Un American Dream cousu de fil blanc

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Le “modèle américain”, ou American Dream pour les intimes, est du type mythique avec comme thème fondamental l’économie (le “bonheur économique”, ou “bonheur par l’économie”). Le succès constant de l’économie US est l’argument fondamental de la promotion universelle de la vertu américaniste, l’argument impératif de la plaidoirie constamment exposée de sa supériorité. Parfois, l’on se doute de quelque chose et des réserves sont émises. Le cas n’est pas toujours assez bien documenté et il est combattu par la polémique où le principal moteur est la passion idéologique, et le principal aliment une fascination sans borne qu’on subit ou qu’on dénonce.

Ainsi est-il du plus grand intérêt de s’arrêter à une critique circonstanciée, rationnelle, ferme et stricte de la chose. Un auteur US qualifié pour cette tâche est l’auteur à succès Kevin Phillips, commentateur politique et spécialiste des questions structurelles US, notamment les structures et le fonctionnement du système économico-politique dans ses divers aspects. Kevin Phillips est une solide référence, notamment parce qu’il ne peut être soupçonné de la passion du parti-pris idéologique. Philips est présenté de cette façon: «He was a prime strategist for Nixon’s 1968 presidential campaign and one of the main architects of the notorious “Southern strategy,” through which the old Republican Party of Wall Street and Main Street refashioned itself with a right-wing populist appeal, stoking racial antagonisms while above all capitalizing on the bankruptcy of American liberalism to shift the political spectrum sharply to the right.»

Cette présentation de Phillips est extraite d’un texte du site WSWS.org, mis en ligne aujourd’hui, à propos de son dernier livre, Reckless Finance, Failed Politics, and the Global Crisis of American Capitalism Phillips et de l’article de Harper Magazine qui en donne un résumé. Notre esprit est ainsi rafraîchi quant aux réalités économiques américanistes actuelles: 9% à 12% de chômage réel au lieu des 5% et moins affichés ; 7% à 10% d’inflation au lieu de 2%-3% ; 1% de croissance au lieu de 3%-4%. Le plus intéressant est que le montage est placé dans sa perspective historique, pour nous rappeler que cette tromperie est une fabrique constante, de président en président, de démocrate en républicain, de l’ère moderne des statistiques économiques.

«The article focuses primarily on three measures: the monthly Consumer Price Index (CPI), the quarterly Gross Domestic Product (GDP), and the monthly figure for the unemployment rate. Phillips convincingly demonstrates that the real unemployment rate in the United States is between 9 and 12 percent, not the 5 percent or less that is officially claimed. The real rate of inflation is not 2 or 3 percent, but instead, between 7 and 10 percent. And real economic growth has been about 1 percent, not the 3-4 percent officially claimed during the most recent Wall Street and housing bubble that has burst.

(…)

»The corruption of official statistics is not the work of one administration, and Phillips traces it back nearly 50 years. The current occupant of the White House has, in fact, been somewhat less active on this front than his predecessors.

»Soon after John F. Kennedy took office in 1961, Phillips points out, he appointed a committee to recommend possible changes in the measurement of official joblessness. What soon followed was the use of the category of “discouraged workers” to exclude all those who had stopped looking for jobs because they weren’t available. Many who had lost employment in basic industry, in a trend that was just beginning to pick up steam with automation and the rise of global competitors in such industries as steel and auto production, were no longer counted as unemployed.

»During the administration of Lyndon Johnson, the federal government began using the concept of a “unified budget” that combined Social Security with other expenditures, thus allowing the current Social Security surplus to disguise growing budget deficits.

»As Phillips reports, Nixon tried to tackle the “problem” of statistics in typically Nixonian fashion: he actually proposed that the Labor Department simply publish whichever was the lower figure between seasonally adjusted and unadjusted unemployment numbers. This was apparently deemed too brazen an attempt at manipulation and was never implemented.

»Under Nixon’s Federal Reserve chairman, Arthur Burns, however, the concept of “core inflation” was devised. This became the means of excluding certain areas like food and energy, on grounds of the “volatility” of these sectors. The suggestion was that these prices jumped and then sometimes fell, so that it was best to remove them from the prices surveyed. In fact, food and energy together accounted for an enormous portion of spending for most sections of the working class and, as Phillips also explains, these two sectors are “now verging on another 1970s-style price surge.” As of last January, Phillips writes, the price of imported goods had increased 13.7 percent compared with a year earlier, the biggest jump since these statistics began in 1982. Gasoline prices, meanwhile, have soared by more than 30 percent since just the beginning of this year.

»The Reagan administration addressed itself to the pesky problem of housing in the inflation index. An “Owner Equivalent Rent” measurement was dreamed up for the purpose of artificially lowering the cost of housing—from a purely abstract statistical standpoint. Under Reagan, Phillips also points out, the armed forces began to be included in the labor force and among the employed, thus reducing the unemployment rate, even though these same members of the military would in many cases have no employment in civilian life.»

… Et ainsi de suite jusqu’à GW, qui ne fut certainement pas le plus actif dans la manipulation corruptrice des statistiques officielles. Il faut dire que le travail amassé avant lui est si impressionnant et efficace. L’ère Clinton, notamment, est caractéristiques pour ses trouvailles exotiques (lorsque le steak, qui se trouvait dans l’index de la consommation, augmenta d’une trop vilaine manière pour la beauté exigée de la statistique, on le remplaça par le hamburger, infiniment plus vertueux par sa stabilité).

Cette vue d’ensemble, historique, substantielle, de la politique faussaire des statistiques officielles renvoie à la substance de l’américanisme. Ce pays fondé sur l’économie et sur la communication a trouvé dans sa doctrine de l’américanisme la recette idéale du bonheur consistant à mettre la seconde au service de la première. La communication a d’abord comme première mission de maquiller les apparences pour rendre l'économie triomphante et perpétuer la vertu de l’American Dream, d’abord aux yeux et à l’esprit des citoyens dont on attend discipline et adhésion, ensuite pour les yeux énamourés du Rest Of the World. La contrainte est moins physique et législative que psychologique. La manipulation des statistiques, qui est une activité assez courante en général, a ceci de particulier dans le cas de l’américanisme qu’elle est systématique parce que fondatrice de la version modernisé du système.

La véritable puissance du système est du domaine de l’influence, effectivement avec pour cible principale la psychologie. Le procédé a la vertu fondamentale de constamment renforcer l’image de l’American Dream en donnant au mythe une assise d’apparence rationnelle. Les partisans de l’américanisme utilisent ce procédé presque par nature, avec l’usage d’une raison d’apparence: constatant la fonction de mythe de l’American Dream, ils sont les premiers à suggérer d’en faire la critique par vertu de raison, pour finalement constater que la science “objective”, comme par miracle, vient justifier le mythe en lui donnant une assise qui a toutes les apparences de l’objectivité. C’est un chef d’œuvre de manipulation. Vous découvrez finalement que votre rêve a toutes les raisons de s’exprimer comme un argument rationnel dans la réalité. Toute la recette de l’américanisme, des statistiques faussées à Hollywood, se trouve dans cette démarche. Elle justifie les caractéristiques de la psychologie américaniste, – inculpabilité et indéfectibilité, – en alimentant l’idée de la vertu objective du système.


Mis en ligne le 2 juin 2008 à 09H18