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12 septembre 2002 — L'article du directeur du Monde, Jean-Marie Colombani, «L'impasse américaine», publié le 11 septembre, est incontestablement un événement politique. Derrière son apparence et son attitude d'objectivité, Le Monde représente une tendance libérale-démocrate qui a accepté, ces dernières années avec presque de l'enthousiasme, la voie américaine. A la raison de ce choix, on veut parler de l'argument rationnel, s'ajoutait la fascination pour le soi-disant American Dream d'autant plus forte qu'elle avait été jusqu'alors contenue et qu'elle n'est jamais identifiée comme telle par des esprits épris de la seule raison. On ajoutera tout de même que, depuis le 11 septembre 2001, l'enthousiasme et la fascination étaient parfois mis à rude épreuve.
« L'impasse américaine » constate l'évidence dont les signes ne cessent de s'accumuler depuis un an. Il s'agit du fait qu'une crise ouverte sur une action terroriste colossale, et qui semblait devoir être par conséquent la grande crise du terrorisme, est devenue aujourd'hui la grande crise américaine. Plus encore, — et c'est la raison pour laquelle on le signale — l'article doit être observé pour son aspect symbolique, comme résumant assez bien la signification politique de cet autre événement symbolique que fut la commémoration du 11 novembre 2001.
Pour résumer cette signification politique, on dira que la commémoration a consacré, cette fois au niveau symbolique justement, la séparation proposée plus haut en termes politiques.
• Depuis le 11 septembre 2001, l'appréciation qu'on pouvait avoir de la crise était brouillée par le mélange entre l'événement de ce 11 septembre 2001 et la politique de l'administration GW qui a suivi. Il s'agissait d'un redoutable mélange, qui est la caractéristique de notre époque, entre les sentiments justifiés pour un événement aussi catastrophique, transformés en arguments pour une politique dont les actes se sont avérés de plus en plus contestables.
• La commémoration a servi de catalyseur pour séparer ceci de cela. Nous avons pu revivre le 11 septembre 2001, apprécié la puissance et l'horreur de l'événement, ses effets humains considérable ; ce faisant, nous avons pu d'autant plus séparer cet événement de la politique qui a suivi, et présentée comme étant faite en son nom.
• La commémoration a permis une sorte de “récupération” de la catastrophe du 11 septembre, qui a été replacée dans son contexte humain et global, et dégagé de l'argumentation politique. Désormais, ce 12 septembre 2002, nous nous trouvons devant la réalité pleinement réalisée ce 11 septembre 2002 d'une politique américaine déchaînée et qui représente, selon le jugement de Nelson Mandela parlant de l'action de l'Amérique, notamment sur les questions du Moyen-Orient : « If you look at those matters, you will come to the conclusion that the attitude of the United States of America is a threat to world peace. »
Colombani termine son article sur une note d'espoir, un espoir sempiternel chez tout commentateur européen comme il faut : l'espoir que l'Amérique (c'est-à-dire le gouvernement américain) va changer. Colombani se réfère alors à deux hommes qui comptèrent comme inspirateurs de la politique américaine dans les années 1933 à 1950 : l'Anglais George Meynard Keynes et le diplomate américain George F. Kennan. Plus que suggérer un plan pour l'avenir, c'est faire montre d'une nostalgie respectable, celle du temps où l'Amérique semblait écouter les autres, fussent-ils économiste et Anglais, et celle du temps où la diplomatie américaine se piquait d'avoir l'esprit de vouloir comprendre les autres, fussent-ils communistes et Russes.