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24758 octobre 2009 — En quelques jours, la perception psychologique de la situation fondamentale des USA s’est à nouveau assombrie, ou, plutôt, s’est enfoncée dans un degré nouveau d’assombrissement en revenant à la crise centrale. L’effet de 9/15 et de l’effondrement qui a suivi a été un instant contenu, le temps d’un rapide printemps aménagé par Ben Bernanke, reconduit à la tête de la Fed pour cet exploit d’illusionniste (l’affaire des “green shoots”). Le scandale du redressement des banques dans les conditions qu’on sait a suivi. Tout cela n’était pas une amélioration de la situation mais un abaissement de la tension par des moyens dont on a dit tout le mal qu’on devait penser. La tension, qui est désormais un caractère fondamental de la situation aux USA trouvait à s’occuper du côté de l’agitation populaire (“soins de santé” et mouvement du Tea Party), qui n’est pas apaisée et se poursuit. En effet, il faut observer que toutes ces phases ne s’annulent pas l’une après l’autre, mais s’accumulent.
Depuis une semaine, les démons centraux de la crise économique se pressent à nouveau.
• L’article de l’Observer, du 4 octobre 2009, sur la Californie, en passe de devenir ce que les experts du Pentagone nomment “a failed state”, a fait grand bruit aux USA. (L’expression “failed states” concerne ces pays, surtout africains, qui sombrent dans un cycle incontrôlable de pauvreté, de corruption, d’anarchie et de désordre, qui retournent à un état de semi-sauvagerie et d’absence de droit jusqu’à ne plus exister en tant qu’Etat structuré, selon les normes civilisées, ou dites telles.) L’article a souvent été repris, cité, commenté, etc., aux USA.
«California has a special place in the American psyche. It is the Golden State: a playground of the rich and famous with perfect weather. It symbolises a lifestyle of sunshine, swimming pools and the Hollywood dream factory.
»But the state that was once held up as the epitome of the boundless opportunities of America has collapsed. From its politics to its economy to its environment and way of life, California is like a patient on life support. At the start of summer the state government was so deeply in debt that it began to issue IOUs instead of wages. Its unemployment rate has soared to more than 12%, the highest figure in 70 years. Desperate to pay off a crippling budget deficit, California is slashing spending in education and healthcare, laying off vast numbers of workers and forcing others to take unpaid leave. In a state made up of sprawling suburbs the collapse of the housing bubble has impoverished millions and kicked tens of thousands of families out of their homes. Its political system is locked in paralysis and the two-term rule of former movie star Arnold Schwarzenegger is seen as a disaster – his approval ratings having sunk to levels that would make George W Bush blush. The crisis is so deep that Professor Kenneth Starr, who has written an acclaimed history of the state, recently declared: “California is on the verge of becoming the first failed state in America.”»
• La situation économique, essentiellement au niveau de l’emploi, ne perd rien de son rythme de détérioration, pour ne rien dire d’une possible amélioration. Les chiffres de pertes d’emploi de septembre (263.000 contre 176.000 attendus) ont constitué un terrible choc. Le commentateur de Atimes.com “Spengler” parle, le 6 octobre 2009, d’une “dépression permanente”, un peu selon la formule trotskiste… «President Barack Obama may be remembered for permanent depression, the way that Leon Trotsky's name is linked with permanent revolution. Fiscal stimulus combined with near-zero interest rates have proven to be a toxic cocktail for the United States, the macroeconomic equivalent of barbiturates and alcohol.» Puis “Spengler” poursuit, traçant un rapide tableau de la situation telle qu’il l’évalue; il montre notamment comment les conditions du “sauvetage” du système financier ont plongé les USA dans une paralysie économique marquée par cette impossibilité de renverse la tendance à la dégradation, ce qu’il nomme “dépression permanente”…
«Panic is starting to take hold at the Obama White House over the relentless deterioration of the job market. US jobs in September declined by about 263,000 jobs, worse than the 175,000 drop expected by Wall Street economists. To the 15.1 million on the official unemployment count, add 9.2 million “involuntary part-time workers” and 2.2 million who were dropped from the tally because they had not sought work in the past month, and the unemployment rate would rise to 17.1 million.
