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171923 septembre 2008 — Le JSF est-il menacé du même sort que le système financier américaniste? Cette question sans divertissement n’est pas si innocente qu’elle en a l’air. Dans tous les cas, l’un des chefs du programme JSF, le général Davis de l’USAF qui dirige le programme pour le Pentagone, annonce franchement la couleur en parlant d’un “agenda” de la part des “adversaires” du JSF . En termes courtois, cela signifie qu’il y a un complot en cours contre le programme JSF.
Selon Reuters, du 19 septembre, voici comment est annoncée la chose, d’ailleurs dans des termes incertains car, effectivement, l’on marche sur des œufs, y compris le général Davis. (Il s’agit d’une téléconférence tenue conjointement par le Pentagone, – le général Davis, de l’USAF, actuel directeur du programme JSF, – et Lockheed Martin, dans le chef du vice-président Tom Burbage.)
«The Pentagon and Lockheed Martin Corp, its largest supplier, sought on Friday to shoot down criticism of their $299 billion F-35 Joint Strike Fighter program, the costliest planned U.S. arms buy ever. Published reports that Russian-built Sukhoi fighter jets thrashed the F-35 in simulated dogfights last month are “just flat false,” Air Force Maj. Gen. Charles Davis, the Pentagon official in charge of the program, said in a teleconference hastily called by Lockheed to rebut negative publicity at a critical juncture for the program.
»Development of the family of radar-evading, multi-role, single engine F-35 fighters was co-financed by Britain, Italy, the Netherlands, Turkey, Canada, Australia, Denmark and Norway. Each of these countries is within a couple of months to a couple of years of making F-35 procurement decisions, and some people with unspecified “agendas” may be maneuvering, Davis said.»
Ce vendredi 19 septembre, c’était la deuxième réaction directe du camp du JSF après un “press release” de Lockheed Martin, du 13 septembre. Bill Sweetman, rédacteur en chef de la revue Defense & Technology International, du même groupe qu’Aviation Week, présentait la première intervention sur le blog d’Aviation Week, le 14 septembre, d’une façon un tantinet moqueuse…
«Friday tends to be a quiet news day, but that doesn't make Lockheed Martin's news release of September 13 less unusual. After all, the heading does suggest that it contains “news”, but reading the entire document (which accompanied a Washington briefing) reveals little except that Joint Strike Fighter program vice-president Tom Burbage thinks that the new jet will be survivable, effective and more affordable than legacy systems.»
»In other news, the earth is round and Salma Hayek is a woman…»
Dans la seconde communication des défenseurs du JSF, par contre, il y avait beaucoup de “nouvelles”. Outre le développement du complot, on apprenait, toujours par l’intermédiaire de Sweetman ce 22 septembre, que le JSF est 400% au moins, meilleur que tout le monde, – «...The claim that “USAF analyses show the ... F-35 Lightning II is at least 400 percent more effective in air-to-air combat capability than the best fighters currently available in the international market.”» (Le at least est émouvant: les évaluateurs n’ont pas voulu paraître trop arrogant, car s’il fallait dire le vrai c’est à 600%-800% qu’on arriverait… Pour tenter de rester sérieux, on observera qu’il paraîtrait y avoir une certaine réalité dans ces affirmations; non qu'elles rendent compte de quelque réalité que ce soit, mais qu'elles existent; il paraîtrait effectivement que certains documents du bureau du JSF et de Lockheed Martin avanceraient de telles affirmations, ce qui montrerait a contrario l'inquiétude où l'on se trouve.)
D’autres affirmations, lors de cette intervention du 19 septembre, sont également remarquables par les perspectives qu’elles nous ouvrent. Tom Burbage, de Lockheed Martin, annonce que le F-35 (JSF) sera, non pas difficile à détecteur, mais tout simplement invisible. Sweetman, qui est un spécialiste des techniques aéronautiques, notamment de la technologie stealth, en est un peu interloqué… Il peine à le dissimuler, ce qui est de saison avec les technologies stealth (ou LO, pour “Low Observable”).
«But perhaps the most remarkable statement from the release is attributed to Tom Burbage: “Simply put, advanced stealth and sensor fusion allow the F-35 pilot to see, target and destroy the adversary and strategic targets in a very high surface-to-air threat scenario, and deal with air threats intent on denying access – all before the F-35 is ever detected, then return safely to do it again.”
»Jeebus on a Vespa... I have been writing about LO technology for 28 years and I have never heard anyone make a claim like this. Stealth means that you are hard to detect, harder to track and harder still to engage, but it doesn't make you invisible, particularly after large explosions have alerted the adversary to your presence.
»If the F-35 can really do all that, why did the USAF spend billions on supercruise, rear-aspect stealth and supermaneuverability (the reason for 2D vectoring nozzles) for the F-22? And does this mean that the all-aspect/wideband LO tech on the B-2 and X-47B UCAS is superfluous?»
