Un cas de re-structuration politique: les immigrants polonais au Royaume-Uni et la renaissance du catholicisme anglais

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Un cas de re-structuration politique: les immigrants polonais au Royaume-Uni et la renaissance du catholicisme anglais

23 décembre 2006 — On dit beaucoup de choses critiques et hostiles des Polonais par rapport à l’Europe, du “plombier polonais” qui nous envahit à très bas prix au gouvernement polonais qui est le relais le plus zélé des intérêts américanistes en Europe. Cette critique et cette hostilité sont en partie plus ou moins grande compréhensibles et fondées. Mais il y a également le cas de la religiosité des Polonais. Ce cas devient prodigieusement intéressant lorsqu’il s’agit des Polonais récemment immigrés au Royaume-Uni, pays dont la politique est fortement influencée par la situation évangéliste, anglicane et “anti-papiste” depuis Henry VIII.

Les catholiques au Royaume-Uni sont traditionnellement très pratiquants, avec la conscience et l’acceptation de la hiérarchie que cela suppose. En 2001, une enquête de l’hebdomadaire The Tablet (catholique) indiquait que les catholiques formaient 11% de la population du Royaume-Uni et que ces 11% donnaient 26% des Britanniques suivant régulièrement les offices religieux. Il s’agit du groupe religieux pratiquant le plus important du pays.

Depuis l’entrée de la Pologne dans l’UE, en 2004, cette situation s’est singulièrement et radicalement renforcée. Le chiffre des Polonais immigrés au Royaume-Uni depuis 2004 est considérable : 400.000. Au moins un tiers de ces immigrants sont des pratiquants assidus, le reste étant des pratiquants habituels. Cela forme une proportion extrêmement élevée qui fait des Polonais un groupe immigrant exceptionnel du point de vue de la religiosité et, naturellement, un groupe beaucoup plus pratiquant que les Britanniques eux-mêmes. Par exemple, l’Ecosse a enregistré, depuis 2004, l’inscription de 50.000 Polonais comme nouveaux paroissiens.

Le phénomène est absolument impressionnant. Stephen Bates, correspondant religieux du journal, y consacre un long article dans le Guardian d’aujourd’hui. Alors que l’extension des thèses multiculturalistes avec leur coloration laïque évidente soutenues par l’appareil de la propagande culturelle officielle mettent les religions traditionnelles dans des cas de plus en plus difficiles, ce mouvement de renaissance catholique grâce à l’arrivée des Polonais présente un cas inverse de renaissance d’une foi traditionnelle et très fortement structurée très impressionnant, surtout dans un pays européen de cette importance politique.

Voici quelques illustrations de ce phénomène religieux que nous voulons envisager ici exclusivement d’un point de vue politique (culturel) et social.

«One little-noticed side effect of the influx of young Poles to Britain since their country's accession to the European Union in 2004 has been an extraordinary boost to Catholic worship. Congregations that were formerly waning have been restored and expanded by the arrival of devout young Poles from the land of Pope John Paul II and they may yet change English Catholicism for ever.

»A church which was amalgamating parishes, having difficulty recruiting priests — even from traditional sources of supply such as Ireland — and was seeing declining attendances has suddenly experienced a dramatic infusion of new blood. Most English parishes experience such huge congregations rarely, perhaps only for the Christmas Eve midnight mass, where revellers from the pubs on their annual visit to church boost the numbers in the pews for one night only. In English churches where separate monthly masses are held for local Poles they are often better attended than ordinary Sunday services.

»“It is the Catholic community's biggest opportunity and biggest challenge,” said Francis Davis, director of the Von Hugel Institute at Cambridge who is carrying out a study of the new arrivals for Cardinal Cormac Murphy-O'Connor, leader of the Catholic church in England and Wales, and Archbishop Vincent Nichols, who heads the Birmingham diocese.

»“In terms of its own life this is a huge opportunity. They are bringing new energy, new life and new resources and networks into the Catholic community. They are bringing a faith of their own that is so vibrant you can chew it. And they will have an unquantifiable effect on the whole debate about the future of faith schools.

