Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
534
21 décembre 2006 — Commençons sérieusement. Ce texte doit être lu avec profit en se référant à l’autre “Faits & Commentaires”, d’aujourd’hui, concernant “une aventure typiquement américaniste”. Cette référence mesure la torture à laquelle est soumis, aujourd’hui toujours, l’engagement pro-américaniste, qui doit continuer à se justifier, à ses propres yeux, par une appréciation rationnelle et évidemment élogieuse du phénomène américaniste.
Etre pro-américaniste, aujourd’hui? Ce texte mesure le calvaire intellectuel que cela implique. Par ailleurs, il mesure également la tragédie de la pensée occidentale, lorsqu’elle s’est effectivement enfermée dans ce sophisme jusqu’à n’en plus pouvoir sortir sous peine de perdre tout crédit à ses propres yeux.
Par conséquent et toutes affaires cessantes, on appréciera, comme un chef d’oeuvre de platitudes et un amoncellement de lieux communs à l’exclusion de toute autre audace, ce texte éditorial du Times, du 19 décembre. Le texte est significatif de la paralysie et de l’atonie, signalées plus haut, de la pensée pro-américaniste, ici en Europe, et, précisément, au Royaume-Uni bien entendu. Si l’on s’en réfère aux positions des forces dominantes, c’est la paralysie de la politique occidentale tout court qu’illustre ce texte.
Nous (nous ?) ne sommes plus capables de justifier notre puissance et notre hégémonie. Notre petitesse de pensée qui a déchaîné des forces immenses ne cesse de nous imposer une réflexion sur nous-mêmes, nos fins inconnaissables et pourtant sans le moindre intérêt (la seule chose que nous identifions de nos ambitions est leur prodigieux vide spirituel), sur le naufrage de notre projet de civilisation.
Les Britanniques sont exemplaires de la dévotion occidentale à la misère et au sophisme systémique de la pensée politique occidentale, principalement représentés par le pro-américanisme. Ils mettent à son service toute leur finesse et toute leur alacrité, qui sont grandes.
Le cas de cet éditorial est exemplaire et d’une consternante exemplarité. Littéralement, il nous est enjoint d’être stupides, — au moins, à la mesure des Américains, — pour pouvoir faire ce qu’on nomme “de la figuration intelligente”.
Mais non, finalement, ce n’est qu’un conte de Noël…
Le texte paraît sous le titre qui sonne comme une prière fiévreuse de «Yanks Stay Here», avec le sous-titre de : «American isolationism would be far worse than supposed ‘unilateralism’»
• D’abord l’exposé du délit accessoire qui sert de biais à la réflexion de dévotion globale: Blair a reçu l’autorisation (de GW) de faire sa tournée moyen-orientale et, dès qu’il tourne les talons on lui plante un couteau dans le dos. («Informed sources there suggested that George W. Bush was poised to reject the key recommendations of the Iraq Study Group, increasing rather than decreasing US troop numbers in Iraq and declining to make the revival of the Israeli-Palestinian peace process the centrepiece of his broader regional strategy.»)
• So what?
• Qu’importent trahison et humiliation, et notamment ce couteau dans le dos puisque Blair a les reins solides. Personne n’a l’air de s’en soucier, ni Blair, ni les gens qu’il rencontre (Olmert, Abbas), puisque les conversations semblent, de toutes les façons, promises à l’échec. Ce qui importe, c’est que les Américains soient là… «This was, perhaps, because they [Blair & Co] were less concerned about the details of US policy towards Iraq or the Israel and the Palestinians than ensuring that America remained vigorously involved in their region.»
• L’enchaînement est tout trouvé : les Yanks sont là (au Moyen Orient) parce qu’ils sont partout, parce qu’il faut qu’ils soient partout, parce que tout le monde a besoin que les USA soient partout, parce que c’est mieux pour tout le monde comme ça. Car personne ne peut se passer des USA, — mais, quel malheur, tout le monde appelle les USA et tout le monde reproche aux USA d’être partout. Ingratitude et inconséquence, voilà bien notre lot. La description hollywoodienne du Times se résume par cette phrase désolée, grincheuse et expéditive : «The sole superpower is both expected to have a policy for every square inch of Earth and condemned as the source of all evil for anything that goes wrong.»
