Un beau succès d’estime contre-productif

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Il faut admettre que le Guardian a une réelle influence dans le petit-grand monde de la critique dissidente du système. Le rapport des 5 anciens et vénérables chefs d’état-major, emmenés par Naumann et Shalikashvili, avec Lanxade à la godille, se taille son petit succès par l’intermédiaire de l’article que lui a consacré le quotidien britannique. (Article daté du 22 janvier et publié le 23 janvier, auquel nous faisons largement écho dans notre F&C du même jour.) Nous notons deux articles de voix influentes dans le monde de la critique dissidente du système.

• Un article de WSWS.org, de ce jour.

• Un article de Paul Craig Roberts, sur Antiwar.com, aujourd’hui également.

On observe par contre une discrétion remarquable dans la “presse officielle” US (NYT, Washington Post), ce qui paraît indiquer que la direction washingtonienne, y compris le Pentagone, n’est que moyennement intéressée par l’affaire. Peut-être Seymour Hersh, du New Yorker, s’y intéressera-t-il, ce qui ferait évidemment frémir l’OTAN de terreur. L’affirmation de WSWS.org selon laquelle ce rapport «…is expected to be a key subject of discussion at a NATO summit to be held in Bucharest in April» est pour le tout petit moins exagérée, et, pour l’essentiel, complètement extravagante. Alors que l’impopularité de l’OTAN continue à grandir régulièrement dans les opinions publiques euro-occidentales, – Afghanistan oblige, notamment, – la publicité faite au rapport apocalyptique des cinq vénérables ex-chefs d’état-major est très loin d’être la meilleure affaire du mois. Que l’OTAN soit, par le biais de suggestions doctrinales et stratégiques, objectivement identifiée à GW Bush pour ce qui est de l’amour de la paix et de la volonté de dialogue et de concorde entre les peuples n’est pas un gage de popularité. On ferait notamment l’hypothèse que le gouvernement allemand ne doit pas actuellement porter Naumann dans son cœur.

Par ailleurs, le cheminement du rapport, déjà connu dans ses moindres détails le 16 janvier et qu’on découvre comme une bombe le 23, est un fascinant exemple de la relativité de l’information dans notre époque de communication. On verra confirmée l'idée que les cinq vénérables grands chefs ont certainement bien manœuvré du point de vue des relations publiques. Pour autant, il n’est pas sûr qu’ils aient habilement manœuvré au bout du compte. En gonflant une affaire somme toute anodine, – car l’hystérie, la montée aux extrêmes des soi-disant analyses, est aujourd’hui une attitude courante chez les responsables les plus huppés et les plus réputés pour leur sens des responsabilités, – ils entretiennent un peu plus des craintes sans cesse grandissantes de voir les élites emportées par le radicalisme de la pensée. L’article de Paul Craig Roberts est particulièrement illustratif du sentiment que suscitent de telles prises de position. (Voir une traduction en français de cet article proposée par un lecteur dans notre Forum de ce jour.)

Le paradoxe de cette affaire est qu’elle montre un groupe de pression atlantiste notablement conservateur affirmant la nécessité d’une radicalisation révolutionnaire de l’OTAN à l’image de la politique extérieure bushiste au moment où cette politique est partout battue en brèche et se trouve dans tous les cas confrontée aux inévitables situations de stagnation et de révision qui accompagnent toute campagne électorale et le changement de présidence qui suit. Mais peut-être s’agit-il moins de la recherche d’un alignement sur les USA que d’une intervention pour réclamer un renforcement de l’OTAN face à elle-même. La question est alors moins la doctrine nucléaire, – toute théorique puisque les diverses forces nucléaires nationales sont strictement dépendantes des décisions nationales, – que celle de la crise de l’OTAN en Afghanistan. (Dans leurs commentaires oraux, les auteurs du rapport parlent plus volontiers de l’Afghanistan, et avec angoisse, que du reste.) Là aussi, la situation US joue à contre-emploi, en fonction des arguments vus plus haut. L’OTAN est extrêmement fragile à cause de la crise de l’Afghanistan et elle a tendance à temporiser en attendant l’évolution de la situation politique US. Cette temporisation reflète évidemment les incertitudes des pays membres devant cette situation, et devant un engagement en Afghanistan terriblement impopulaire et qui nourrit plus les querelles internes à l’Alliance bien plus qu’elle ne conduit à la “victoire”. De ce point de vue, le rapport des généraux et de l’amiral, qui a son importance moins par son contenu que par l’écho médiatique qu’il a obtenu, ressemble à une grosse louche d’huile jetée sur le feu du désordre otanien plutôt qu’à une proposition capable de révolutionner l’OTAN.


Mis en ligne le 24 janvier 2008 à 19H20