»“The challenge is in the mutual lack of understanding, not only between the local population and the new arrivals, but within the Polish community, between those who came because of Communism and the young economic migrants. There are 35,000 in the Southampton area alone — more than was expected for the whole country.”

»Our Lady Mother of the Church is a little bit of Poland in London. Under the 19th-century stained glass Anglicanised saints stand icons of the Virgin Mary and Catholic stations of the cross — the 14 incidents that Catholics commemorate along Christ's path from his condemnation by Pontius Pilate to his burial in the tomb on Good Friday — now line the walls. The Marian Fathers hold seven masses in Polish each Sunday, the earliest at 8.30am, the last 12 hours later, three masses each weekday and five on Fridays and holy days.

»For this Sunday morning's service the church is crowded with at least a thousand people: elderly men and women who first came to Britain during the second world war and never went home after their country was taken over by the Communists, middle-aged refugees from the same regime and young men -and some women — who have come to try their economic luck now Poland is part of the EU. Kneeling fervently on the tiled floor in the lobby during the Communion prayers, booming out over their heads from loudspeakers, are men in their 20s dressed casually in bomber jackets, jeans and trainers.

»On the wall above them is a framed certificate from Pope John Paul II and in the little bookstall at the back, presided over by two grandmotherly women, are Polish papers, prayer books, statuettes of the Virgin from the national shrine at Czestochowa, English dictionaries and, incongruously, David Beckham's biography. The piety is almost tangible.»

Forces structurantes contre forces déstructurantes

Comme le cas des Latinos aux USA, le cas de l’immigration polonaise récente au Royaume-Uni doit nous servir comme un cas illustratif et exemplaire d’une question non pas religieuse, mais essentiellement politique. Ce sont ses aspects politiques et culturels d’une part, ses aspects sociaux et, au-delà, psychologiques d’autre part, qui nous intéressent.

(On sait la résurgence d’intérêt politique qu’on peut, qu’on doit avoir pour l’évolution des religions dans les Amériques, notamment aux USA avec l’afflux des Latinos catholiques aussi bien qu’en Amérique Latine avec la position et le poids éventuels du catholicisme à l’égard du mouvement anti-américaniste qui se développe dans les structures politiques dirigeantes de nombreux pays du continent. C’est une question, surtout pour le cas des USA, similaire à celle de l’immigration polonaise au Royaume-Uni puisqu’on retrouve, sous une forme ou une autre, l’affrontement des structures politiques sous-jacentes entre les églises d’inspiration protestante, non hiérarchisées mais fortement et radicalement spiritualisées, et l’Eglise catholique à forte hiérarchie. La hiérarchie inhérente à l’Eglise catholique nous intéresse en tant que contribution au renforcement des forces sociales et culturelles structurantes, et l’effet politique qui en résulte ; cette hiérarchie structurante n’implique absolument pas la mise en cause des libertés individuelles, notamment celle de la pensée ; l’homme, qui parle volontiers du progrès et de la modernité, est assez grand aujourd’hui, dans le contexte démocratique et officiellement laïque, pour préserver sa liberté comme cela lui importe.)

Notre intérêt pour la religion catholique, hors de la question des croyances individuelles, tient dans notre commentaire pour la puissance structurelle et hiérarchisée de l’Eglise. Il s’agit bien ici d’un cas politique dans la mesure où nous identifions la plus grande crise politique de notre temps dans l’affrontement entre les forces déstructurantes prédatrices (principalement la globalisation, et notamment le multiculturalisme dans sa composante déstructurante qui va avec) et les forces structurantes qui leur résistent, voire se recomposent en accentuant cette résistance. Dans ce cas précis, et malgré les contradictions historiques que cela peut impliquer, l’Eglise est un facteur structurant et, par conséquent, identitaire, au même titre que la souveraineté des nations.

