comparer les exclamations européennes et surtout parisiennes à l’occasion d’élections comme celle d’Obama, exclamations du type Labro/Ockhrent (“le seul pays au monde où n’importe qui peut devenir président!”), avec les affirmations comme allant de soi de MacArthur («...comment le système est absolument fermé au citoyen ordinaire; le grand problème chez nous, c’est que si on veut se présenter aux urnes, c’est quasiment impossible sans le soutien d’un des deux partis officiels, ou alors il faut avoir beaucoup, beaucoup d’argent…»)
De la presse US, il dit qu’elle manque de courage et d’intelligence. Cela, aussi, détonne dans nos salons. Ses descriptions de la presse de son pays sont effectivement marquées par la référence récurrente au système soviétique, comme une sorte de “modèle”. Deux exemples iront bien pour notre propos.
D’une interview sur Democracy Now!, le 13 février 2007, ces observations sur le New York Times:
«I always read the New York Times the way Sovietologists used to read Izvestia, the government newspaper, and I half-kiddingly always ask the question: is the New York Times playing the role of Izvestia or the role of Pravda, which was the party newspaper? The New York Times owes its success, its long-term success, economic and otherwise, to being close to the government, to being sort of the semiofficial government newspaper and giving the administration line to the public fairly unfiltered.»
D’un courrier qu’il adresse au Monde Diplomatique, à la suite de la lecture d’un Manière de voir (“Demain, l’Amérique”), courrier publié dans le numéro d’octobre 2008 du mensuel français:
«Lire Noam Chomsky, Daniel Lazare, Barbara Ehrenreich et Mike Davis dans un journal français souligne a contrario la pauvreté du débat politique aux Etats-Unis, car leurs voix ne sont pratiquement jamais entendues par le grand public. Barbara Ehrenreich, auteure d’un best-seller sur l’exploitation au travail, fait exception, mais il a fallu qu’elle travaille incognito dans des endroits comme Wal-Mart pour que sa célèbre enquête acquière une vaste notoriété. Parfois, ces analyses de “plumes” américaines publiées en France rappellent le sentiment de ceux qui lisaient il y a trente ans des samizdats polonais et tchèques dans le New York Review of Books.»
Si l’on signale ici MacArthur, c’est aussi, à côté de ses affirmations, ses jugements, etc., qui sont évidemment intéressants, pour la situation sociale et psychologique qu’il nous décrit par lui-même, par le fait d’être et de parler comme il fait. Voici l’éditeur d’un magazine aussi prestigieux dans l’univers américaniste que Harper’s, avec une carrière importante de journaliste dans une presse installée (New Yorker,UPI, etc.), qui aligne ces vérités accablantes pour le système avec un aplomb et un naturel confondants. Il vient à l’esprit aussitôt qu’un esprit critique aiguisé (de son propre constat, MacArthur doit beaucoup à l’éducation de sa mère, qui lui a inculqué l’esprit critique français) permet aisément d'identifier et d’observer la nudité du roi.
Par contraste, l’enfermement général dans une pensée standard des mêmes milieux journalistiques US, aussi bien que les considérations majoritaires des milieux intellectuels et de la communication en Europe, apparaissent comme un phénomène singulier. Bien plus qu’à la duplicité, ce phénomène nous renvoie à des déformations de la psychologie (l’inculpabilité US, par exemple) et à une fascination du jugement qui fait préférer l’“image” idyllique de l’Amérique à la réalité de l’Amérique. L’attitude des élites européennes vis-à-vis du système de l’américanisme peut se comparer, en renvoyant à la référence qu’utilise MacArthur à propos de la presse US, à l’attitude manifesté par les élites de l’époque vis-à-vis de l’URSS stalinienne; la différence étant tout de même qu’il était alors extrêmement difficile d’aller vérifier sur place, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas pour l’Amérique.
Mis en ligne le 5 novembre 2008 à 18H14
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