Un cas de complexité dans la crise autour de la Turquie: les rapports Israël-Turquie, en passant par le Congrès

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La complexité du problème qui a surgi autour de la Turquie est extrême avec deux facteurs parallèles qui se manifestent directement (la tension avec les Kurdes d’Irak et la possible intervention turque, et la question arménienne que considère le Congrès US). Ces deux facteurs s’ajoutent éventuellement pour rendre explosive la situation de ce qui en train de devenir une crise dans la crise du Moyen-Orient. Rien ne montre plus cette complexité que la gêne d’Israël, pressé par les Turcs d’intervenir à Washington pour faire pression sur le Congrès, — exercice où Israël est sans concurrent, — Israël qui voudrait soutenir la Turquie mais qui ne le peut vraiment parce que ses “relais” à Washington (les organisations juives) ont leur propre politique. Voici quelques extraits d’une déèche AP d’ hier, en commentaire de la visite du ministre des affaires étrangères turc en Israël:

«“We take the Turkish concerns very seriously. We have an excellent relationship with Turkey,” [ Israeli Foreign Ministry spokesman Mark Regev] said.

»He declined to discuss Israel's response or say whether Israel would ask its allies in Washington to intervene. In recent months a leading Jewish group, the Anti-Defamation League, changed its policy and declared the Armenian killings “tantamount to genocide,” angering Turks.

»The debate in Washington puts Israel in an uncomfortable position. Turkey is one of the Jewish state's few friends in the Muslim world, but genocide is an extremely sensitive topic in Israel, which was built in the aftermath of the Nazi Holocaust.

»Alon Liel, a former director of Israel's foreign ministry and an expert in Israel-Turkey relations, said the U.S. debate could hurt ties between the two countries. “We tried all these years not to get into it,” he said. But because of the Anti-Defamation League's new position, “Turkey will blame the Jewish organizations, and then this could bounce back to us.”»

Pour Israël, c’est le cas d’école du dilemme par excellence. Les organisations juives américaines sont vitales pour ce pays, parce qu’elles sont la corde autour du cou du Congrès, elles tiennent le Congrès par tous les arguments qu’on connaît (l’argent des donateurs juifs, le terrorisme des arguments humanitaires tels qu’ils sont utilisés, comme l’Holocauste, le poids symbolique d’Israël, etc.); d’autre part, elles suscitent et organisent le soutien financier des juifs américains à Israël. Israël ne peut se permettre d’écorner de quelque façon que ce soit ses relations avec ces organisations.

D’autre part, les relations d’Israël avec la Turquie sont un des fondements de la position stratégique d’Israël dans la région. Ces relations sont le décalque positif des relations antagonistes avec l’Iran et constitue la deuxième relation stratégique en importance d’Israël, après la relation avec les USA. Pour Israël, la Turquie est un puissant allié stratégique dans le sens strict du terme (quoique passif, peu susceptible d’apporter une aide militaire, mais actif au niveau du contre-terrorisme); elle est un coopérant très important au niveau de l’armement; elle constitue un puissant facteur de déverrouillage de l’isolement israélien dans la région, tant du point de vue politique que symbolique. Dernier point qui ne manque pas d’importance: la Turquie est membre de l’OTAN; dans son cas bien plus qu’avec les USA qui agissent avec Israël en tant que puissance non représentative de l’OTAN, les liens avec la Turquie constituent indirectement une certaine proximité d’Israël avec l’OTAN.

La complexité de la situation Israël-Turquie tient à un mélange de situations spécifiques en général sans liens directs entre elles. La difficulté actuelle des relations d’Israël avec la Turquie est que ces relations sont impliquées dans un facteur complètement incontrôlable: la situation à Washington, avec son imbroglio d’influences et de corruptions. Ce qui est en général un formidable avantage d’Israël pour obtenir le soutien massif des USA devient dans ce cas un handicap délicat puisque Israël ne peut répondre de façon efficace aux demandes des Turcs, dans ce domaine des rapports avec le Congrès où son influence est sans rivale. La gêne actuelle des dirigeants israéliens témoigne de l'acuité du problème pour Israël.

Nous proposons deux remarques.

• La première concerne l’hypothèse que font certains de nos lecteurs concernant le but réel du vote de la commission de la Chambre sur la question arménienne (voir notre Forum en date du 11 octobre), selon lequel il s’agirait pour les démocrates de trouver un moyen détourné de freiner la possibilité d’une attaque contre l’Iran en mettant en cause les relations US-Turquie. Nous aurions tendance à ne pas partager cette interprétation. Pour la première raison que nous croyons (comme Seymour Hersh) les démocrates plus favorables à l’attaque contre l’Iran que nombre des républicains, et préoccupés de ne pas trop paraître bellicistes seulement à cause de leur électorat. Pour la seconde raison que l’un des animateurs de cette affaire arménienne est la Anti-Defamation League, organisation juive, qui appuie en général l’idée d’une attaque contre l’Iran. Pour la troisième raison que nous ne nous favorisons pas en général les explications sophistiquées et machiavéliques, pour des politiciens US qui sont incapables de cette sorte d'orientation de l'esprit.

• La seconde remarque concerne la structure du pouvoir dans l’ensemble US-satellites proches (USA, Israël, éventuellement UK et les milieux correspondants). Il s’agit bien d’une parcellisation du pouvoir en centres autonomes, sans légitimité d’aucune sorte, sans hiérarchie impérative, avec la seule puissance de l’influence et des moyens financiers. Ainsi les organisations juives US, qu’on a coutume de cataloguer comme simples courroies de transmission d’Israël avec une soumission hiérarchique à mesure, sont en réalité des centres autonomes. Elles soutiennent Israël à fond par choix évident, sauf dans certains cas où elles font un autre choix. C’est la situation actuelle. La ADL a sa politique concernent le dossier arménien et elle s’y tient, Israël ou pas Israël. Cette absence de hiérarchie est difficile à concevoir pour une psychologie française (la majorité de nos lecteurs) qui se réfère d’instinct à la réalité historique régalienne de la France caractérisée notamment par le phénomène naturel de la hiérarchie. L’américanisme (dans lequel nous mettrons les organisations juives US et l’équipe dirigeante actuelle en Israël) en est autant étranger que peut l’être l’eau du feu.


Mis en ligne le 12 octobre 2007 à 12H34