• Bien. Puisqu’il est acquis que le monde entier veut absolument que les USA soient absolument partout («every square inch of Earth»), il faut avoir assez de réalisme pour comprendre les USA. En plus d’être partout, on ne peut tout de même leur demander d’être “multilatéralistes”. D’où cette leçon en “deux points cruciaux” qu’il faut comprendre pour comprendre le monde, c’est-à-dire les USA, leçon de politique générale ponctuée d’une extraordinairement surréaliste leçon d’Histoire, en 19 mots (soulignés en gras) : «The first is that the world needs the United States to be fully engaged in international affairs. If that is to occur, a degree of realism is essential. History teaches us that the power of any potentially dominant actor is either exercised fully or not at all.» (Où donc le camarade éditorialiste est-il allé chercher, — disons à part le cas de Hitler, — que la principale leçon de l’Histoire est que “la puissance de tout acteur potentiellement dominant doit être exercée totalement ou pas du tout”?)
• Annexe de ce point crucial ; d’accord pour supplier les USA d’être partout, — mais, tout de même, ne pas trop leur demander, les laisser souffler un peu : «The United States is being asked not only to be the world’s policeman but also its pyschologist and social worker.» Tout de même, il y a des limites car il ne faut pas abuser des meilleures choses ; bien qu’il faut reconnaître que cela est tentant lorsqu’on a à l’esprit et au cœur les exceptionnelles qualités de psychologue et d’assistante sociale des USA.
• Le deuxième “point crucial”, ben c’est sûr, c’est l’Irak où, enfin, les USA, fatigués de devoir se restreindre par humanité, ont décidé de prendre les choses sérieusement. C’est-à-dire qu’ils ont enfin décidé de sonner la fin de la récréation et de gagner, en envoyant des troupes en plus. Ca, c’est du pur-Bush, génie simple et à l’état pur. Il n’y a nul besoin de Baker pour ça; on va finalement faire du “Baker-sans-Baker” et gagner sans Baker férir (en gras, la recette pour faire la paix): «Increasing the number of US troops in Baghdad does not discount the option of drawing down the military force in Iraq by 2008: it may be the only means to achieve that end.»
• Ah oui, Blair et son truc palestinien. Bon, c’est utile mais ce n’est pas indispensable. Ce n’est pas méchant. Certes, Bush lui a planté un couteau dans le dos, mais ce n’est pas vraiment un couteau. Bush, fameux stratège, a compris que le truc israélo-palestinien c’est secondaire. Certes ce serait formidable un règlement du truc palestinien mais ce serait sans importance ; s’ensuit un plaisant enchaînement qui nous dit que c’est important (« a welcome outcome»), que c’est sans importance, («such a resolution would have little impact»), bref que c’est très important mais sans aucune importance («It would be a wonderful start yet far from the end of the road.»)… «Nor is Mr Bush betraying his closest ally by expressing scepticism about whether the road to peace throughout the Middle East runs via an Israeli-Palestinian settlement. Such a political accord would be a welcome outcome. But even if it transpired, such a resolution would have little impact on the Shia-Sunni struggle in Baghdad, or dissuade Iran from its nuclear plans or oblige al-Qaeda to abandon terrorism. It would be a wonderful start yet far from the end of the road.»
• Car voyez-vous, l’important c’est le cadeau du bon papa Noël et les bons vœux que font les gentils petits enfants : bon Papa Noël, faites que les gentils Américains ne deviennent pas isolationnistes à cause des méchants affreux du “reste-du-monde”. «Changes in the composition in Congress are likely to make the United States more isolationist and protectionist next year. Is that what the world really wants of Washington? Those with contempt for American foreign policy should be careful what they wish for this Christmas.»
Maintenant, posons notre verre d’alcool incontrôlable et soyons sérieux. Au début des années 1980, une Russe, ancienne journaliste dans une radio soviétique, passa à l’Ouest. Renata Lesnik emportait avec elle quelques anecdotes. Il y avait celle-ci, lorsqu’on lui demandait la cause de son départ…
«Un jour où je n’en pouvais plus de devoir réciter ma propagande, j’entre, furieuse, dans le bureau de mon chef de service et lui dis : “Boris Ivanovitch, je ne peux pas continuer comme ça !” Alors, il ouvre son tiroir, sort une bouteille de Vodka et me la montre en répondant : “Fais comme moi…”»
Aujourd’hui, on va dans un Club, ou à la limite dans un pub, boire un bon vieux whisky ou deux-trois bières pour oublier. Les pauvres, ils n’ont plus l’illusion capitaliste pour rêver de passer à l’Ouest.