Un autre Massachusetts?

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Le Représentant John Murtha, démocrate de Pennsylvanie et un des doyens de la Chambre des Représentants US, est mort à 77 ans. Normalement, l’élection de son successeur devrait avoir lieu en mai, et, aussitôt s’ouvre la perspective d’une nouvelle épreuve type-Massachusetts. Murtha, ancien combattant du Vietnam, tenait son siège depuis 1974, ayant donc établi une sorte de monopole semblable à celui de Ted Kennedy, élu dans le Massachusetts de 1962 à sa mort l'année dernière.

Le Guardian du 9 février 2010 résume pour nous l’événement et quelques-unes de ses conséquences.

«The Democratic party faces another election test after the death yesterday of John Murtha, a congressman dubbed by his colleagues the “king of pork”. […]

»The fear in the party is that Republicans will notch up another victory when a special election is held, probably May. The Democrats have been panicking since losing Ted Kennedy's Massachusetts Senate seat to the Republicans last month. […]

»His death came on a day that saw Barack Obama's poll ratings fall further. A Marist poll found that only 44% of voters surveyed approved of his job performance, down 2% on December. More alarming for Democratic strategists, 57% of independents disapprove of his performance.

»Murtha's death will have a neglible impact on the arithmetic of the House, where the Democrats have an overwhelming majority, unlike in the Senate. But another defeat in the spring would add to the sense of panic among Democrats in the run-up to the Congressional mid-term elections in November. […]

»[Murtha] was popular on the left as one of the first senior Democrats in 2005 to turn against the Iraq war. But he was also one of the leading exponents of ‘pork-barrel’ politics, a practice that has long been reviled outside Washington and is one of the reasons for the present levels of disenchantment.

»Murtha, as chairman of the House defence appropriations sub-committee, added 'earmarks', special spending projects to help his district, to defence bills, hence the King of Pork. Scandal hovered over him throughout much of his career….»

Notre commentaire

@PAYANT Le représentant John Murtha était un personnage somme toute fascinant. Il était à la fois tenu comme un des “vieux sages” de la Chambre, un homme capable de parler haut et fort contre le courant des conceptions générales (comme lorsqu’il s’éleva contre la poursuite de la guerre en Irak, en novembre 2005), capable de s’opposer au gouvernement dans certains cas, comme il le fit contre le secrétaire à la défense Gates encore récemment sur des questions de programmes militaires importants; un homme respecté des centres de pouvoir comme le Pentagone ou d’autres, et lui-même capable de dire leur fait aux généraux qui témoignaient devant lui; presque “un homme libre” si l’on veut, selon les conceptions qu’on pourrait avoir en référence à une démocratie idéale, ou à une république selon le modèle romain, dans laquelle l’élu du peuple serait plutôt le garant du système et des vertus du système, et capable de tenir une position ferme qui lui soit propre.

...D'autre part et à la fois, un homme prodigieusement corrompu, l’archétype de la corruption systémique, installé dans le système, selon les règles du système, notamment grâce à la position de prééminence qu’il tenait dans les commissions traitant du budget militaire, qui lui permettait de répartir les contrats militaires à l’avantage de son parti, de son Etat, de sa circonscription, de lui-même (d’où son surnom de King of Pork)… En fait, le cacique américaniste idéal, à la fois représentant puissamment l’apparence de la vertu démocratique et républicaine, peut-être même jusqu’à y croire lui-même, à la fois profitant avec une habileté qu'on qualifierait presque de “souveraine” de tous les arrangements et magouilles du système. Murtha était un homme qui aurait fait croire que la corruption est la vertu même de la politique.

Rien que pour cela, sa disparition est un événement important. Son autorité, avec celle de son amie Pelosi (la Speaker de la Chambre), a empêché en juin 2009, que la Chambre vote contre les crédits de guerre pour l’Afghanistan notamment, ce qui eut été une catastrophe pour l’administration. Cette année, ces mêmes crédits doivent être votés, et personne ne doute qu’ils le seront (exactement comme il y a un an, personne ne doutait qu'ils le seraient avant qu'on ne passe à deux doigts d'un échec). Mais un accident pourrait arriver en 2010, comme il faillit arriver en 2009, cette fois sans Murtha pour soutenir Pelosi.

…En effet, la question envisagée en 2010 peut être encore plus difficile qu’en 2009, et surtout avec l’absence de Murtha, parce que nombre de Représentants ont à l’esprit le problème de leur réélection. C’est bien entendu l'autre aspect de l'événement de la mort de Murtha qui importe, dans ce cas pour la Chambre elle-même, mais, encore plus directement, pour la question du problème électoral de sa réélection. La mort de Murtha, avec une probable élection en Pennsylvanie en mai prochain, dans des conditions bien proches de l’élection du Massachusetts, ressemble bien à un nouveau calvaire pour le parti démocrate, sans qu'il s'agisse pour autant d'une sinécure pour les républicains – avec, pour l'un et l'autre parti, l'inconnue du Tea Party. Dans tous les cas, le climat est déjà celui d’une nouvelle épreuve de force, ce qui pave un peu plus le chemin menant aux élections générales de novembre prochain d’obstacles explosifs.

Cette fois, en Pennsylvanie, c’est la face sombre de Murtha que ses adversaires vont exposer, l’homme des contrats du Pentagone bidouillés pour satisfaire son parti, ses soutiens, son implantation dans l’Etat, ses propres intérêts. L’aspect intéressant et inédit de cette élection par ailleurs si comparable à celle du Massachusetts, est qu’elle va, pour la première fois dans un tel cas, concerner indirectement les dépenses de défense et le monstrueux fardeau qu’elles font peser sur le contribuable américain, jusqu’à constituer, comme nous l’observions hier 8 février 2010, une sorte de “calamité nationale”. La mort de Murtha et l’élection partielle de Pennsylvanie, en plus d’être un électrochoc de plus pour la vie politique courante aux USA, vont-elles introduire pour la première fois dans l’équation politicienne US le facteur du Pentagone et de ses dépenses folles? Voilà une question du plus grand intérêt. Le destin, et le grand âge et la santé fragile de certains des parlementaires les plus vertueux du système, ne cessent de nous ménager la possibilité de surprises du plus grand intérêt.


Mis en ligne le 9 février 2010 à 12H34