La contradiction historique est dans le fait que l’Eglise s’est trouvée souvent, dans l’Histoire, en conflit avec des nations souveraines, alors qu’on met au contraire ici, côte à côte, ces deux phénomènes comme des forces également structurantes et par conséquent alliées. Les données de l’Histoire changent fondamentalement, et les conflits et les alliances fondamentales avec. Nous sommes, aujourd’hui, dans une époque fondamentalement changée par rapport à ce qui a précédé. Il est dommage que nombre d’anti-cléricaux ne comprennent pas cela et il est encore plus dommage que le Vatican soit bien lent à comprendre les véritables enjeux de l’affrontement central de la civilisation dans notre temps. Il nous a toujours semblé que Jean-Paul II, le pape anti-communiste devenu presque anti-capitaliste une fois le communisme liquidé, n’était pas loin de l’avoir si bien compris, et, comme tel, comme une exception remarquable dans l’ensemble bureaucratique du Vatican.

Le phénomène polonais au Royaume-Uni est, considéré de ce point de vue de l’affrontement structuration-déstructuration, un événement remarquable, et objectivement bénéfique du point de vue des forces structurantes. Il reflète évidemment l’ambiguïté du cas polonais. L’élite (?) politique de cette nation est formée d’un mélange d’anciens apparatchiks communistes, d’opportunistes de tous poils et de nationalistes dont la vision est trop bornée à une situation strictement régionale et passéiste (l’antagonisme avec la Russie). Il découle de cela que la direction polonaise développe une politique anti-européenne, pro-américaniste, fondamentalement déstructurante et, d’ailleurs, sans aucune vision politique acceptable, avec des pratiques de corruption vénale et un état de corruption psychologique marqué. Au contraire, la religiosité polonaise est un facteur structurant qui oppose — conformément à une situation classique qui s’exprime différemment selon les cas nationaux — la population à ses élites, d’un point de vue objectif (même si les dirigeants polonais vont à la messe le dimanche, avec une foi et une dévotion au-dessus de tout soupçon). La Pologne peut donc nous apparaître à la fois comme insupportable et comme bénéfique à l’Europe.

(De ce même point de vue, l’immigration polonaise au Royaume-Uni montre que l’immigration est également un cas politique neutre, qui peut être également bénéfique, comme dans ce cas. A côté de cela, elle est en général dénoncée, avec souvent des raisons tout à fait acceptables même si elles sont mises à l’index par le zèle hystérique de l’“idéologie de la tolérance” — la pire de toutes les idéologies — comme un phénomène déplorable de déstructuration. On voit que ce qui tranche le cas de l’immigration n’est ni le contenu de la religion des immigrants, ni la couleur de leur peau, ni même la question qu’elle pose au processus d’intégration mais d’abord ses caractères structurants ou déstructurants.)

La question de la religion est trop souvent débattue passionnellement et selon des références dépassées. La question de la religion catholique l’est encore plus dans la mesure où les religions réformées utilisent le zèle et l’aveuglement anti-cléricaux, et l’aveuglement du Vatican dans nombre de cas, pour faire avancer leurs conceptions dont l’un des effets — voulu ou pas, c’est à voir — est de renforcer les forces déstructurantes.

Le cas britannique avec son immigration polonaise est passionnant à observer de ce point de vue, plutôt que du point de vue d’un de ces sujets éculés comme “la crise de la foi” ou “la crise des vocations”, ou encore “l’anticléricalisme”. Qu’elle le veuille ou non, l’Eglise est aujourd’hui dans son temps plus qu’elle ne l’a jamais été, de même que la religion est devenue le premier sujet politique du temps. Cette actualité n’a rien à voir avec la question de la religion en tant que représentante de la foi mais avec la question de la religion en tant que facteur politique. Nous ne sommes pas dans un nouveau temps des Guerres de Religion, quoiqu’en voudraient certains, mais dans un temps où les religions sont des outils et des combattants revenus au premier rang d’une bataille immense entre les forces déstructurantes et les forces structurantes. Dans ce cas, les nécessités de l’Histoire importent et tranchent, et pas la question de l’existence de Dieu.