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1292Il est nécessaire de mettre en évidence certaines précisions sur les circonstances de la divulgation de la NIE 2007, telle qu’évoquée précédemment. Les démocrates du Congrès ne cachent pas qu’ils ont insisté auprès des services de renseignement US pour obtenir la NIE 2007 qui bouleverse la vie politique washingtonienne dans le cadre de la crise iranienne. Ils insistent évidemment pour observer que ce document doit conduire l’administration à abandonner ses projets d’attaque de l’Iran. Cela est explicitement dit par le chef de la majorité démocrate au Sénat Harry Reid: «Nous avons demandé cette évaluation pour que l’administration ne puisse pas entraîner ce Congrès et ce pays dans une autre guerre à partir de renseignements faussés.» («We asked for the report so that the administration could not rush this Congress and the country to another war based on flawed intelligence.»)
Cette déclaration de Reid semble à la fois normale et extraordinaire. C’est évidemment dans les attributions du Congrès de demander un rapport aux services de renseignements, mais il s’agit ici du document classique NIE, dépendant d’un processus à destination de l’exécutif en priorité, et théoriquement couvert par le secret. Le fait de rendre publique cette NIE 2007 sous une forme expurgée (une dizaine de pages contenant les conclusions essentielles, le document intial faisant plus de 150 pages) est une procédure qu’on peut qualifier de peu habituelle, sinon d’exceptionnelle. Il semble que cette décision ait été prise dans des conditions très particulières. Le DNI (Director of National Intelligence, qui supervise les 16 agences de renseignement US), l’ancien général de l’USAF Michael McConnell, aurait décidé initialement de conserver secret le nouveau rapport. Les agences de renseignement auraient alors décidé elles-mêmes de rendre publiques des éléments significatif du rapport. La raison avancée est que les résultats de la NIE 2007 étaient si différents de ceux de la NIE 2005 pour ce qui concerne la situation nucléaire militaire de l’Iran. Un officiel du renseignement US explique que les résultats de la NIE 2005 ayant été rendus publics, et ainsi inclus dans le débat public sur les capacités nucléaires de l’Iran, «nous avons jugé juste et nécessaire, alors que nous parvenions à nos conclusions lors de ces dernières semaines, de mettre également ces conclusions dans le débat public» («That judgment [from 2005] has become part of a public policy dialogue about Iranian nuclear weapons. As we finished our conclusions these past few weeks, we determined it necessary to publicly update our assessment on that.»)
Des déclarations de soutien ont été faites à cette décision des agences de renseignement, qui conduisent également dans le chef de leurs auteurs à opposer les procédures suivies pour cette analyse 2007 aux attitudes antérieures de ces mêmes agences de soumission aux “consignes” politiques jusqu’à des déformations très graves de la réalité. (On pense bien entendu au rapport de 2002 sur les ADM plus tard introuvables de Saddam, mais aussi à la NIE 2005 sur l’Iran.) Le sénateur démocrate John Rockefeller, qui préside la commission sénatoriale du renseignement, a quasi-officiellement “couvert” l’initiative des agences en affirmant qu’elle «démontre une nouvelle volonté de mettre en cause les positions partiales internes et montre une réelle indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, qui manquait notablement dans le passé récent» («This demonstrates a new willingness to question assumptions internally and a level of independence from political leadership that was lacking in the recent past.») Stephen Aftergood, de la Federation of American Scientists dit, dans le même sens, que «la communauté du renseignement montre publiquement son indépendance et montre qu’elle est loin d’être un soutien aveugle d’une intervention militaire» («The intelligence community is publicly demonstrating its independence, and showing that it is far from being a cheerleader for military intervention.»)
… C’est le moins qu’on puisse dire, qu’il y a “indépendance” vis-à-vis du pouvoir civil (certains pourraient parler d’insubordination implicite). Ces divers éléments peuvent évidemment faire supposer que les agences, peut-être contre leur DNI ou sans le consulter, ont agi avec un soutien effectif et décidé de la majorité démocrate du Congrès (du Sénat), particulièrement de la commission du renseignement et d’autres autorités démocrates. Plus que jamais, dans le paysage absolument éclaté du pouvoir washingtonien, la frontière entre la légalité et l’illégalité est ténue, voire impossible à déterminer. Si l’on observe les événements d’un œil dégagé de tout formalisme, on arrive aussi bien à la conclusion qu’il ne s’agit de rien d’autre qu’un “coup d’Etat” de type washingtonien, où certains pouvoirs (le Congrès et “la communauté du renseignement”, essentiellement la CIA) ont fait alliance, sans doute avec le soutien d’autres pouvoirs (on pense aux militaires, notamment l’U.S. Navy), pour prendre une initiative qu’ils espèrent décisive pour bloquer toute possibilité d’attaque de l’Iran. On rapprochera cette initiative du durcissement récent du Congrès avec la menace de mise en accusation de GW Bush en cas d’attaque de l’Iran lancée par le sénateur Biden. On vit, à Washington, au rythme d’une lutte interne sans aucun précédent.
Mis en ligne le 4 décembre 2007 à 23H12