Ayant notre attention attirée du côté de Wall Street, nous n’avons pas mesuré la vigueur des événements qui concernent le JSF depuis une quinzaine, – notamment depuis la diffusion, le 7 septembre, d’un reportage d’une chaine télévisée hollandaise (émission Reporter de la chaine KRO) lançant de graves accusation contre le gouvernement hollandais de l’époque (2002) où la Hollande choisit d’entrer dans la phase de développement du chasseur. (L’accusation en ceci que le gouvernement annonça que la Hollande recevrait au moins $800 millions de commandes industrielles du fait de sa participation dans le programme, alors qu’il savait pertinemment, selon les estimations même de Lockheed Martin, qu’il n’y avait aucune chance que le pactole dépassât $350 millions.)
Depuis, divers articles hostiles, accusations, prises de position, ont effectivement formé un courant assez sérieux de mise en cause du JSF. Pour autant, il n’y a rien de décisif dans ces divers actes, dans tous les cas moins décisif que, par exemple, lorsque le GAO publie un rapport défavorable au JSF, ce qui fut le cas à trois reprises déjà. Pour ces cas des rapports du GAO, les réactions du “parti du JSF” (Pentagone, Lockheed Martin) furent moins violentes et pas du tout frénétiques, comme elles sont aujourd’hui, entre l’intervention du 13 et celle du 19 septembre. L’accusation d’un “hidden agenda”, notamment, est remarquable.
Il y a une réelle nervosité du côté du “parti du JSF”. Les interventions successives sont soit improvisées, soit excessives. Les arguments en faveur du JSF, le 19 septembre, frisent le rocambolesque et feront à terme plus de mal que de bien. Nous ne pensons pas que cette nervosité soit l’effet des diverses attaques publiques qu’on a évoquées; ces attaques sont plutôt l’occasion d’exprimer une nervosité dont la cause est ailleurs. Nous croyons que le “parti du JSF” se sent mis en cause de l’intérieur de la machinerie américaniste, alors qu’il est nécessairement dans une position délicate. Le “parti du JSF” est dans une position délicate parce qu’il ne peut compter sur aucun appui décisif d’aucune des forces sur lesquelles il est pourtant obligé de s’appuyer pour faire la promotion de l’avion. Ces forces sont elles-mêmes sollicitées par d'autres circonstances, dans une situation générale aux USA, et au Pentagone, extrêmement tendue.
• Le général Davis est de l’USAF et c’est notamment au nom de l’USAF qu’il défend le JSF, – mais est-ce bien sûr finalement? Le JSF est surtout défendu par le n°2 du Pentagone, Gordon England, peut-être contre les vœux de l’USAF, alors qu’il (England) est peut-être sur le départ. Le général Davis sait que son service est en train d’évoluer vis-à-vis du JSF, parce que, notamment, des manœuvres diverses ont conduit à opposer le JSF, sous forme de F-35, au F-22, à faire du F-35 un concurrent du F-22. Dans ce cas, l’USAF en viendra toujours à soutenir le F-22, par conséquent à prendre in fine position contre le F-35. Ce pourrait être le cas actuellement.
• Tom Burbage est vice-président de Lockheed Martin, et c’est au nom de LM qu’il défend le JSF. Mais LM fabrique aussi le F-22 et ne tient pas à se brouiller avec l’USAF. Si l’USAF veut plus de F-22 au détriment, par exemple, du rythme de production du F-35 et du nombre de F-35 pour l’USAF, LM ne veut pas se prononcer contre. Mais Burbage sait que si une telle occurrence survient, c’est tout le marché extérieur du JSF qui est menacé. Pour LM, le marché extérieur convoité par le JSF est évidemment essentiel mais il n’est pas nécessairement lié au JSF. (LM peut imaginer qu’on pourrait fourguer à l’exportation une autre formule de compromis dont les USA sont maîtres, pour cette sorte de situation, notamment, en relançant tel ou tel programme plus ancien et en machinant les pressions politiques qui sont coutumières.) Ce qui compte pour le constructeur, c’est d’abord les relations avec l’USAF et les choix de l’USAF.
Ainsi, Davis et Burbage sont-ils très isolés. Leur riposte aux attaques extérieures contre le JSF représenterait dans ce cas une tentative de pression auprès de leurs amis qui ne les soutiennent pas assez, ou qui les soutiennent comme la corde soutient le pendu. Cette riposte est nécessairement disproportionnée, donnant par simple logique contradictoire l’impression d’une très grande force dans les attaques qui en sont la cause apparente. A crier “au loup”, comme il le fait, à propos d’un complot anti-JSF qui n’existe sans doute pas, Davis va finir par créer les conditions objectives permettant effectivement la constitution d’un tel complot. Il est certain qu’il existe un faisceau de forces convergentes, souvent très différentes et avec des motifs très différents, qui se rejoignent dans leur hostilité au programme JSF. D’autre part, il est possible que le JSF n’ait pas besoin d’un complot pour connaître les plus graves difficultés; ses “amis” suffisent pour lui mener la vie dure, très très dure.