Un cauchemar de plus

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Les fuites de Wikileaks semblent tomber à point pour faire progresser la perception d’une situation catastrophique en Afghanistan, et la perception d’une crise de plus pour le président Obama. Deux textes, parmi de nombreux autres, nous peignent la situation dans ce sens.

• Un texte AFP (relayé par RAW Story), du 26 juillet 2010, nous annonçant “un cauchemar de plus” pour Obama («Afghan leaks hand Obama new political nightmare»).

• Un texte d’analyse de Jim Lobe, publié notamment sur Atimes.com à la date de ce 28 juillet 2010, parlant d’une “politique assiégée” («Obama's Afghanistan strategy under siege»). Lobe donne des indications intéressantes, notamment sur le désarroi qui parcourt aussi bien les rangs démocrates que les rangs républicains.

@PAYANT Restons effectivement avec le texte de Lobe, avec une autre indication, précieuse pour mesurer la possible évolution de la situation. Parlant de l’attitude des républicains et notant l’évolution d’un certain nombre d’entre eux vers une position hostile à la guerre, Lobe donne cette précision : «And while most Republicans remain hawkish on Afghanistan, severely criticizing Obama's decision to set a July 2011 deadline for beginning the drawdown of US forces from Afghanistan, some in their rank and file, including several figures associated with the populist “Tea Party” movement, are calling for an earlier date.» Il s’agit d’une des toutes premières indications selon lesquelles le mouvement Tea Party s’intéresserait à la politique extérieure dans un sens hostile aux engagements militaires, particulièrement en Afghanistan (favorable à un désengagement rapide). Ce point est l’objet d’un débat souterrain très violent depuis plusieurs mois : pourquoi Tea Party, populiste, hostile aux dépenses publiques, plutôt replié sur des conceptions proches de l’isolationnisme, ne se prononce-t-il pas contre les expéditions extérieures, cette politique interventionniste qui constitue une terrible et permanente ponction de l’argent public ? La réponse était en général très critique, d’un Tea Party “prisonnier” des républicains, de leurs engagements et de leurs soutiens bellicistes. L’observation de Lobe pourrait faire penser au constat d'une situation contraire.

Si, effectivement, Tea Party a commencé à évoluer dans un sens anti-guerre, l’affaire des fuites Wikileaks a de fortes chances d’exercer un effet important sur la situation intérieure et washingtonienne… En effet, outre ses aspects généraux au niveau de la crise, tels que nous les envisageons dans notre F&C de ce 27 juillet 2010, il y a les effets cathartiques de cet événement spectaculaire sur la dimension domestique de la politique afghane d’Obama, déjà notablement incertaine (voir, par exemple, Huffington.Post le 22 juillet 2010, – «How Obama's Afghan War Plan Is Falling Apart»).

Ce qu’on observe ici, c’est la possibilité d’effets indirects dévastateurs de l’affaire Wikileaks, sans pouvoir dire plus de façon assurée sur l'identification de ces effets. Nous sommes à Washington et c’est bien de la situation politique intérieure que nous parlons, où de nombreux facteurs de crise sont à l’œuvre en même temps que ce nouveau facteur Wikileaks. Ici, il s’agit d’une situation conjoncturelle et évidemment imprévisible, où l’affaire des “fuites” peut jouer un rôle de détonateur, dans le cadre très identifié de la politique intérieure. Ce rôle serait naturellement indirect, dans tous les cas dans un premier temps. Son intérêt premier est effectivement de voir si les positions peuvent changer là où elles semblaient inamovibles depuis une décennie, c’est-à-dire essentiellement du côté républicain enfermé dans un soutien inconditionnel à la guerre. Si le parti républicain se fractionne, sous l’effet conjugué de l’onde de choc de Wikileaks et de l’évolution éventuelle de Tea Party qui exerce une pression populiste terrible, c’est toute l’architecture du système washingtonien qui se trouve devant une situation inédite. La question se poserait alors de l’évolution dans les rangs démocrates en fonction de l’éventuelle évolution républicaine : un resserrement autour du président, c’est-à-dire d’une poursuite de la guerre comme le veulent les bureaucraties et les groupes de pression ou l’inverse, c’est-à-dire un délitement du soutien à la guerre chez les démocrates ? Un point intéressant est qu’il existe d’ores et déjà une opposition à la guerre chez les démocrates.

…Autour de tout cela, il y a évidemment le facteur électoral. Là aussi, Wikileaks risque de faire des dégâts, en accentuant l’impression d’une guerre perdue d’avance, d’une guerre sans but ni raison. Le sentiment s’inscrit alors dans un cadre général déjà en forte dégradation (crise économique, notamment, mais aussi le oil spill et les tensions centrifuges comme avec l’Arizona) et fait entrer la question afghane de plein pied dans l’“agenda” électoral, avec les effets qu’on imagine chez les parlementaires des deux partis qui affrontent les urnes en novembre. Cette orientation, ou cette dégradation de la situation, conduirait à la situation paradoxale de voir le président Obama comme partisan ultime de la guerre, soutenu, sinon poussé par le puissant appareil de sécurité nationale. Le paradoxe pourrait être développé plus loin, avec un Obama non seulement poussé à être le dernier soutien de la guerre, mais prisonnier de cette guerre. En effet, si les parlementaires, notamment républicains, étaient conduits à déserter le parti de la guerre face à leurs électeurs, ils pourraient néanmoins avoir une attitude différente vis-à-vis d’Obama, en le tenant comptable de conditions de désengagement telles qu’il serait impossible au président de suivre une autre politique que celle qu’il suit actuellement.

Les scénarios sont nombreux. Aucun n’est favorable à Obama, qui poursuit avec un rythme endiablé sa descente aux enfers. L’affaire Wikileaks intervient comme un facteur autobloquant de plus dans une situation dominée par l’état extrêmement piteux du système politique (la formuleThe system is broken”).


Mis en ligne le 27 juillet 2010 à 19H07