»That doesn't include another three million long-term discouraged workers – those who want to work but who have long since stopped looking. That would take the number up to 20%. In past recoveries, a number of economists observed, all the job growth came from small business, but small business is lagging in the present crisis. The financial crisis crushed the entrepreneurs, as surely as Joseph Stalin crushed the kulaks, the relatively affluent peasants.»
• Le spectre de la fragilité du dollar, de sa possibilité sinon sa probabilité d’effondrement, est revenu d’actualité avec l’article de Fisk dans The Independent et ce qui a suivi. Il s’agit à nouveau du spectre fondamental de l’effondrement de ce qui est perçu comme certains par le piler central de la puissance US, ou de ce qui reste de la puissance US. Le choc vient essentiellement de la perception qu’effectivement un certain nombre de pays, que ce soit ou non ceux qu’indique Fisk, que ce soit ou pas dans les conditions où il l’indique, travaillent activement ensemble sur l’“après-dollar”…L’analyste de défense Loren B. Thompson, l’homme du complexe militaro-industriel, écrit le 6 octobre 2009 sur son Early Warning Blog, à sa rubrique “End Of Empire”:
«The U.S. dollar fell on foreign exchange markets today following a report in The Independent, a British newspaper, that China, Japan, Russia and France were working with Arab oil states to eliminate the dollar as the main currency for conducting international petroleum transactions. The report is probably exaggerated, but coming as it does on the heels of debate about the greenback's future as a global reserve currency, it highlights America's waning economic influence. Most Americans have no idea how rapidly their nation's economic standing in the world is receding as a result of two recessions, record trade deficits and unprecedented federal borrowing.»
Pourtant, non, tout le monde, à Washington, s’occupe de l’Afghanistan… Même ceux qui sont censés s’occuper de l’économie à Washington et qui tenaient le haut du pavé de la communication ce printemps ne réagissent plus guère à ces nouvelles puisque, aujourd’hui, l’élan de l’attention du système, qui est mue par les mécanismes du conformisme dévastateur de cette micro-société qu’est l’establishment, est complètement absorbé par cet enlisement dialectique et polémique qu’est la guerre de l’Afghanistan à Washington même.
Il y a bien quelques avertissements officiels ou semi-officiels, qui sont d’ordre général et souvent complètement ignorés. Il y a les déclarations de Robert Zoellick, président de la Banque Mondiale, dimanche dernier (selon BBC News le 5 octobre 2009), mais qui reste d’ordre général et donne somme toute une vision plutôt rassurante de la catastrophe en observant que le déclin US se fera d’une façon assez ordonné, simplement par un transfert de pouvoir, où les USA perdront leur position de leader mondial. «“One of the legacies of this crisis may be a recognition of changed economic power relations. […] The US, the world's biggest economy, has been in recession for almost two years, while emerging economies like China and Brazil have grown. A multi-polar economy less reliant on the US consumer will be a more stable world economy.»
La dernière chronique partagée de l’universel spécialiste de la question financière Martin Wolf (Financial Times-Le Monde, le 5 octobre) est beaucoup plus sombre, beaucoup plus “catastrophique”. Elle peint, du point de vue financier et de la façon dont le secteur bancaire a été “sauvé” au bord du désastre, une image extrêmement pessimiste. «Le point primordial est que le stade où nous en sommes aujourd'hui est intolérable. Les concentrations actuelles de richesse et de pouvoir garantis par l'Etat doivent absolument disparaître. […] [I]l nous faudra être plus radicaux. […] Pour l'instant, les autorités politiques ne sont pas prêtes à envisager des idées aussi radicales. Mais le système financier est aujourd'hui d'une telle fragilité que l'on ne peut pas rejeter toute idée de réforme radicale.»
