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4135 août 2005 — On revient ici sur un intéressant discours de John Douglass, président de l’AIA qui représente les industries aérospatiales américaines. Douglass exprime une inquiétude concernant les capacités futures de l’industrie aérospatiale US de développer un avion de combat alors que le Pentagone ne prévoit aucun projet de ce type après la génération actuelle en production ou en développement (F/A-18E/F, F/A-22 et JSF/F-35).
Le double paradoxe assez inhabituel est que Douglass, pour appuyer sa proposition (qui devrait se concrétiser sous la forme d’une “new initiative to promote positive changes in the nation’s defense capabilities and ensure future safety and security”) prend exemple sur l’industrie européenne de défense dont il fait l’éloge des capacités de prévision de futur (la même industrie européenne dont Aboulafia nous affirme depuis 5 ans au moins qu’elle est destinée à la destruction par la grâce du JSF/F-35) ; et que l’exemple plus précis qu’il choisit pour illustrer son propos est l’Eurofighter Typhoon. (L’extrait ci-dessous est d’un article de Defense News du 1er août 2005, reproduit par ailleurs sur le site.)
« “Is it practical for us to go for a number of years with no tactical aircraft under development?” Douglass asked during an AIA luncheon at which he announced the new initiative. Indeed, could the capability be “reconstituted from zero” if it were allowed to dwindle to that in the absence of orders for new military aircraft designs, he asked.
» The Europeans are willing to pay more for Eurofighters to maintain the industrial base needed to turn out the next generation of European fighters, he said. “Maybe we should, too.” »
Les paradoxes de l’argument de Douglass sont de deux ordres :
• Il fait l’éloge d’une politique industrielle de base technologique de l’Europe que l’Europe en tant que telle n’a pas. (En Europe, il n’y a guère que la France qui entretienne encore une politique industrielle et technologique. L’Angleterre y a renoncé.)
• Choisir l’exemple de l’Eurofighter Typhoon comme représentatif de cette non-politique industrielle de l’Europe est après tout logique : le Typhoon, avec ses multiples avatars et ses mortelles faiblesses technologiques, est bien le non-porteur d’un avenir technologique inexistant d’une absence de politique industrielle européenne. (Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas d’avenir en Europe, du point de vue de la technologie dans ces domaines ; s’il y en a une, ce sont bien sûr des programmes comme le Rafale et le Neuron [un UCAV] qui la susciteront et assureront ses prémices. Problème : ils sont d’origine française et John Douglass ne connaît pas vraiment.)
Ces références incertaines n’empêchent nullement de juger intéressant et significatif d’entendre le représentant d’une branche industrielle US de cette importance plaider pour une pratique que le dogme libéral repousse habituellement : politique industrielle, interventionnisme et soutien de l’Etat, etc. Une seule raison : l’inquiétude extrême des milieux industriels US devant la situation de crise qui se développe au Pentagone. Il y a, dans cette prise de position pour une activité concernant le plus long terme, un choix délibéré de l’AIA, — choix très inhabituel aux USA, où l’on privilégie le court terme, et choix encore plus significatif de la situation qu’on évoque ici.
Quoi qu’il en soit, cet engagement du représentant de l’industrie de défense et aérospatiale pourrait bien signifier une chose, si les menaces de réduction se confirment, notamment à l’encontre du programme JSF qui est à la fois le programme-phare de l’industrie américaine et du Pentagone, et une indication sûre de l’orientation industrielle et technologique des USA: une réduction du soutien de cette industrie pour des programmes en cours de développement qu’on sait déjà de plus en plus menacés au profit d’un investissement sur l’avenir. (L'argument vaut d'autant plus dans le cas du JSF qu'on nous a toujours présenté ce programme comme devant durer au moins 50 ans. Si l'AIA s'inquiète de l'avenir comme elle le fait, — alors que la chose ne l'inquiétait guère jusqu'alors, — c'est qu'elle ne le voit plus guère dans le JSF pour le demi-siècle qui vient.)
C’est une attitude finalement commune aux USA, et même une attitude qu’on peut incorporer dans la philosophie de ce pays : une sorte de complexe du tabula rasa. Lorsque quelque chose ne marche pas dans le courant du développement des choses, rompre brutalement et passer à autre chose, — forcer à un changement de “génération”. Si, effectivement, les exercices en cours (notamment la QDR 2005) aboutissent, pour garder le même exemple, à un programme JSF allongé dans ses délais, amputé dans ses ambitions et réduit dans sa production, et beaucoup moins attractif dans ses coûts par l’augmentation du coût unitaire, comment ne pas être tenté de faire l’impasse, d’envisager des mesures plus draconiennes et de transformer le programme JSF en quelque chose de complètement différent, de complètement nouveau, — un “JSF nouvelle génération”? A ce moment-là, la proposition de l’AIA, notamment ce qu’elle a d’inhabituel et d’étranger aux coutumes industrielles économiques, se transforme, s’inverse en quelque sorte: c’est le JSF actuel qui devient une sorte de programme de “veille technologique”, ouvrant la voie à un programme JSF complètement nouveau, largement décalé dans le temps (2020-2025 au lieu de 2010-2015). Le “trou” dans l’équipement des forces peut être comblé par des solutions conservatoires que la situation militaire internationale (absence d’adversaire dans ce type d’armement) permet aisément, avec des prolongations de série de F-15, F-16 et F-18 modernisés essentiellement.