Dans les deux cas, les deux hommes tablent sur la reconnaissance de l’évolution fondamentale mais à terme pour l’un, sur l’idée de la nécessité d’une action radicale très rapidement pour l’autre, tout cela de la part des dirigeants politiques, particulièrement aux USA puisque c’est de cette puissance qu’il est question. Mais la direction des USA, l’establishment washingtonien ne sont plus prêts à cela. Ils sont “ailleurs”, dans leurs féroces querelles sur les “soins de santé”, puis sur l’Afghanistan, éventuellement dans la crise du Pentagone, dans le déchirement des polémiques, dans l’affrontement politicien pour les élections mid-terms de novembre 2010 qui sont déjà vues comme essentielles par les deux partis, avec, dans l’idée des républicains, une volonté furieuse, presque insurrectionnelle de reprendre le pouvoir au Congrès sans autre but que de totalement paralyser l’exécutif effectivement sur un mode insurrectionnel. L’état d’esprit des républicains à cet égard s’apparente presque à l’idée d’un “coup d’Etat constitutionnel” contre Obama. Un analyste politique, Bob Cesca, estimait, le 23 septembre 2009 sur Huffington.post que, s’ils gagnent ces élections de novembre 2010, les républicains entameront immédiatement une procédure d’impeachment contre Obama. Ce type de prévision est beaucoup plus concevable que des rumeurs d’intervention intérieure des militaires, supposant un establishment militaire uni, ce qui est l’exact contraire de la réalité. Même les militaires, même agissant arbitrairement, ne sauraient remettre en place un ordre qu'ils n'ont plus chez eux.
L’establishment washingtonien est actuellement complètement déconnecté des difficultés de la situation économique et financière, qu’ils jugent inconsciemment comme plus ou moins résolues après l’“effort” du printemps (essentiellement gaver le coupable, Wall Street, de centaine de $milliards). La situation est infiniment plus grave qu’avant le 15 septembre 2008. Tous les pouvoirs sont non seulement affaiblis, mais en état d’affrontement qui représente un état de “guerre civile” aux normes de la “société de communication”. Il existe une mobilisation populaire structurée (Tea Party, notamment), qui peut changer d’objectif en un temps très rapide, et s’adapter à un mouvement de révolte au niveau économique si cela paraît opportun. Comme illustrée par la Californie, la situation générale des Etats de l’Union est caractérisée par la disparité, des situations catastrophiques dans certains Etats contrastant avec d’autres, donc une situation à la fois déséquilibrée et déstructurée dans un ensemble qui tient essentiellement par son unité structurelle d’équilibre des composants. La politique extérieure expansionniste et belliciste est devenue, avec l’Afghanistan, un débat intérieur d’une férocité inouïe, que plus personne ne contrôle.
Les USA sont entrés dans un automne très sombre, où tout est désormais en place pour créer les pires conditions imaginables en cas d’accident brutal, d’explosion qu’on n’a pas prévue au moment et dans le domaine où elle a lieu; que ce soit une brusque aggravation de chômage pour tel mois, un effondrement du dollar, un revers particulièrement frappant en Afghanistan, une manifestation du Tea Party sur quelque sujet que ce soit qui dégénère accidentellement, ou, beaucoup plus probablement, n’importe quel autre événement fortuit ou inattendu et que nous ne pouvons prévoir, qui déclenche un enchaînement imposé par le phénomène incontrôlable d’une communication exacerbée.
Aujourd’hui, les USA sont au bord du gouffre, c’est-à-dire dans une situation où un facteur explosif peut tout faire basculer. Il ne s’agit pas de juger objectivement d’une situation et d’observer que partout ailleurs (hors des USA), la crise règne également; il s’agit de relever la singularité de cette situation aux USA, de l’effet sur une psychologie, désormais d’une extraordinaire fragilité, de diverses potentialités explosives dont chacune peut faire basculer cette psychologie dans le désordre marquée autant par la panique que par la colère et la rancœur furieuse. Inutile de parler d’Obama, dont les qualités incontestables – calme, mesure, etc. – jouent à plein contre la reprise en mains d’une situation qui lui file comme du sable entre les mains. Est-ce seulement la seule Californie qui est menacée de devenir “a failed state”?
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